Retour à l'accueil

Retour à Dechronique


Midori no taiyô

 

Rose n’a aucune bonne raison de rater l’union de sa fille Claire à l’église. Au contraire, tout le bonheur qu’elle aime à partager avec les siens.

 

Malgré ses origines, ses convictions écarlates, un caractère cémenté,  même si dans une église elle n’y est plus jamais retournée depuis qu’elle y fut baptisée « parce qu’on ne sait jamais », Rose est décidée aujourd’hui à l’exception.

 

Elle va changer l’habitude,  rentrer dans ce que les croyants nomment la maison de Dieu. Vaincre son refus du noir, se  laisser  apprivoiser pour quelques instants par cet endroit qu’elle trouve si sombre,  si obscure.

 

Ni le soleil, ni sa clope, ni le tiercé de demain, tout ce qui fait l’ordinaire de son samedi ne devraient l’empêcher de suivre le mouvement, la marche nuptiale. Un acte immanquable de la vie sa fille.

 

Sauf qu’au jeu de qui emmène qui et y a-t-il  encore de la place dans une voiture, Rose n’a pas su choisir le bon chauffeur. Elle est montée avec le seul qui se laissera distancer  par  la voiture balai et donc pour quelques instants le mariage.

 

Rose est perdue et  pas seule dans cette galère. Font parties de l’équipage pour ne pas dire l’équipée voire la drôle d’équipe :  Nathalie son autre  fille qui ne se marie pas aujourd’hui, Christine l’épouse de son fils, Nathalie la copine de sa belle fille,  ayant toutes comme autre point commun à avoir perdu la noce de ne pas être plus attirées que ça par les lieux de culte…

 

Tout le monde suit ?

 

Il fait beau, il fait chaud, lourd même, elles ont besoin de retrouver leur chemin, de se poser quelques instants, celui d’un café, celui d’une cigarette sauf pour  Nathalie la fille de Rose qui ne fume pas.

 

Sur une place, quelques  estaminets.

 

Ne pas entrer dans l’église ou comment faire d’un bistro de Nanterre le centre du Monde ?

 

Ne pas entrer dans l’église ou comment transformer une conversation de la salle du fond du bar tabac  en un  événement temporel rarissime que Rose intitulera soleil vert ?

 

Suffit de suivre l’intuition de  Christine choisissant le plus petit, allez savoir pourquoi, y paraît que c’est parce qu’il n’y avait personne dedans.

 

 

Traînent sur la table, 2 journaux. La Montagne, le Paris Turf.

 

Autour et à la lecture,   une Limousine d’origine, une Auvergnate, une  Parisienne turfiste et sa fille.

 

Rose fait des prédictions sur  les courses à venir, souplesse du terrain, forme des drivers, hauteur des gains, rien ne lui échappe.

 

Christine entend ses chiffres fétiches, ya pas, c’est un signe, demain va falloir jouer.

 

Nathalie, la fille de Rose qui ne fume pas mais n’en pense pas moins tousse et taquine tout ce monde en arguant à les entendre que cela ferait longtemps qu’elles  devraient  être toutes très riches.

 

Le mal du pays ne la quittera jamais, cela se voit, cela s’entend. Même en duplex, Nathalie, la copine auvergnate de la belle fille d’origine limousine de Rose ne peut s’empêcher de faire la revue de presse locale du centre à voix haute et de demander qui pourrait lire ici un tel journal.

 

Une évidence.

 

L’Herald Tribune c’est pour les amerloques, le Sun (pas le produit à vaisselle) pour les british, le Spiegel pour les Allemands, il Corriere della Sera pour les Italiens…

 

La montagne c’est pour les Auvergnats voire les Limousins, question de langue, de traduction, faut savoir lire  le bougnat dans le texte.

 

Entre les volutes de fumée,  le prix du veau, vaches, cochons, les cancans du milieu de la France  et le poids supporté des chevaux au départ, la discussion est animée. Le patron n’en revient pas, l’analyse hippique est fiable, lui reviennent quelques souvenirs,  il prend des notes, commence à remplir ses tickets:

 

 

Une histoire d’avant le Web. Une rencontre impossible à la croisée des chemins. Preuve que si nous n’allons pas tous au même endroit,  nous venons bien de quelque part et de l’importance de respecter chaque instant  permettant de se le dire pour le savoir, mieux, nous  rappeler que ce quelque part nous est commun.

 

Une histoire d’avant le tout numérique, du temps où les effets spéciaux n’avaient pas encore remplacé l’imaginaire. Je veux dire par-là une histoire incroyable, un coup de la caméra invisible  ou un épisode de twilight time, c’est sûr !

 

 

Bachi-bouzouk

 



[1] Méthode évidemment non dévoilée ici.







nous contacter:serpsy@serpsy.org