Retour à l'accueil

Retour à Dechronique


LA DECHRONIQUE de BACHI BOUZOUK

Souriez !

Ces quelques petites vieilles me faisant signe de la main de derrière le carreau de la porte fermée m'inquiètent. J'ai carrément la trouille, il fait nuit, je suis dans l'asile de Villejuif et accompagne ma compagne au boulot. J'ai carrément la trouille et pourtant à l'abri dans ma 4L. J'ai carrément la trouille sûrement parce qu'il fait nuit, que je suis dans l'asile de Villejuif et que je me demande ce qui pourrait m'arriver si cette porte vitrée venait à s'ouvrir ? Les petites vieilles me courraient-elles après pour m'étrangler ou je ne sais quoi ?

C'est marrant les représentations que l'on peut avoir de la folie quand on est un citoyen lambda, le fous sont dangereux et c'est pour ça que les asiles existent, ouf. Je me disais, si elles me courent après serai-je capable de courir plus vite qu'elles, de me défendre ? Peut-on se défendre de grands-mères à qui la folie furieuse a décuplé les forces ? Aurai-je eu envie de me défendre d'ailleurs, la folie n'est-elle pas naturellement là pour tuer l'homme sain ? C'est marrant les représentations que l'on peut avoir de la folie quand on est un citoyen lambda, toutes ces histoires, racontées ici ou là, déformées quand elles ne sont pas simplement inventées, terribles, s'inscrivant en une implacable vérité sociétale quelque part dans un coin de notre cerveau

Jour après jour, nuit après nuit, ma compagne revenait pourtant chaque fois du boulot non pas intacte car transformée et heureuse de l'être. Heureuse de pouvoir partager un petit bout de chemin avec ces trop nombreuses personnes déposées là comme on dépose une valise ( merci Tosquelles). Heureuse d'avoir le certain privilège de voir qu'à l'intérieur de ces valises se cachent des vies entières, quelquefois bien rangées, trop bien rangées peut-être et d'autres en désordre, en trop grand désordre sûrement.

Jour après jour, nuit après nuit, j'accompagnais ma compagne au boulot avec de moins en moins de crainte, avec à la place et c'est le plus important, non pas de l'indifférence, non plus de la satisfaction à avoir surmonter quelque chose qui ressemble à ce que les enfants cherchent sous leur lit le soir avant de dormir, avec à la place du plaisir à saluer à mon tour ces dames et découvrir qu'en lieu et place de ce que j'avais cru un rictus se trouvait le plus beau des sourires.
Je suis depuis devenu ISP, infirmier de secteur psychiatrique, infirmier des fous comme se nommait un ancien collègue rencontré à l'aube de ses 100 ans , infirmier fou certainement aussi mais fier de l'être car attendant d'être capable de transformer le rictus qui me défigure aujourd'hui en un des plus beau des sourires.

Elles n'avaient plus la trouille depuis longtemps, il faisait pourtant nuit et allaient au boulot dans l'asile de PAU. Des petites vieilles les attendaient certainement avec le plus beau des sourires derrière le carreau de la porte fermée. Des petites vieilles les attendaient heureuses de savoir qu'elles avaient les clefs, les clefs des valises qui ne demandent qu'à s'ouvrir encore un peu, juste avant d'aller dormir et sans avoir à regarder sous le lit.

Elles n'avaient plus la trouille depuis longtemps, il faisait pourtant nuit et allaient au boulot dans l'asile de PAU. Jour après jour, nuit après nuit, elle ne rentreront plus, gardons d'elles en mémoire ce petit sourire que, j'en suis sûr, elles seront fières de nous voir tous arborer de nouveau.

Bachi-bouzouk
nous contacter:serpsy@serpsy.org