DES
FORMATIONS CONTINUES AU FORMATAGE DES CLONES.
« Il faut multiplier nos propres capacités d’écoute de ce
que l’autre dit et se faire, soi-même, une aptitude à donner un écho sensible,
à réagir ».
Lucien Bonnafé.
Nous, l’autre et soi-même comme composante de toute
situation de soin où le premier enjeu avant de chercher à guérir qui que ce
soit est de bien soigner la rencontre, tenir compte des différentes
interactions, de différents niveaux de lisibilité, de compréhension.
En complément de ce qui
était enseigné magistralement au collectif, aux différents acteurs de la
psychiatrie, en complément de ce qui était transmis aux infirmiers,
psychologues, médecins… nombres de ceux-ci, nombre d’entre nous utilisions les
budgets de formation continue pour prendre des chemins parallèles, à la
recherche d’outils de médiations originaux visant à développer notre science et art de l’écoute et de l’écho.
Aujourd’hui
encore, la plupart des postulants à l’exercice en psychiatre mettent en avant
ce vocable « écoute » comme motivation, sans pour autant savoir
vraiment expliquer de quoi cela retourne. Avouons-le, c’était déjà un peu le
cas pour nous, actuels anciens, dont le
groupe des infirmiers de secteur psychiatrique qui verra son diplôme éteint au
départ en retraite du dernier, c’était le cas pour nous, lorsque tout neuf sur
le terrain et donc pas encore
totalement aptes à la rencontre
particulière de la folie.
Divan, analyse
transactionnelle, Palo Alto, pas Palo Alto, systémie, constellation
transférentielle, relation d’aide, de
l’intérêt de savoir dans quel sens
peigner la girafe, peinture,
sculpture, musique, chant, tambour, trompette, théâtre, expression corporelle, primitive, permis B,
galon de Plougastel , point laouig et sa variante ou comment lier des liens
sans avoir recours à
la contention…,tels étaient les thèmes des plans de formation continue de
l’époque.
Même si certains
étonnent toujours quant à la difficulté
d’en mesurer le retour sur investissement, ces plans de formations restaient dans
la continuité de ce que nous avions déjà appris, compléments
indispensables à l’assise de nos
pratiques, ils ressemblaient aux mosaïques encore présentes dans les ateliers
occupationnels et les ergothérapies comme derniers vestiges du temps où
partager et habiller ensemble le quotidien constituait la base de notre travail, la préparation d’un
terrain le plus propice à la relation.
Les plus jeunes réglant leurs pas sur le pas de leurs pairs rajoutèrent de l’entropie à un chaos ambiant
dans lequel les organismes de formation furent les premiers à tenter d’apporter
un peu d’organisation en bombardant de catalogues ce marché qui s’ouvrait faisant au passage de
l’initiative la première victime collatérale.
Plus besoin de réfléchir, il suffisait alors de
tourner des pages, consulter de
faux-semblants de nos idées en miroir et
de choisir à quel endroit nous allions faire un de ces petits pas de côté si
nécessaire à la qualité du soin. « Partir en formation » comme ça se dit dans les services, c’est déjà
« partir du service », prendre du recul, de la distance vis à
vis de l’ habituel, de la pratique
routinière, des patients, des collègues… Bien soigner nécessite de ne pas
reproduire bêtement ce que l’on fait au risque de reproduire une même erreur
mais combattre l’habitude par un
incessant renouvellement des points de vue et des idées, valeur fondamentale de
la formation continue.
Plus besoin de
réfléchir, a fortiori depuis que les pouvoirs publics définissent en grande
partie et à distance les plans de formation en
recommandant aux établissements des actions prioritaires. Dans les
dernières circulaires, même si persistent quelques pertinences, on découvre de
plus en plus d’items purements technocratiques : accompagnement de la nouvelle
gouvernance hospitalière (2008), appui
au fonctionnement des pôles, accompagnement des personnels dans le cadre des
réformes hospitalières ( dont la loi HPST), recouvrement des créances
hospitalières (2009).
Sous couvert de
recherche de sécurité, d’efficience, de
normalité, du benchmarking, la formation continue se transforme sous nos yeux
en un outil de formatage des masses, la
censure opérant à de multiples niveaux : pôles, DRH, DSSI, ARH, Ministère,
lobbies politiques et autres…
Regardons
autour de nous, qui part encore en formation individuelle aujourd’hui ? La
recherche d’une démarche de prendre soin
originale et imaginative sera-t-elle la seconde victime collatérale du
bombardement de circulaires ministérielles ?
Ne nous leurrons pas, dès que possible nous passerons à l’ère du clonage de l’agent idéal faisant tout ce
qu’on lui dit, de manière identique aux autres et à qui il suffira d’implanter
une nouvelle carte mémoire en guise de formation, en cas de nouvelle réforme, de nouveau protocole, procédure, certification….
L’homme souffrant ne sera plus soigné mais réparé comme une voiture. L’imposition des règles de l’industrie dans le cadre de notre exercice actuel en sont d’ailleurs les prémices. L’analogie entre la tarification à l’activité ( T2A) et le mode de facturation proposé chez Speedy ou Midas en est un exemple flagrant, l’ HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point) inventé par la NASA en est un autre.
Nous oublierons, regretterons certainement, les
professionnels ancienne version dont l’indispensable fantasque permettait à qui
voulait bien l’accepter de mieux gérer la part de folie qui est en chacun de
nous.
Une équipe extraordinaire, tout un monde peuplé de
personnages issus de milieux divers, bizarres si on les compare mais dont l’assemblage,
la réunion, permettait d’approcher la
fabuleuse complexité de cet autre nous même que l’on dit fou.
Bachi Bouzouk 21/08/09