Marie RAJABLAT
L’Atelier cuisine de
Brian
S’il a pu m’arriver de faire ponctuellement la cuisine avec des
patients adultes un dimanche après-midi, je n’ai jamais voulu le faire dans le
cadre d’un atelier à visée thérapeutique. Je suis plus portée par la création
ou la mise en scène d’histoires à dormir debout et autres balivernes.
En arrivant à la Villa, Nathalie, qui deviendra par la suite ma
« commère »[1], me prévient avec sa
délicatesse habituelle : - « J’espère que t’aime faire la cuisine
parce que moi, j’aime pas ça et j’ai pas envie de reprendre ce truc là …
mais les mômes, ils aiment … ». Je « cache ma joie », comme
elle dit et décide de relever le défi. Tel le toréador je descends dans l’arène
…
C’est la
première fois que je vais me trouver seule avec Brian même si, nous avions déjà
fait connaissance tous les deux avant de nous retrouver en duo autour des
fourneaux. Cet atelier cuisine inaugural est l’occasion de reparler de
l’événement qui a fondé notre première vraie rencontre : Il y a quelques
jours de ça, alors que nous nous baladions avec le groupe d’enfants dans un
petit village, Brian repère des abreuvoirs. Toujours intéressé par l’eau,
celle-ci cascadant en plus d’un bac à l’autre, il plonge sa main au fond et
tire sur un morceau de chiffon. Sans doute s’agissait-il d’une bonde et du
coup, l’eau se répand à gros bouillons sur la route. Alors que j’observe amusée
la scène, je comprends rapidement que Brian est littéralement tétanisé. Je vais
donc à sa rescousse, lui expliquant qu’il n’a rien fait de grave et lui
indiquant les manœuvres à faire pour boucher le bac à nouveau.
Lors de notre
atelier cuisine, Brian n’est toujours pas remis de ses émotions. Il considère
qu’il avait fait une grosse bêtise et, loyal, s’attendait à une juste punition.
Nous avons eu beau déplier ensemble l’histoire, lui prouver qu’il n’y avait
aucun danger et encourager son esprit curieux, rien n’a pu le rassurer. Tout en
sortant nos gamelles et nos ustensiles, il peut m’expliquer alors qu’il a eu
peur d’être à l’origine d’une inondation, voire d’un ras de marée dans le
village… Je vais donc m’appuyer sur cet épisode et l’atelier cuisine va nous
servir de laboratoire d’expérimentation autour de ses peurs de dissolution et
son manque de confiance en soi.
Brian est un
petit garçon qui a pour caractéristique de bouger et de parler tout le temps,
comme s’il avait peur de ce qui pourrait arriver s’il cessait de bouger ou de
parler et l’atelier cuisine, au moins au début, canalise peu toute cette
énergie que je qualifierais de désespérée. Il a mille idées de recettes et le
seul objectif des premières séances est la réalisation d’un plat qui « plaise
aux autres ». Pendant ces séances, il tourne, vire, court d’un placard
à l’autre, fait virevolter la farine et les ustensiles en commentant chacun de
ses choix. Un vrai moulin à paroles. J’encourage son esprit inventif et curieux
sans chercher à limiter son « exubérance » dans un premier temps,
gageant que petit à petit, il prendra de l’assurance et s’apaisera. Après
quelques séances où il réussit parfaitement gâteaux et biscuits traditionnels,
je réussis à l’entraîner sur le terrain des expérimentations : - « Maintenant,
nous allons faire des expériences mais là, nous n’allons pas refaire la même
erreur qu’à l’abreuvoir. Nous allons prendre des précautions avant, ce qui ne
nous empêchera pas de prendre des risques aussi. Le plus gros risque étant, si
tu es d’accord, que ce que nous allons inventer ne soit pas mangeable ».
Brian me reçoit 5/5 avec un grand enthousiasme, ce qui représente beaucoup pour
lui car il ne supporte pas l’échec.
Au fil des
séances, il se régale à faire des mélanges d’ingrédients, tout en essayant d’en
prévoir les effets gustatifs. Il mélange, malaxe, triture, goûte, renifle à
tous les stades de la réalisation. Nous travaillons en véritable tandem. Je
note très scrupuleusement, les ingrédients choisis, leur quantité et toutes
sortes de renseignement sur ses préparations. Avant tout essai, il me consulte,
me demande mon avis. Nous pesons ensemble le pour et le contre. Lorsque je lui
fais parfois des suggestions, il m’encourage à en faire plus : - « Je
te félicite Marie, c’est une super bonne idée. Continue comme ça ! ».
La recherche
de formes originales lui plaît également mais il n’a pas encore assez de
patience. Je le recentre donc sur le contenu pour lui éviter de trop grosses
déconvenues pour le moment. Chaque chose en son temps.
La vaisselle est
aussi un grand moment d’expérimentation pour rendre cette opération plus
séduisante. Certes, il faut accepter de laver les murs autant que les tables et
l’évier mais, on n’a rien sans rien : il faut bien suivre le trajet de la
mousse et de l’eau et plus d’une fois, nous aurions mieux fait de mettre des
maillots de bain plutôt que nos tabliers de cuistots !
Brian et moi
sommes un peu bruyants lorsque nous faisons nos expérimentations. Ca fait
partie de l’animation de l’activité avec lui et je veille à entretenir ce tissu
sonore. Nos rires et nos exclamations intriguent, amusent et tous, petits comme
grands, passent la tête par la porte pour humer les bonnes odeurs et attendent
avec impatience de goûter nos inventions. Une émulation s’est faite entre les enfants.
Tous ont envie de faire de la « recherche » comme le dit crânement
Brian.
Brian a passé
une période où la pièce où nous faisions la cuisine était devenue un refuge. En
dehors de l’atelier cuisine, il aimait s’isoler dans cet espace/lieu de longues
journées pour y construire un Château fort. C’est dans ce cadre qu’il a pu
raconter beaucoup d’éléments de son histoire, mettre en mots ses peurs, ses
terreurs et surtout sa colère.
Comme nous le
faisions avec les préparations de Nathan, chaque semaine, nous dégustions
celles de Brian. Il est le seul enfant qui tenait à emporter un morceau de son
plat chez lui pour le partager avec sa
famille d’accueil. C’est aussi pour la dernière séance (avant les grandes
vacances) qu’il a réussi le clou de l’année qui restera joyeusement dans le
souvenir de tous, dont le sien … notre super gâteau au chocolat et au pâté …
seule production de l’année, absolument immangeable !
Marie Rajablat