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Un travail de fourmi

Il est 19h45 quand j'ouvre la porte du service. Souvent quelques patients essayent de trouver un peu de calme, assis sur les fauteuils installés à l'intention des visites, juste à l'entrée du service. Il n'est pas rare d'évaluer, au moment où l'on ferme la porte derrière nous, le climat de tension du service. Certaines nuit, on doit se frayer un chemin jusqu'à la salle de soin, le poids de l'angoisse se lit sur les visages. Connus ou inconnus, tous nous interpellent concernant une demande personnelle adaptée ou délirante… Après 15 à 30 mn de transmissions, entrecoupées par les patients qui ont bien du mal à respecter ce temps soignant, nos collègues de jour se préparent à partir. Quand l'équipe d'après-midi quitte le service, la porte se ferme en principe jusqu'au matin.

Dans l'organisation de notre travail, nous avons choisi en équipe de donner les traitements du soir à 20h30, ce qui nous permet d'avoir une relation personnalisée avec tous les patients hospitalisés. Ce moment est particulièrement important, il faudra trouver pour chacun le mot qui rassure, celui qui aide à contenir, à recadrer, ou tout simplement celui qui fait sourire, qui fait lien dans la relation thérapeutique.

Bien difficile ce soir avec Melle B. (hospitalisée en H.D.T , avec actuellement une prescription médicale de soins intensifs en isolement et des temps courts dans le service autour des repas) de trouver les mots et les réponses, elle nous interpelle toutes les 3 minutes, elle exprime un vécu délirant et un sentiment de persécution, le déni des troubles nous met souvent en position de persécuteur. Elle nous identifie à Satan, elle projette sur nous son vécu délirant de putain … Le bain qu'elle prendra accompagné d'une soignante pour qu'elle puisse se poser, se reposer, tenter de recoller les morceaux de ce corps éclaté par la maladie, ne suffira pas ce soir pour calmer la tension destructrice qui l'envahit. Nous serons bientôt obligé de la reconduire en micro-unité puis en isolement, la souffrance qu'elle exprime est insupportable pour les autres patients. La " fonction contenante " de l'isolement, espace réduit afin d'atténuer l'effet de morcellement qu'induit la décompensation psychotique, sera elle aussi insuffisante et nous serons obligé d'appeler du renfort. Melle B. tape à la porte de l'isolement, cris de plus en plus fort, aucun mot ne la calme, nous devons alors recourir à un traitement sédatif et l'injection prescrite en cas d'agitation sera bientôt préparé et faite.

Le passage du jour à la nuit peut être un moment particulièrement douloureux de la journée, dans le sens où le soir peut représenter une fin, donc induire un vécu morbide. Entre veilleur et infirmier de nuit, une des différences pourrait être : la fonction " du marchand de sable " des tout petits. Nous sommes effectivement là, pour veiller au bon sommeil et repos des patients. Il semble également important que l'espace soit calme et peu éclairé. A partir de minuit, l'ensemble des lumières sont éteintes, seules restent les veilleuses qui diffusent une lumière suffisamment faible pour ne pas gêner le sommeil des patients, mais qui restent suffisantes pour rassurer.

La fourmilière de la journée est loin, et à 2 heure du matin, on peut entendre la pluie qui tombe sur les carreaux, le grincement d'une porte, le bruit sourd d'une porte d'isolement sur laquelle quelqu'un tape avec plus ou moins d'intensité … Il est parfois difficile de localiser les bruits mais avec l'habitude, certains, nous sont très familier.

Entre une heure et deux heures, je croise presque toutes les nuits Mme A, qui se lève pour aller aux toilettes, et va ensuite fumer une cigarette. Pour cette patiente qui est depuis des années hospitalisée en HO, aujourd'hui encore très délirante et dans le déni de la maladie, ce rituel peut prendre sens. Une heure, c'est aussi le moment où elle peut venir nous demander son somnifère quand on n'a pas été la réveiller à 23 h00 pour le prendre . Quand on ne va pas la réveiller à 23 h, c'est parce que l'on sait qu'elle dort, même si elle se réveille une ou deux fois. Et quand elle prend son somnifère à 23 h00 elle se lève encore , au moins une fois dans la nuit. On peut penser ce moment et essayer de construire avec Mme A un lien thérapeutique qui serait celui de la responsabilisation par rapport au traitement et à ces troubles du sommeil. Il y a quelques mois, quand elle demandait son somnifère à 1 h 00, et que je refusais de lui donner en lui expliquant la raison, elle se montrait très agressive, revendiquant le droit de l'avoir puisqu'il était prescrit. Aujourd'hui elle ne viendra pas forcément prendre son somnifère à l'heure adaptée et définie par le cadre thérapeutique, mais quand elle le demande à 1 h 00 et qu'on refuse de lui donner en lui expliquant toujours la raison, elle accepte d'entendre cette réponse. Elle va fumer sa cigarette sans nous confirmer oralement son consentement au respect de cette règle, mais il semble que petit à petit elle accepte par ce biais, entre autres, une certaine alliance thérapeutique avec les soignants…


Hélène Lopin
Infirmière-psychiatrie générale
Secteur 20



Le marchand de sable

La fonction du marchand de sable, ce doit être vers où l'idéal de l'infirmier de nuit doit tendre : il doit forcément aimer la nuit, et le sommeil que celle-ci suscite, il doit porter en bandoulière, un sac inépuisable de réponses apaisantes. Dés qu'il entre dans l'unité, il met en place un rituel qui prépare le groupe de patients au repos, peut-être autour de la distribution des traitements du soir, et de la tisane, et ici la manière dans le geste, fait la différence : où une simple prise de médicaments se transforme en quelque chose de plus convivial, au delà de l'hôpital, quelque chose d'humain et de chaleureux, un tissu de liens relationnels … En effet, on ne peut prétendre faire dormir des patients en étant soi même insomniaque, et on ne peut les apaiser quand on est inquiet, ou si l'on a le cœur sec. Les patients, qui sont psychotiques, vivent, en quelque sorte, par procuration : ainsi, nous sommes des exemples pour eux, et il est donc impossible de leur demander d'être ce que nous ne sommes pas capables d'être nous même.


Jean-marie Soret
Infirmier-Unité intersectorielle de réinsertion
Secteur 20




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