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On se calme !

 

 

Oui, c’est vrai, je viens d’avoir 50 ans, il est temps que je me calme, enfin, après toutes ces années à râler, piaffer, railler, piailler, ricaner… c’est terminé, promis, demain, j’arrête tout ça, il est temps, largement temps de devenir raisonnable au lieu de reine osable ah, ah, jeu de mots pas terrible, tu vois, tu n’es même plus drôle, alors arrête d’en faire toujours trop, c’était sympa à 20 ans, 30 pourquoi pas, limite à 40, mais à 50, il est temps d’arrêter tout ça si tu ne veux pas être ridicule !

 

Soit ! Je vais arrêter tout ça… arrêter d’aimer et de désaimer à la folie, passionnément, à en mourir… arrêter de mourir à chaque fois que c’est la fin et que je suis sûre que je ne m’en remettrai pas cette fois-ci. Arrêter de râler après tous ces cons qui nous gouvernent, de près et de loin, et d’analyser et d’argumenter pour convaincre ceux qui sont aveugles, sourds et parfois naïfs que j’ai raison, pas pour la gloire, mais pour sauver la peau de ceux qui n’ont pas les moyens de la sauver eux-mêmes… Je vais arrêter de m’agiter, de traiter de gros cons ceux qui le sont, parce que ça ne sert à rien, si ce n’est à accélérer mon palpitant qui n’a pas besoin de ça, occupé qu’il est déjà à essayer de battre normalement pour quelqu’un ou pour plus personne, emballé le plus souvent pour des causes perdues, révoltes, haine, mépris, amour, passion, tonnerre, tsunami, tant et tant qu’il a du mal à suivre et à maintenir ce rythme régulier indispensable à sa survie et à la mienne !

 

On se calme ! Je vais arrêter de fumer, pour de bon cette fois. Arrêter aussi de m’en prendre soudain et sans préméditation au contrôleur SNCF qui me demande mon titre de transport malgré la grève qui dure depuis dix jours et que j’accuse violemment de m’avoir volé au moins dix heures de mon temps en le traitant de clampin ! Arrêter de péter un plomb imprévu et réfréné depuis des années pour éructer à la caissière qui fait accélérer le tapis de caisse avec un sadisme jouissif pour voir s’entasser et se mélanger tous mes achats que j’ai pourtant triés et posés délicatement… Je vais arrêter de fulminer contre mes voisins Bidochon qui sont si cons que je devrais les plaindre au lieu de les toiser, comme je sais parfois faire petitement avec les crétins inaptes au langage des mots…

 

On se calme ! Je vais arrêter d’écrire trop, sois raisonnable enfin, pas besoin d’envahir la boîte aux lettres de Serpsy avec quatre textes par mois, un seul suffit, reprends ta respiration, fais doucement, mange équilibré, arrête de t’empiffrer puis de ne plus rien bouffer dès que tu es raide dingue d’amour, arrête de jouer au tout ou rien, à cours après moi que je t’attrape, à je t’aime moi non plus, prends un bouquin, lis, apprécie, ne te sens pas obligée ensuite de dévorer tous les livres du même auteur s’il t’a plu, tu as le temps, pose-toi, sois posée, reposée, calme, calme-toi ! Arrête d’ironiser, ton humour est out, tu joues toute seule avec les mots, personne ne te comprend plus, comme une masturbation exhibitionniste pitoyable, et arrête de te passionner encore pour ton travail, que tu ne pourras plus jamais exercer comme tu le voudrais ! Ca ne sert à rien, de t’agiter, quand enfin le comprendras-tu ? Attends ta retraite comme tout le monde, laisse parler les cons, obéis aux gestionnaires et ferme-là, de grâce, ferme-là, tu as cinquante ans, il est grand temps de te calmer !

 

J’ai cinquante ans… il faut que je me calme…une vie paisible, sans nuage, sans heurts, sans passion, sans excès… d’accord, si j’en ai l’âge, si vous le dites…je vais faire un effort, tout laisser, tout lâcher…Mais non ! Je ne peux pas, je ne veux pas, c’est un peu la mort que vous me proposez là, au secours, je ne veux pas avoir cinquante ans, je vous jure que je ne les ai pas, au fond, là où ça ne se voit pas ! Alors, je vais apprendre… juste apprendre à supporter de paraître ridicule…de m’emballer encore à près de cinquante ans et de vibrer indécemment, peut-être, et ridiculement… je m’en fous ! Je veux vivre, pas renoncer, pas encore… je ne veux pas attendre la mort dans un fauteuil en skaï au bout du couloir du long séjour. Je veux encore tomber amoureuse et croire que c’est pour toujours, même si je dois ensuite mourir d’aimer, de non amour, de fin d’histoire où Cendrillon redevient la petite Cosette en guenilles jusqu’au prochain Prince Charmant qui viendra la sauver sur son carrosse doré ! Je ne veux pas oublier que je suis là pour les patients et pas pour le budget, pour les infirmières et pas pour le Directeur, je ne veux pas gérer des machines mais des hommes, des femmes, pas des numéros de matricule, des noms, des prénoms, des histoires de vie, pas seulement des listes de symptômes à effacer, je veux rester révoltée par les injustices et le clamer haut et fort, et tant pis si je suis ridicule, et qu’à mon âge, il faut se calmer !

 

Oui, je suis presque vieille, presque grise, encore un peu blonde donc un peu conne, ridée, fanée, fatiguée parfois, excédée, souvent, mais je ne veux pas me calmer, pas encore, je veux m’agiter, pas me trémousser, non, ce n’est pas ma nature, je veux combattre, nager à contre-courant, brandir le drapeau démodé des valeurs humanistes, me révolter contre la comptabilité des hôpitaux, lutter contre la discrimination, les discriminations d’âge, de sexe, de race, de croyances, je veux crier, écrire, sinon, je meurs à petit feu, et je ne veux pas encore mourir, pas comme ça en tout cas, je veux une mort subite, violente, vivante…

 

On se calme… je veux la paix, aussi… la paix dans le monde, dans le travail, dans les amours… je ne veux pas renoncer à la paix, au combat pour la paix… et quand je l’aurai trouvée, la paix, alors, promis, je me calmerai… mais je ne renoncerai à la mer que pour l’étang, au tsunami que pour les vaguelettes et la brise, à la passion que pour la tendresse…

 

Tu vois ? Je peux être calme, et paisible, aussi, parfois…

 

 

Bretzelde7@orange.fr







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