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Carole Rouyer 

Pour savoir ce que veut dire l'espace mythique                     ou schizophrénique, nous n'avons d'autre moyen                     que de réveiller en nous, dans notre perception                     actuelle, la relation du sujet et de son monde que                     l'analyse réflexive fait disparaître."

    


    
Dans cette phrase de Maurice Merleau-Ponty, deux points me paraissent particulièrement intéressants car posant de façon claire la problématique de la position de soignant en santé mentale.
    
Le premier point ouvre à la nécessité de considérer les choses en termes de continuité. Ce "Réveiller en nous" ressemble fort à une tentative d'abolition de frontière rigide entre ce que serait le monde du sujet sain et celui du sujet "fou". Il renverrait à cette expérience d'un même rapport unique au Monde.
    
Le second point se situe comme une réhabilitation de l'expérience intuitive dans la relation intersubjective aux dépens d'une analyse distanciée qui scinde, catégorise et sépare les univers de la raison et ceux de la folie, analyse figée et observatrice, s'employant à disséquer avec froideur symptômes et autres manifestations pathologiques.
    
À ce sujet, il me semble intéressant de citer René Thom :
"C'est lui qui discrétise (le cerveau)mais il ne discrétise pas tout. Il ne discrétise pas l'espace, par exemple. Nous en gardons une intuition continue. Le temps, de la même façon, nous apparaît continu."
    
Il m'apparaît aujourd'hui combien les outils de la sémiotique subjectale ainsi que les enseignements de la phénoménologie se rélent fondamentaux dans la façon d'appréhender le sujet fou et de créer auprès de lui une relation intersubjective dont la qualité puisse lui permettre de réinscrire l'expérience de la folie dans un parcours peut être différent mais en tout cas pas étranger.
    
Il semble que la psychiatrie classique tende à faire passer l'actant d'une position de non-sujet du paraître à sujet du paraître. En supprimant le symptôme et en éradiquant la crise, elle fige le non-sujet dans un statut de malade et tente de l'orienter vers une place immobile de "sujet guéri".
    
En revanche, notre démarche serait de faire passer l'actant d'un statut de non-sujet /sujet à un statut de sujet/non sujet. Nous ne cherchons pas à faire disparaître le symptôme mais à permettre à l'actant de se l'approprier éventuellement dans un acte créateur (cf. Klein)
    
Pour un sujet cartésien, comme l'est le psychiatre, le monde est bien scindé : le soignant sujet soigne le malade non sujet.
    
Or, pour un soignant, travailler avec son cô non sujet, c'est reconnaître au soigné la possibilité de faire émerger son cô sujet.
La fréquentation régulière des lieux de soins en santé mentale m'a donné souvent l'opportunité de voir combien, devant un soignant exprimant voire forçant son cô "fou", les patients savaient retrouver tout leur bon sens !
    
Mais bien au-delà des frontières de l'hôpital psychiatrique, la nécessité de préserver un équilibre du paraître entre folie et raison ressurgit. Un équilibre terriblement figé qu'il faudrait absolument préserver.

Travailler au niveau du Vouloir par la sémiotique subjectale, c'est réouvrir l'autre à une attitude passionnelle dans le monde et s'y placer soi-même en tant que soignant. Le réintroduire dans son vouloir propre et par la médiation de l'acte de soin, dans une expérience commune, partageable. Ce qui compte alors, ce n'est pas la forme que prend le contenu du délire mais le sentiment, le ressenti qui le sous-tend et qui relie celui qui vit l'expérience délirante au sujet qui est face à lui. C'est à cette émotion contenue que le soignant doit s'adresser, permettre à celui qui la vit d'en retrouver une origine momentanément effacée par la prégnance d'un délire qui l'aveugle.
    
Afin d'accéder au discours implicite qui contient les moyens d'accéder au Vouloir, nous pourrons nous appuyer sur deux phénomènes manifestes :

- La crise comme lieu de passage, faisant partie du parcours actanciel, ne peut être considée comme un phénomène isolé. La pratique psychiatrique montre qu'il y a toujours des signes précurseurs et des manifestations postérieures. Si l'on se situe dans un regard énementiel, seul le caractère discontinu apparaît. Si, au contraire, on opte pour un regard considérant le parcours transformationnel de l'actant, on retrouve une continuité dans laquelle la crise va s'inscrire. Je citerai de nouveau le mathématicien, René Thom :

"Le caractère discret d'une transformation est une simplification réalisée par notre appareil perceptif. Nous sommes faits pour voir essentiellement les discontinuités.(…) Nous réalisons pratiquement le continu par la motricité."


- Le symptôme comme expression, marques signifiantes de l'être en mouvement. Le symptôme, c'est la fiction de l'actant fou. Or en sémiotique subjectale, la fiction n'est pas disjointe de la réalité.

    Le délire, l'hallucination sont à considérer comme un matériel, tout comme le langage, traces signifiantes de l'être qui les émet. Il en est le sujet, l'auteur à son insu. Il n'assume pas toujours ces productions. On est parlé par les productions délirantes. Il ne faut alors pas le déposséder de cette forme de parole. L'en priver c'est refuser de lui en donner un accès ou plus précisément, c'est refuser de lui permettre, de l'aider à en trouver lui-même l'accès. Un accès afin de recréer le contact entre ce matériel, production délirante, non assumée par l'actant non-sujet et le ressenti qui en est la conséquence, assumé par un actant alors sujet.
    Si "le sujet s'énonce en énonçant", ne peut-on dire que le non-sujet s'énonce en délirant ou en manifestant un symptôme ?

Ainsi, il conviendra bien sûr de changer d'optique devant les manifestations symptômatologiques des patients :
    "En son temps, Freud avait par exemple avancé l'idée selon laquelle le délire pouvait représenter une tentative de reconstruction. Ne pourrait-il en être de même en ce qui concerne les agirs auto-agressifs de patients limites qui trop souvent au décours d'un tel acte ne rencontrent qu'angoisse, rejet, voir sadisme venant de la part des soignants ? En bref, ces agirs ne peuvent-ils être considés que sous l'angle de la destructivité ou bien sont-ils également des agirs à visée salvatrice ?
        

                    
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"La science manipule les choses et renonce à les habiter."


    
Comment mon choix, travailler autour de l'actant limite, convoquait d'emblée la notion de continuité de la sémiotique subjectale.

Si j'ai choisi de travailler sur le discours d'actants "limites", renonçant par làme à la tentation de la fascination conceptuelle que m'inspirait le discours psychotique lors de mes premiers pas, quotidiens, auprès des malades "mentaux", c'est que, pour reprendre Hervé Bokobza, l'état limite réinterroge en permanence le champ clinique.

Et c'est par cette interrogation même que se remet en cause, ostensiblement, la vision discontinue d'une psychiatrie institutionnelle classique, classificatrice et fixiste, opposant dans une logique bi-partite le monde des névroses à celui des psychoses.

Le paysage psychiatrique a changé. Les cas d'école qui défilaient sous les regards curieux des éves de Charcot, les grands schizophrènes aux hallucinations florissantes, les paranoïaques dont les délires en réseaux s'enchevêtraient interminablement dans une froideur rigoureuse, affichent désormais autrement leurs symptômes.

Il n'est donc plus question de voir ce qui sépare définitivement le sujet malade du sujet sain mais au contraire dans une perspective en continu, de considérer l'origine unique de leur rapport au monde.
Incarnation de ce questionnement, l'actant, que je nommerais actant-limite, se place précisément à lendroit de césure artificiellement choisie pour délimiter les champs classifiés de la folie. Celui-ci met ainsi en échec les chemins, balisés de symptômes, qui tentent encore d'orienter un diagnostic répertorié, codé en chiffres et lettre.
C'est dans cet espace intermédiaire, frontière, ainsi qu'à tous les points d'articulations des terminologies psychiatriques, que vient s'interposer cet actant comme s'il cherchait àjouer le piège d'un enfermement que tenterait de lui imposer une nosologie tyrannique. Comme s'il cherchait aussi à se faire une place, oubliée dans une logique binaire séparant d'un même geste, l'homme sain de l'homme malade, le fou du normal, la surface du fond, l'esprit du corps.
Cet actant limite, nous le retrouvons aujourd'hui, de plus en plus présents dans les services psychiatriques. De nombreux patients, jeunes, en rupture de vie sociale, naviguant entre divers états pathologiques viennent en bouleverser les catégories préexistantes. Maud Mannoni parle ainsi "d'une nouvelle clientèle moins conforme aux schémas classiques de la névrose : certains de ces patients, écrit-elle, semble souffrir d'une crise d'adolescence interminable, leur fragilité narcissique les rangs plus vulnérables.(Borderline , ou cas limites)"
Instabilité et polymorphisme symptômatologique en sont les dénominateurs communs.
Nous tenterons dans un premier temps de repérer certaines invariantes dans la description clinique de cet actant.
Ce sont des sujets qui manifestent des comportements ou des états en apparence inconciliables. On peut faire une analyse des termes qui illustrent classiquement les descriptions cliniques : impulsivité, instabilité, imprévisibilité, excès, perturbations identitaires, changements d'humeur, passages à l'acte impulsif, sentiments de vide...
Le sujet limite est particulièrement caractérisé par les deux manifestations citées prédemment : la crise et une symptomatologie polymorphe.
Son parcours est marqué par des crises clastiques fréquentes, passages à l'acte agi ou non-agi et il montre une diversité des symptômes qui déroute souvent les soignants.
Qu'est-ce qu'un sujet limite ? inclassables, inclassifiables, manifestant des comportements paradoxaux du point de vue de la sémiologie psychiatrique. "Des patients qui ont toujours constitué un défi aux classifications nosologiques".

Afin d'envisager les choses dans une perspective sémiotique, nous pourrons considérer l'actant sous une double dimension :

D'un point de vue paradigmatique (identité) :
Paraître : identités multiples et contrastées
Être : faille identitaire.
C'est le fait de penser ou d'être pensé fou qui fait le fou. Pour le psychotique, il est pensé fou par les autres. (Déni de pathologie). Pour le sujet limite, il se pense fou.

Syntagmatique (parcours) :
Indispensable pour approcher le sujet. Négliger par la psychiatrie classique. Indispensable si on veut retrouver une continuité qui nous permette de concilier ce qui paraît inconciliable du point de vue du sujet-raison.
Beaucoup d'auteurs parlent d'instabilité stabilisante. L'instabilité est placée au plan structurel. Elle semble répondre à l'absence de limite dehors-dedans. Un énement parfois mineur semble marquer dans le parcours une cassure qui délimite le temps : avant et après, cassure qui prend la place d'un tiers actant transcendant, projection d'un tiers actant immanent
Dans son parcours, le Sujet limite met en place un programme de quête, celle de son identité. Ce sujet de quête se perd dans la recherche.
Lors de la crise, l'actant est non sujet (Temps de l'expérience, T0) puis redevient sujet (reprise, T+1). Mais chez le sujet limite, le vécu et l'analyse de l'expérience peuvent être contigu. Ce qu'on peut en déduire, c'est que l'actant se montre sous un paraître non-sujet. C'est la différence entre un délire psychotique dont la critique, l'analyse, arrive après (T+1) et une manifestation délirante d'un sujet limite, ou hystérique, où le temps entre le vécu et l'analyse se réduit considérablement.
"J'ai l'impression d'être psychotique"
Il apparaît alors que la démarche de ce type d'actant est une recherche du processus délirant. Le délire ou l'hallucination est désiré, provoqué, utile à l'actant comme mode de protection. On peut parler d'un désir d'être non-sujet.
"Le délire, c'est une chose agréable. On est en complète liberté. Il n'y a plus d'interdit. Ça détache des liens que nous donne la socié"

Nous insistons ici sur une différence de nature du symptôme, différence à considérer comme essentielle dans le traitement des patients sujets-limite.
Il est à noter que ces sujets utilisent le symptôme sur un mode protecteur qui se substitue alors à une frontière entre dedans-dehors, limite entre eux-mêmes et l'autre. Ils ne peuvent être que dans la fusion ou dans la séparation. Le symptôme les sépare de l'autre et la disparition du symptôme passe par la fusion avec l'autre.
De même, il semble que l'autisme apparaisse comme une protection contre l'apparition des troubles schizophréniques.

Faire la différence entre un symptôme subit et un symptôme choisit permet d'appliquer une thérapeutique adaptée. Les premiers sont dordre transcendant (délire, hallucinations), les seconds, dordre immanent (angoisse…). Le sujet "mentalement sain" transcendantise le tiers actant et le situe dans un domaine collectif, partagé.(projection) Le sujet fou transcendantise le TA et le situe dans un domaine individuel, (ego, enfermement projection délirante). Le sujet limite immanentise le TA. (Introjection), Dans certains cas, il existe des introjections délirantes du TA. (Hypocondrie, mélancolie délirante …)

La différence de nature des symptômes permet parfois d'expliquer les échecs thérapeutiques successifs dans le cas des traitements de sujets limite.
Le symptôme ne doit pas alors être éliminé, parcqu'alors il ressurgirait sous une forme différente, mais utilisé dans la thérapie.
Au-delà du polymorphisme des symptômes, on pourra retrouver une continuité. On échappera ainsi à l'idée de rupture induite par des manifestations symptômatologiques discontinues.

Double position du symptôme vu ici comme la manifestation d'un tiers actant.
- Subit : TAt, NS, O
- Choisit : TAi, S, O (il s'agit d'un actant sujet héronome, sujet déontique, mode du devoir :"il fallait que je casse quelque chose".)

On ne peut approcher, comprendre, aider le sujet limite, qu'en adoptant un point de vue différent de celui du sujet raison ou cartésien. Sinon, on se laisse prendre, tromper par une apparence d'incompatibilité. Mais ceci même a une signification et, en adoptant le point de vue du sujet passion, en retrouvant les creux qui manquent on recrée une continuité, un "il y a» , on accepte le parcours et ses instabilités pour ce qu'ils sont. On part sans présupposés.
Le sujet limite, entretient avec le monde délirant, sensible, une circulation sans barrière. Sans les barrières habituellement mises en place par la raison.
La souffrance ressentie par de tels sujets est souvent liée à l'incompréhension, à l'impossibilité qu'il leur ait donné d'exprimer ce qu'ils tentent de signifier par leur instabilitéme.
Le moyen est peut-être de rétablir cette communication sans à priori. Les rattacher à une expérience partageable par tous.
IL est donc nécessaire de leur offrir une place dans le présent, une position entre fusion et disjonction, et ceci par l'expérience et non par l'explication.

Impossible de trouver une position d'équilibre entre la fusion et la disjonction. Une définition pour établir ce que nous entendons par sujet-limite serait celle-ci : Un sujet qui se situe à la frontière de deux positions existentielles : sujet sensible/sujet coupé.
Symptômes paravents : chaîne signifiante : le paraître
Parole du sujet ; chaîne signifiée : l'être.



Ce qui est dit, signifié, situe l'actant comme sujet. La façon dont cela est signifié, symptôme, tend à le faire passer pour non-sujet.
        
    

Position cartésienne             Position phénoménologique
« Je pense donc je suis » « Je suis donc je pense »

Sujet raison                    Sujet passion

Paraître                     de l'apparaître à l'être

Binarité structurelle :                ligne continue entre deux pôles
vrose vs psychose     vrose----------------------psychose
Schizophrénie vs paranoia     schizoph.--------------------Paranoïa

conception discontinue            la crise est incluse dans le     de la crise                    parcours

symptômes V sujet symptômes : manifestations par                             lesquelles l'être s'énonce                                     (apparaître)

question du pourquoi : question du comment :
causalité parcours transformationnel

objectif thérapeutique :
suppression du symptômes dépassement du symptômes :                                  assomption, appropriation
                        
création


marche thérapeutique :
distance relationnelle entre                 relation intersubjectale
soignant et soigné.                     expérience partageable
Observation                        ressenti/empathie
Rechercher énements (anamnèse)         retrouver expériences


guérison : critique du délire guérison : assomption, relation                             binaire, réarticulation des                                 différents états du sujet.                              appropriation du vécu délirant.





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"si apparemment une telle conception ne peut répondre aux espoirs méthodologiques des scientifiques d'aujourd'hui, elle contribuera peut-être dans le cadre d'une pratique, à une meilleure compréhension de la                 souffrance de l'homme." {187}

Le cas de Sandrine

Nous parlerons aujourd'hui de Sandrine et par l'étude de son parcours, fort chaotique, nous tenterons de montrer combien les outils de la sémiotique subjectale sont précieux dans la mise ne place d'une relation thérapeutique permettant de sortir de l'impasse souvent incontournable de l'appareil institutionnel.
Nous verrons qu'il est important, avant toute chose, de rechercher une continuité, en apparence, tout est signe d'instabilité.
En effet, ce que Sandrine montre c'est une totale discontinuité des symptômes, des actes, du discours verbal, de la thymie.
Elle peut dans une même journée passer d'une humeur enjouée à une totale dysphorie, verser d'un état hyperactif à un retrait quasi autistique, participer aux ateliers thérapeutiques et s'y investir puis moins d'une heure après, exploser dans une crise clastique où elle casse la totalité de la vaisselle de l'unité, quand ce n'est pas la tévision ou l'ordinateur de la secrétaire.
Totalement imprévisible, déroutant les soignants qui pourtant la connaissent bien, capable de performances physiques étonnantes (elle participe à un groupe d'escalade et s'y montre tout à fait agile) puis d'éclats destructeurs d'une grande violence, on a la sensation qu'elle cherche à échapper, à être là on ne l'attend pas, àjouer toute élaboration logique, sensée qui pourrait venir l'enfermer à une place fixe.
Son discours verbal est souvent figé, reprenant indéfiniment son histoire : naissance difficile, inceste du père. L'évaluation qu'elle fait d'elle-même est souvent paradoxale : Je suis nulle, je suis très douée pour le piano, est-ce que je suis mongolienne ?
Nous constatons que cette évaluation, en tout cas l'évaluation qu'elle dit faire d'elle-même est totalement variable et paraît de ce fait assez inauthentique.
Elle adopte souvent les pathologies des patientes qu'elle voit arriver dans le service. Il suffit que l'une d'elles attire l'attention plus particulièrement pour que deux jours plus tard, Sandrine adopte quasiment les mêmes symptômes
Face a cette extrême variabilité, la psychiatrie institutionnelle se perd cependant à chercher une logique, à reconstruire une pseudo-- continuité de son histoire à laquelle elle participe d'ailleurs largement se disant en proie à un destin incontournable. Mais aucune logique classificatrice ne peut s'appliquer, et les psychiatres répondent au coup par coup, souvent par tâtonnement, à des symptômes utilisés par le sujet comme pour fuir ce nouvel enfermement.
    
Tout ce paraître instable aux manifestations symptomatologiques polymorphes ne permet pas, on le voit, d'accéder au sujet dans une perspective thérapeutique. Le constat fait après deux années d'hospitalisation est : de la part de Sandrine, "on ne me comprend pas", de la part de l'équipe "on n'y comprend rien", « on

Il m'est apparu important de chercher ailleurs la continuité de l'être et c'est au travers du corps qu'il me semble être possible de la trouver. Ce corps utilisé par Sandrine comme un lieu offrant enfin un sens, ce corps, victime de violences perpétuelles, que ce soit sous la forme des soins donnés par l'équipe et d'ailleurs réclamés par Sandrine de façon plus ou moins explicite (piqûre, perfusions, sondages, gavages gastriques quand elle refuse de s'alimenter), des contentions en cas de crise, des automutilations de Sandrine elle-même quand l'équipe ne répond pas par un acte "violent" à des comportements destinés à attirer l'attention.
Nous aboutissons, dans cette perspective, à l'équivalence suivante :
            
Exister = souffrir,

"Je fais des bêtises, quand j'ai l'impression de ne plus exister".
"Des fois, je pense que je ne suis plus rien. Alors, je casse quelque chose ; aps, je me sens plus calme".
Équivalence relayée par un imaginaire où la douleur donne une identité possible, la seule possible sans doute pour elle.

La confusion jouissance/souffrance trouve sans doute son origine dans le vécu traumatique de Sandrine, mais tomber dans la logique de cette pseudo-continuité "logique", ne sert à rien. Tomber dans toutes ces évidences ne permet pas au sujet de chercher une autre voie possible.
Nous avons un actant du paraître. Sujet, non sujet ? La question est indéfiniment posée. Est-elle consciente quand elle casse ou non. Est-elle responsable de ses actes ? Si on interroge Sandrine, elle dit :

"Parfois, je casse tout car je n'arrive pas à expliquer mon angoisse. Parfois je le fais exprès pour qu'on s'occupe de moi et parfois je ne le fais pas du tout exprès. Parfois j'ai envie de mourir car je me dis que mon passé a éduit àant."

"J'ai une voix dans la tête qui me dit "non, ne fais pas     ça", mais mon corps est plus fort que ma voix, cest-à-dire que je ne peux pas contrôler mes gestes. J'ai beaucoup de mal àaliser ce que j'ai fait, il faut longtemps après quand je le fais pas exprès. Cest-à-dire quand je le fais pas exprès, c'est une façon de parler, car je le fais jamais exprès mais il y a quand même une difrence. Quelques fois, je veux me rendre malade pour qu'"on s'occupe de moi et il y a des fois où je le fais vraiment pas du tout exprès. C'est une force intérieure qui me pousse à faire ça. Ça me détend, ça me fait oublier mon angoisse. "

Nous voyons que, dans tous les cas, qu'elle ait conscience ou non de rechercher une diminution de l'angoisse, une baisse de tension dans un programme déterminé, Sandrine est sujet de son acte. La force intérieure qui la pousse, expression d'un corps sujet autonome, vient soulager son psychisme d'une tension intolérable.
Nous pouvons donc repérer chez elle, une continuité :
Un paraître soit sujet héronome (un Destin qui la fera vivre toute sa vie dans les hôpitaux) ,soit non sujet, qu'elle utilise pour masquer un être sujet, et se manifestant dans la continuité de sujet souffrant.
Pour Sandrine, casser, se mutiler, s'inscrit ici comme un devoir. "Il fallait que j'explose", dit-elle. L'idée s'impose alors qu'elle cherche sans la trouver une instance faisant fonction de loi, quelque chose qui la limite afin de faire baisser une tension intérieure se manifestant sous forme d'angoisse.
Loi absente puis que l'inceste paternel, connu de tous, ré inlassablement par Sandrine comme présentation première de sa personne, n'a jamais é porté à la connaissance d'un juge. Serait-ce l'absence de cette réparation qui pousse Sandrine à interpeller sans cesse l'institution, à se révolter véritablement contre elle ? L'hôpital serait-il devenu une figure du Père à qui Sandrine demanderait des comptes ? Figure du père qui concentrerait en elle toutes les ambivalences : attachement fusion/ Haine disjonction. Cette figure reglerait-elle sur son modèle tout son rapport au monde ? Lieu où malgré toutes ces demandes de sortie, elle finit toujours par se réfugier et où finalement, elle arrive aujourd'hui à progresser.

Le problème posé reste celui de l'intervention de la loi comme ément organisateur du psychisme de Sandrine. Incapable de donner une valeur positive ou négative à ses actes comme à ceux d'autrui, l'inceste du père lui a-t-il, il

"Mon père a fait quelque chose de malsain enfin, c'est ce     qu'on dit dans notre pays et en France mais moi j'appelle pas ça malsain car j'étais consentante".

Elle teste, provoque, interrogeant sans cesse l'institution sur un ordre du monde qu'elle ne parvient pas à reconnaître comme pouvant être le sien.
La nécessité d'introduire ici un tiers actant transcendant extérieur à elle, sous la forme neutre d'un juge, réparateur du dommage qu'elle a subi, et ceci de façon ponctuelle, pourrait sans doute lui permettre de sortir de la domination des tiers actants immanent qui l'enferme quotidiennement sans qu'elle n'arrive à les identifier. Ici, la loi introduirait un sens commun, une instance qui la relierait aux autres et qui rétablirait une communication possible non au niveau du paraître mais au niveau de l'être, de sujet à sujet. Si Sandrine a la sensation de ne pas être comprise, c'est parce qu'on répond au sujet du paraître montré, instance développée sur le mode protecteur contre la menace toujours présente d'anéantissement de son être. L'introduction d'une instance tierce, ordonnatrice, réparatrice permettrait de rétablir une communication non faussée.

La question qui se pose toujours au sujet d'un actant limite, c'est : est-il fou ou non ? La sémiotique des instances peut nous aider àpondre à cette question fondamentale non pour fixer définitivement le sujet dans un statut figé mais pour le soigner. Parler de névrose ou de psychose n'est pas suffisant. La tentation de la folie dont sont l'objet certains patients ne doit pas nous tromper. Les symptômes sont de l'ordre du paraître et non de l'être. Par l'étude d'un discours clivé entre l'envie de jouer le fou et le désir de se faire enfin reconnaître comme sujet, on peut établir avec l'actant limite une relation de sujet à sujet et l'aider à ce qu'il accepte enfin de se reconnaître lui-même comme sujet
L'actant limite est continuellement fluctant, en lutte contre la dépersonnalisation et multipliant les épreuves de réalité (suicide, mutilations, relations affectives chaotiques). Il lutte en tant que sujet contre l'envahissement du non sujet.
S'il est sujet, il est incapable de faire face car il n'a pas intégré la certitude de lui-même (corporelle, identitaire, et psychique et il se laisse aller et favorise, joue le non sujet de façon presque contra-phobique). À la fois fasciné et terrorisé par l'envahissement de la folie, il est dans une position terriblement instable.
En réinterrogeant sans cesse le champ clinique, ces pathologies si fréquentes nous invitent à ne plus considérer l'éventail des maladies mentales de façon discontinue et àpasser ainsi l'enfermement dans lequel bien trop souvent l'institution et l'appareil psychiatrique risque, au détour d'une nosologie contraignante, de figer le fou.
    
    "Je suis nulle part de partout. Je suis complètement dispersée entre des trucs. J'arrive pas à rester au même endroit.
J'ai besoin d'être partout".
                                ronique L.




Maurice Merleau Ponty, la phénoménologie de la perception,
René Thom, Prédire n'est pas expliquer, Champs, Flammarion, p.63 et 64
Émile Benvéniste
{
147 Les états limites AFPEP}"
Préambule, in Les Etats Limites; A.F.P.E.P., 1993, p.11
C.I.M. 10 : Classification internationales des maladies mentales.
Maud Mannoni, Devenir psychanalyste, Ed. denoël, Coll. L'espace Analytique
ronique L,
Philippe L.

Carole Rouyer, infirmière de secteur psychiatrique, Ste Anne

Maitrise de Littérature Française
DEA « Analyse sémiotique : le sujet limite »
Actuellement, doctorat en cours