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LA DECHRONIQUE de BACHI BOUZOUK


Pavillon ouvert


Clarisse est arrivée dans le pavillon en fin d’après-midi, 3 ou 4 tours de périph dans une ambulance avant qu’un hôpital daigne l’accueillir.

Vu qu’elle est en dépression depuis plusieurs mois, fatiguée, fatigable, pas faim, pas faim du tout, le regard triste, envie de rien ou pas grand chose. Et puis ces douleurs au ventre, difficiles à décrire. Comme une sensation de mal intérieur, pas diffus mais pas vraiment localisable non plus. Elle en a vu des docteurs, subi des examens, prises de sang, radios, pas de scan…

Dépressive, elle est dépressive depuis des mois, tout son entourage en témoigne, son comportement aussi. Mange plus. Parle plus. Passe son temps à dormir. A gémir.

Méconnaissable Clarisse, arrivée dans le pavillon en fin d’après-midi, 3 ou 4 tours de périph dans une ambulance avant qu’un hôpital psychiatrique daigne l’accueillir.

A peine 40 ans et une démarche de vieille, regard vide, lassé d’implorer, besoin de se poser, se poser quelque part où accepter ce destin, cette dépression. Plus faim, plus envie, fatigue, amaigrissement, tristesse et si c’était ça ?

Cette femme souffre, son visage, son corps, un livre ouvert sur la douleur.

Besoin de se poser en effet, besoin d’en finir avec toute cette histoire, cette poursuite diagnostique, cette course folle au ralenti.

Sourire habituel mais sincère de l’infirmier d’aprem, la voilà dans le pavillon des veinards, Babylone, Babylone ici tout le monde résonne. Ici yen a pas un qu’a la même maladie et pourtant tout le monde se cause, ou presque. Babylone, Babylone, va bien falloir un jour qu’il me lâche ce riff de Bill Deraime…

Cette femme souffre, son visage, son corps, un livre ouvert sur la douleur. C’est pas spécialement pour ça qu’on a appelé l’interne de garde, non, c’était la procédure de l’époque. Implacable. Tu rentres à l’hosto, tu rencontres un toubib. Aujourd’hui c’est plus souvent tu rentres à l’hosto, tu rencontres un administratif, carte verte SVP, green card please (euh ! Non ça c’est en Amérique, le droit de travailler, étrange non ?).

Il est arrivé peu de temps après, un petit gars, plutôt jeunot, interne en médecine avec le stétho autour du cou et tout et tout… La procédure toujours, en prem’s le généraliste, ensuite et si besoin d’avis psy avant le lendemain, appel d’un autre interne, en psy lui, logique et luxueux à la fois.

 Sourire habituel mais sincère, interview en règle, raconter son histoire, encore et encore même si fatiguée, fatigable, envie de rien, envie d’en finir avec tout ça, ces douleurs au ventre, difficiles à décrire.

Plus rien n’existe autour d’eux, sauf peut-être ce silence laissant croire que le stéthoscope froid fait du bruit en glissant sur le ventre de Clarisse. Plus rien n’existe autour d’eux et pourtant ce n’est qu’un banal examen de plus, presque routinier, respectant la procédure. Plus rien n’existe autour d’eux, sauf peut-être ce silence qui nous rappelle à tous que soigner c’est d’abord écouter. Plus rien n’existe autour d’eux et c’est peut-être ce qui permet à ce jeune soignant de vérifier ce bruit, cette pulsation comme il dit, au niveau du pancréas, un truc qu’il ne devrait pas entendre là.

Un petit bruit de rien du tout associé à sa perspicacité qui fait que Clarisse est dirigée une fois de plus, vers un autre service spécialisé. Un service qui poussera un peu plus, un peu mieux l’investigation pour découvrir une petite tumeur, une toute petite tumeur quelque part dans son ventre, difficilement localisable en effet. Opérable, y paraît…

Clarisse reviens-nous, dépressive ou pas, pour nous dire que ça va, au pavillon des veinards nous savons accueillir, nous savons recevoir !

Bachi-bouzouk





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