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A l ‘ouest,

 

Clémentine a 92 ans, de longs cheveux tressés bien encore plus poivre que sel, un regard fixe, turquoise et ce léger sourire persistant au coin des lèvres ne laissant aucun doute quant  à sa faculté d’antan de faire chavirer les cœurs.

 

Le parcours de soins  coordonnés, au départ de  sa demande ou  plus probablement   celle de son entourage, suivie de plusieurs consultations du médecin de famille, (oups !) du médecin référent,  a abouti à l’absolue nécessité de  l’hospitaliser,  la poser  là, dans l’aile Ouest de l’unité de soins gérontologiques. Drôle de logique en effet.

 

Clémentine a perdu la tête, c’est ce qui se dit, ce qui s’écrit dans le DSI. En vérité elle a retrouvé celle de ses vingt ans. Une tête pleine d’amour et de chansons, d’odeurs et de saveurs pas encore corrompues par les hydrocarbures et autres exhausteurs de goût. Clémentine a 92 ans mais en a oublié les tourments. Elle est repartie au temps où tout allait au ralenti. Voilà pourquoi elle reste si calme malgré ce qui se passe autour. Le bruit des chariots à linge, à repas,  de soin, d’urgence. Tout ce monde qui s’affaire pour elle et les autres plus ou moins las, fatigués d’une vie qui risque de s’arrêter ici ou pas très loin.

 

J’ai lu toute son histoire, toute sa vie en accéléré. Quelques lignes dans un dossier. Son métier, sa famille, ses enfants, ses maladies, qui disent oui, qui disent non  comme l’horloge d’argent de Brel. Quelques mots  tentant d’expliquer ce qui arrive  aujourd’hui, Clémentine a vieilli.

 

C’est ma première année d’école d’infirmier  et je dois exposer tout ça à une monitrice que je ne connais pas venue exprès pour moi, pour ma première évaluation. Bla bla bla. Me voilà parti pour une tentative de récit court des aventures de Clémentine. Pourquoi faut-il la surveiller, éviter qu’elle ne s’échappe, ne s’égare alors que si loin elle est déjà partie. Bla bla bla. Les minutes passent. Clémentine attend dans sa chambre, je dois lui faire son lit. L’heure tourne, je ne peux m’empêcher de donner de la vie à son existence, de décoder ce qui se passe ici faute d’ailleurs possible.

 

Nous sommes invisibles et Clémentine chantonne tranquillement. Quelques gestes sûrs, elle fait son lit comme elle l’a toujours fait jusqu’à son arrivée dans l’aile Ouest de l’unité de soins gérontologique.  Son regard fixe, turquoise et ce léger sourire persistant au coin des lèvres ne laissant aucun doute quant  à son plaisir d’antan à s’occuper de ses enfants, de préparer leur chambre, de préparer leur nuit.

 

Clémentine fait son lit seule.  Mon argumentaire coule, ma  démarche de soin prend l’eau. Elle demande à être sérieusement réévaluée. Clémentine fait son lit parce qu’il est évident qu’à cette heure il n’est pas concevable qu’il en soit autrement. Clémentine est orientée dans l’espace et le temps même s’ils appartiennent comme elle à  une autre époque.

 

Bachi-bouzouk







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