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BECASSINE

Marie RAJABLAT





n° 5 Bécassine dans la « chambre de réflexion »

 

Quelle ne fut pas ma surprise en découvrant à La Villa, une chambre dite de « réflexion ». Mon premier mouvement a été un serrement de coeur. Et moi qui avais fui la psychiatrie générale et ses chambres dites « d’apaisement », euphémisme de soignants pour faire avaler la pilule amère de l’isolement aux patients. Allais-je retrouver là leur anti-chambre pour petits patients ?! Allons, pas de mauvais esprit et regardons-y de plus près…

La présence d’une chambrette dans une unité de soin pour enfants n’a rien d’étonnant en soi puisque certains ont besoin de se reposer et même de dormir, après des nuits souvent agitées. Sans compter que celle de l’hôpital de jour est plutôt jolie avec ses murs mauves et tilleuls, son petit lit et sa couette aux grenouilles rigolotes, son énorme nounours et ses autres peluches …

Cette petite pièce est repérée par tous, enfants et adultes, comme un espace de pause. Si les enfants y vont rarement d’eux-mêmes pour y dormir (cette perspective étant souvent trop effrayante), ils s’y précipitent parfois spontanément pour s’y réfugier lorsqu’ils se sentent débordés. Bien sur, il faut quelques fois aussi les y amener. Bref, qu’ils y aillent d’eux-mêmes ou sur injonction, les enfants s’approprient cet espace, tour à tour comme ring ou cocon.

 

Ce qui me surprend par contre, c’est son appellation par tous, petits et grands : « chambre de réflexion »  car je me demande  bien ce que ce mot peut évoquer pour des petits. D’ailleurs, il n’est pas rare qu’après à peine quelques minutes, voire secondes passées dans cette chambre, les enfants nous appellent en criant : - « Ca y est, j’ai réfléchi ! ». Et là, si on leur demande le résultat de leur réflexion, finauds, ils nous prennent à notre propre piège,  en nous débitant, l’air très concentré et repenti, un tas de raisonnements de grandes personnes, qui n’a bien entendu aucun sens pour eux !

 

Quoiqu’il en soit, j’ai découvert finalement combien cette pièce pouvait être un outil thérapeutique extraordinaire, après que mes collègues et les enfants m’aient montré comment l’utiliser. Elle peut être le théâtre de spectacles absolument fabuleux. 

Terry, Brian et Nathan, les enfants les plus agités du groupe[1], passent régulièrement par la chambre de  « réflexion » et s’emparent de cet espace pour exprimer leur colère, leur peur ou leur désarroi, tout ce que les mots ne parviendraient pas à faire. Ils savent que nous sommes là, sur le pas de la porte ou juste derrière, suivant l’enfant et la situation. Ils jettent alors matelas, couettes, oreillers et peluches en tous sens, bourrent de coups le petit fauteuil ou le pouf. Puis, épuisés mais apaisés, nous les retrouvons souvent lovés sous l’éboulis qu’ils ont provoqué, emberlificotés dans la couette, l’ours dans les bras, parfois le pouce dans la bouche. 

C’est aussi parfois l’occasion aussi de leur imposer une utilisation différente de cet espace pour voir ce qui va surgir, comme cet après-midi où Brian ne cesse de s’en prendre à Myrtille et Lucie, les bousculant pour leur prendre jouets, doudous ou tétine.  Je l’embarque avec moi dans la chambre, l’air très fâché, le tiens fermement dans mes bras, l’oblige à rester allongé sur mes genoux et le berce une tétine à la bouche : - « puisque tu veux faire le bébé, on y va !  Et tache de le faire bien ! ».  Si au début il se débat et se tortille dans tous les sens, très rapidement il se laisse aller, tète goulûment la tétine en me regardant d’un air béat. Lorsque nous arrêtons la séance, il me dit : - « On la refera la punition ?   ». 

 

Si la chambre de réflexion des petits avait quelque chose de magique, celle des ados, par contre, se rapproche dangereusement de la chambre d’isolement des grands. A Esquirol,[2] pas de chambre de réflexion mais une pièce dite d’apaisement, nettement moins jolie et plus spartiate. Mais beaucoup plus grande, pour qu’on puisse intervenir à plusieurs soignants. On sent immédiatement le poids des normes de sécurité, absolument pas sécurisantes, qui sévissent de plus en plus dans le monde « hospitalier » comme partout ailleurs. Pas de lit, juste un matelas au sol et une couette de billes toute moche. Une pièce tellement froide qu’elle fait froid dans le cœur, tellement laide qu’elle rend triste. Les collègues ont pourtant essayé de rendre cette pièce plus chaleureuse, plus rassurante et propice à rassembler les éclats d’enfants, sauf que coussins, poufs, doudous, couettes et oreillers ne sont pas autorisés car non ignifugés… 

Cela dit, là aussi les collègues inventent pour que s’y jouent de très belles scènes. Inoccupée, la porte est toujours ouverte afin que cette pièce puisse être explorée spontanément avec nous ou à notre insu. Calée entre la cuisine et la salle de soins, en face de la salle de télévision et de la salle à manger, elle est au cœur du service et certains enfants préfèrent s’isoler là, entourés par les bruits familiers plutôt que de rester dans leur chambre plus éloignée.

Cette pièce n’est pas une aire de jeux (il en existe d’autres) et les enfants le savent. Mais les soignants ne s’économisent pas pour se tournebouler sur ou sous le matelas/couette avec les enfants afin de  les encourager à s’y défouler si le besoin s’en fait sentir. On l’appelle aussi le « gueuloir » car on a le droit d’y « gueuler » toute sa colère, sa rage ou son désespoir.

Comme à l’hôpital de jour, parfois les enfants la prennent d’assaut eux-mêmes. Parfois il faut les y accompagner et là, tous débordés qu’ils sont, à de très rares exceptions près, les enfants veillent à ne pas nous blesser lors du corps à corps. L’effet apaisant est la plupart du temps rapide, comme Martin qui s’effondre en pleurs dans les bras de Michel après une crise clastique. Il peut lâcher toutes les questions qu’il se pose sur la mort de son père. Certains enfants nécessitent plus de temps, tel Issam, colossal adolescent, submergé pas des angoisses archaïques. Il reste blotti et béat sous la couette deux heures durant, vérifiant régulièrement que Cathy, tranquille et silencieuse, veille toujours sur lui, après notre formidable corps à corps.

 

Mes collègues m’ont appris qu’à la différence des adultes dans les chambres d’isolement, à l’hôpital de jour pour enfants comme chez les ados, tous sortent victorieux de cette pièce et l’orage passé, petits et grands peuvent reprendre le cours de leurs activités en toutes confiance et tranquillité. Sans compter que ces expériences sont souvent des moments fondateurs pour les patients comme pour les soignants.

 

Marie Rajablat

 

 



[1] Pour rappel, le 1er épisode des aventures de Bécassine : Poisson d’Avril, Santé Mentale n° 165, février 2012

[2] Unité d’hospitalisation d’enfants et d’adolescents, située sur le site du CHAC