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C’est pas la mère qui prend l’homme

Un entretien banal dans une unité de psychiatrie banale. L’infirmier qui mène l’entretien se définit comme un professionnel. Constamment le personnel, le vécu du soignant font irruption dans le soin. Entre réparation de l’autre, de soi et soin où est la frontière ? L’article invite le lecteur à s’embarquer au pays d’un soin où les fantômes de l’un chassent les fantômes de l’autre. Plus que face à une personne, nous sommes confrontés à des systèmes qui nous aspirent, à notre corps pas toujours défendant. Pour soigner certaines personnes alcooliques, il faudrait parfois renoncer à être soignant.

JE SAIS L’ALCOOL

Il tourne, tourne et retourne encore. La cigarette tétée comme une bouffée d’air que l’on aspire pour ne pas se noyer. Il s’est échoué il y a deux jours sur la grève après un passage aux urgences pour se laver de l’ingestion d’une boite de somnifère quelconque. Et depuis, vague après vague, il sort sur le perron de l’unité pour respirer un peu d’air du large. On dirait un marin condamné à la terre. On dirait une vigie en attente d’une terre hospitalière Mais ceux qui ont bourlingué savent bien qu’il n’existe que des Centres Inhospitaliers. Il boit. Encore et encore. Comme s’il devait assécher l’océan, comme s’il était la terre mère, comme s’il devait éponger toutes les peines du monde, comme s’il biberonnait les larmes amères de toutes les femmes de marin morts en mère.

Et moi, je tourne autour. Comme un dément déambulateur, je fais des cercles concentriques autour de lui Il faudrait que je sois comme un morceau d’épave emporté, bercé par les flots.

Je sais l’alcool. Je sais ces journées qui n’en finissent pas, le temps arrêté au comptoir, ces chaises de bistrot loué à l’année comme les chaises de l’église. Je sais cette bouche avide qui attend le corps d’un Christ/Surmoi qui ne viendra jamais. Je sais ce monde d’homme qui se fabule. Dans une autre vie, j’étais là, attablé avec les autres adolescents, sur la chaise encore chaude de mon père, comme s’il me l’avait léguée. Je sais ces cuites mythiques que l’on se raconte entre deux tournées.

Oui, je connais ces milords l’arsouille, ces soiffards, ces buveurs, ces ivrognes. J’ai tiré des bords avec eux, bien avant d’être infirmier. Je tenais la marée comme on dit. On n’est pas sérieux quand on a dix sept ans. J’étais l’un deux. Ce n’étais pas mon destin de le rester. N’empêche, je me souviens.

Et ce souvenir tranquille d’un qui n’était pas moi, et ce souvenir parfois difficile d’un père qu’il fallait déshabiller et coucher, d’un père qui pérorait inlassablement jusqu’à la noyade, jusqu’à l’aphasie je le porte en moi comme un sésame chaque fois qu’une de ces bouches avides vient téter l’institution qui me nourrit. Réparer, dites-vous ? Peut-être. Mais j’ai en mémoire tellement d’histoires chantées, beuglées, partagées que je remercie parfois le muscadet de les avoir suscitées.

LES HISTOIRES DE YANN 

Les récits de gueule de bois sont sinistres. A l’élan, à la vie facile, à l’articulation aisée succèdent le dépit, la honte, le remords. Le Moi idéal se fracasse contre l’Idéal du moi.

Anéanti Yann ? Oui, et muré dans une tristesse que seuls des galions de rhum pourraient dissiper.

Ce serait la mère qui raconterait le fils. Comme toujours, comme à chaque fois. L’alcoolique, on en parle toujours à la troisième personne. " Il "

La mère de Yann ? J’imaginais une de ces paimpolaises voûtées par l’attente, par les avanies, une de ces saintes du quotidien que l’alcool finit par façonner. La femme qui me demande de lui expliquer le traitement de Yann est une femme enfant, une femme copine ; tellement juvénile qu’elle pourrait être sa sœur ou sa compagne. Elle m’aurait demandé de lui dessiner un mouton que je n’aurais pas été plus surpris. Le traitement de son fils. Que désire-t-elle réellement ? Une limite ? Vérifier ce que nous mettons dans le biberon ? Contrôler cette mère par procuration que pourrait être le lieu de soin ? Trouver une oreille compatissante qui chantera la noblesse de ses sacrifices ?

UN CAPITAINE DE 15 ANS ?

Qu’en pense Yann ? Il consent à ce que nous parlions ensemble. " Nous ", " ensemble " ? Comment parler avec celui qui n’a pas de parole ? Ses actes parlent pour lui Il consent à être présent, à entendre sa mère parler d’un autre qui n’est lui qu’en partie, il se prépare déjà à baisser la tête. Combien d’entretiens de ce type a-t-il subis ? Il consent à ce que je me refuse à entendre parler de lui s’il n’est là. Mais n’est-ce pas pire encore ?

Dans l’unité le vent souffle, une tempête s’annonce, d’autres errants sont attendus, il faut trouver un abri pour accueillir le récit des turpitudes de Yann, les espoirs déçus, l’alcool et les cuites qui s’enchaînent comme autant de marées. Tous les recoins sont occupés. Mes collègues ont pris le quart auprès d’autres marins en perdition. Je n’ai pas le choix, nous allons devoir échanger sur le pont, à l’accueil, porte ouverte, en plein vent. Sans protection. Nous nous installons au fond sur les trois fauteuils en ligne. A tribord Yann, à bâbord sa mère. Une hérésie diraient les experts en communication. Il est clair que dans une telle configuration, les échanges passeront par moi. Je suis dans la position de celui qui sépare la mère et le fils, mais je suis aussi celui qui fait circuler la parole entre eux. Etrange équipage en vérité. Un seul point fait converger les regards : la ligne d’horizon, le cap à tenir pour rejoindre le lieu d’escale ou le but du voyage. Nous sommes " dedans " mais nos regards vont dehors, comme si nous étions aux commandes d’une nef folle. Je suis en position de capitaine. Mais j’ignore tout de la destination. Ils m’ont posé, là, entre eux. Et je n’ai pas eu le réflexe de tirer ma chaise pour trianguler. Ils ne se regarderont pas. Nous sommes sur la même ligne. Comme des femmes de marins qui attendent le retour de l’absent. C’est tout " naturellement " que je me suis installé à cette place. Comme si elle était mienne de toute éternité. Je me suis évidemment posé la question de la place, mais à aucun moment je n’ai perçu la possibilité de faire autrement, tout en le regrettant. Et je suis installé avec eux, à attendre. Attendre quoi ? Le retour du marin ? Le retour de mon père parti en bordée ? Le retour de ma mère, morte, dont le deuil impossible légitime les bitures de mon père ? Jamais l’étymologie d’entretien ne me semble avoir été si vraie : " tenir ensemble ".

Je suis en position de Capitaine. Normalement les clients donnent la destination de leur voyage et c’est le capitaine qui calcule la route, en fonction de ce que désirent les clients. S’il s’agit d’une croisière utilitaire, il va au plus court. S’il s’agit d’une croisière pour le plaisir ou pour l’aventure, il choisit l’itinéraire en fonction de sa beauté, de ses difficultés ... Là, ni eux, ni moi ne connaissent la destination. C’est comme si c’était prendre la mer pour prendre la mer. Il faut déterminer avec eux le pourquoi du voyage, le but et le chemin : veulent-ils faire une traversée (être en pleine mer) ou du cabotage (ne pas s’éloigner de la terre) ?

" JE COMPRENDS MON FILS "

" Il faut que mon fils fasse des activités. Ici, il tourne en rond, il s’ennuie. "

On tourne en rond lorsqu’on fait des exercices. Tirer des bords, c’est apprendre à virer de bord lorsque l’on n’a pas de cap à tenir ; le but de la sortie en mer est alors d’apprendre à naviguer. On tourne en rond lorsque le temps est gros, la route difficile et qu’il faut attendre pour avancer. On tourne également en rond lorsqu’on est perdu. Le capitaine peut être un fin navigateur, s’il n’a pas de destination, il tournera en rond avec son équipage. Que me demandent-ils ? De continuer à tourner en rond ? De rester à quai ?

Je montre le planning et les différentes activités/voyages proposées. J’aurais pu lui demander pourquoi il fallait que Yann fasse des activités. Je l’aurai contré d’emblée. Or, j’ai pris une position basse. Je réponds aux questions qu’elle se pose quant au traitement de Yann. C’est le but officiel de l’entretien. Je ne vais pas commencer à interroger ses questions. Je romprai le contrat posé.

" Peut-être que quand on est triste, on n’a pas envie de faire. "

Yann acquiesce. " Il " est dans l’entretien. " Je " porte une part de sa parole. C’est une définition minimum mais il y souscrit.

" C’est à l’infirmier de motiver le patient. " Le jeu relationnel est en train de se dessiner. Est-ce une question de motivation ou de destination ? Ce serait au capitaine de choisir la destination et il ne resterait plus ensuite qu’à le détourner de la route choisi, de telle sorte que l’on puisse continuer à tourner en rond ? Je ne peux accepter cette définition de mon rôle, elle maintient Yann dans une position passive et cherche à me mettre dans une position haute qui serait par définition fragile. Je ne sais toujours pas où nous devons aller. Certes, j’aurais pu me tourner vers Yann et lui demander ce qu’il en pense, mais il n’aurait pu que souscrire à ce que dit sa mère. S’il est triste, il ne peut se motiver lui même.

" Comment vous feriez, vous, pour motiver votre fils ? " A chacun son rôle. Les clients choisissent la destination, et le capitaine les y mène. J’entends par là qu’elle est partie prenante dans le manque de motivation de son fils mais dans un registre acceptable par elle. Il s’agit d’une demande de conseil. C’est comme si je lui demandais de choisir un itinéraire.

Question impossible à répondre car si elle pouvait le faire, il n’aurait pas besoin de boire à assécher le désert. Elle évoque alors son inquiétude, l’alcoolisme de son fils, les voitures qu’il a massacrées, le danger de travailler ivre dans une scierie. Yann laisse sa mère parler pour lui. Nous sommes dans le registre habituel. Je sens quelque chose de parfaitement huilé. Elle résume les différentes étapes de son suivi en mettant en avant les échecs des différentes cures qu’il a tentées.

Yann baisse la tête. Il la baisse comme je l’ai fait moi-même le lendemain de cuites retentissantes. Je sais les gueules de bois, le trou noir qui succède aux beuveries, cette sensation d’avoir pu accomplir des choses terribles ou dégradantes, cette honte qui colle à la peau, cette impossibilité à regarder en face ses proches. Je sais leur discours moralisateur, les bonnes résolutions que l’on prend ; je sais l’épopée racontée par les buveurs complices, la tentation. Je sais qu’aucun de ces discours n’a de prise sur le vécu de celui qui a bu.

La mère de Yann quête du regard ma sympathie. Je me souviens des cuites de mon père, de la honte que je ressentais lorsque j’avais quinze ans. Honte confuse. Je considérais cela comme normal Dans mon village, l’alcool ne semblait pas être un problème. C’est lorsque j’ai commencé les cours d’infirmier que j’ai réalisé que mon père était alcoolique. Il était déjà mort.

Je suis entre eux, partagé. Mon côté droit est en sympathie avec Yann, mon gauche avec sa mère. Yann doit-il arrêter de boire ? Je n’en sais rien. Mon père aurait-il survécu à la mort de ma mère sans l’alcool ? Aurait-il été un " bon vivant " sans ? Mon père serait-il mort sans l’alcool ? Je n’en sais rien. En tout cas, je ne me fais pas une religion de l’abstinence. Je ne les emmènerai pas vers cette destination.

" C’est sûr que si tant de spécialistes éminents n’ont pas réussi, ce n’est pas nous pauvres soignants de campagne qui pourront aider Yann à arrêter de boire. " J’énumère les hauts lieux de l’alcoologie.

" Oui, il faudrait un médicament miracle. "

Nous regardons son traitement, tout à fait ordinaire. Les médicaments sont déjà dévalués. Ils ne permettront pas à Yann d’être abstinent. Le but manifeste de l’entretien est atteint, les engagements réciproques ont été respectés. Il faut maintenant proposer une autre destination. Essayer de comprendre les enjeux de tout cela pourquoi pas ?

L’UN MANGE, L’AUTRE BOIT

" C’est sûr que c’est pas le traitement qui va le guérir. Il faudrait pouvoir comprendre pourquoi Yann boit. Mais ça, c’est tout sauf simple à expliquer.

Yann ne dit rien, mais j’ai la sensation que s’il parlait, je les entendrais tous les deux en monophonie, le même discours énoncé par deux voix. J’entends que le soignant que je suis, tout breton que je sois, tout familier de l’alcool et de ses dérives que je crois être, ne pourra jamais comprendre quoi que ce soit à Yann. Sa mère l’aime et le comprend. Elle seule peut rafraîchir en pleurant les moiteurs de son front blême. Ils sont deux mais ils sont comme un. L’un boit, l’autre mange. Etrange symétrie entre la mère et son fils. L’oralité comme fil conducteur. Je suis toujours sur la même ligne. Et pourtant quelque chose là se déchire. L’illusion de comprendre Yann. L’illusion d’avoir été comme mon père. Ce n’est pas Yann qu’il s’agit de comprendre mais la situation qui le conduit à boire. Et l’un retentit sur l’autre. Quelque chose qui me concerne moi est en train d’apparaître parallèlement.

UN VRAI YOYO

"  C’est pour ça que je vois le Dr. Le Goff. Je suis trop anxieuse. Il m’a prescrit des tranquillisants. Mais même comme cela, je ne peux pas m’empêcher de manger. Je m’angoisse, je mange, je grossis, ça m’angoisse, je mange. Alors de temps en temps je prends le taureau par les cornes. Je fais une cure d’amaigrissement. Et puis, ça recommence. Je m’angoisse parce que quelque chose me manque, je mange, je grossis. C’est un vrai yoyo. "

Réparer ? Soigner ? Que puis-je faire d’autre qu’écouter ?

Le récit qui se tisse là, me raconte l’échec annoncé de toute prise en charge classique. L’un est l’autre. Ils doivent être égaux, pareils. Que Yann cesse de boire et elle cesserait de le comprendre ; qu’elle cesse d’engloutir et Yann ne serait plus comme elle. Je peux l’écrire comme je veux, dans le sens que je veux. L’immobilisme est inscrit là. Rien ne bougera. Rien ne doit bouger. Il a bu, il boit, il boira. Elle a mangé, elle mange, elle mangera. Le bateau a tourné, tourne, et tournera encore en rond. Avec ou sans capitaine.

Quel sein, l’un et l’autre cherchent-ils à engloutir ? Est-ce le même ?

Qu’en pense Yann ? Quel conseil pourrait-il donner, à son tour, à sa mère ?

" Qu’elle n’achète pas de friandises. "

Evidemment, le conseil n’est pas adapté. Ce qui importe, c’est qu’il soit en position de lui donner un conseil, de donner son avis. S’il pouvait donner un avis éclairé, il ne serait pas pris, ne se prendrait pas à ce piège. Il s’agit de " prescrire " la symétrie.

C’EST LA MEME CHANSON

" Mon seul regret, c’est de ne pas avoir su me séparer de mon mari suffisamment tôt. Il buvait et me battait. J’ai eu beaucoup de mal à prendre la décision. C’est là que je suis allé voir le Dr. Le Goff. Mais il faut comprendre, je devais m’occuper de tout, des papiers, de la maison, de Yann. "

Elle nous décrit par le menu toutes les tâches qu’elle doit assumer. Evidemment, elle s’y épuise. Evidemment ça l’angoisse. Le cercle vicieux est total. Il lui est impossible d’en sortir Ca l’épuise mais elle semble quand même en " jouir ".

" Où vit Yann ?

Je sens Yann extraordinairement attentif. Il se tait mais est aux aguets. La nécessité de raccourcir le récit de l’entretien empêche de montrer que sa mère lui parle d’un autre " il " son père, de son lien à elle avec ce père. Il se tient droit. Il n’est plus l’alcoolique, il est d’une famille où la question de l’oralité fait problème. Quelque chose se transmet là. C’est comme s’il n’avait pas le choix de boire. Le fardeau en est moins lourd à porter.

" S’occuper de tout pour ", l’infirmier se souvient que lui aussi, s’occupait de tout pour son père. Il se souvient qu’il était une vraie petite femme d’intérieur. " Jouissance " ? Le capitaine aussi peut redécouvrir des contrées qu’il croyait connaître. " S’occuper de tout pour l’autre ", l’infirmier l’a fait aussi.

" Supposons que par miracle, Yann cesse de boire qu’est-ce que cela changerait ?

Yann s’est mis en mouvement, il s’est différencié du discours maternel. Maintenant, le travail commence. Il ne s’est rien passé. Surtout rien. C’est comme avant. Comme ça a toujours été. Surtout ne pas crier victoire. Etre humble. Rien ne doit changer. Demain, sa mère se décrira comme toxicomane. Elle aussi s’est mise en mouvement. Pour que ce soit pareil. Comment faire autrement que boire lorsque l’on s’appelle " Glaviot " ? Comment ne pas faire appel au breuvage magique qui fait courir le feu dans les veines ? Pour transformer en or, le sale, la honte, le rejet que contient son patronyme ? Mais ça, c’est ma construction. Pas celle de Yann et de sa mère.

Au moment de nous quitter, nous avons fait le point sur les contrées que nous avions visitées. Nous avons fait le constat que nous n’avions pas tourné en rond, qu’effectivement la mère de Yann était la personne qui le connaissait le mieux, que nous avions besoin de nous revoir pour apprendre à le connaître même si nous ne le connaîtrons jamais aussi bien que sa mère. Nous avons conclu qu’il était effectivement important qu’elle continue à s’occuper de Yann et qu’on verrait au fil des entretiens si l’abstinence pouvait être un objectif réalisable.

J’ai fait un compte-rendu détaillé de cet entretien sur le dossier de soin de Yann. Je l’ai raccordé à la démarche de soin. Mes collègues ont pu cheminer avec Yann et sa mère à partir de cet écrit. Ils en ont retenu qu’il n’avait pas le choix.

Il reste pour le soignant à intégrer ce qu’il a fait de voyage autour de cet entretien.

CHERCHER DU DIFFERENT

" Il est des noooootres. Il a bu son coup comme les auauautres "

Café des Embruns. D’autres Yann chantent.

On ne choisit pas toujours la place où les patients et leur famille nous mettent. Il arrive parfois que nous soyons confrontés à des zones mouvantes de notre personnalité, à nos points aveugles. Il est évident que la supervision est alors un outil indispensable. Un entretien banal à propos d’une demande d’information sur le traitement s’est transformé en situation de tous les dangers. C’est autour de ma zone de fragilité que s’est développé cet entretien. Il me reste encore bien du travail à accomplir autour de ce dépliage.

Je suis des yeux le mouvements des caboteurs qui butinent la jetée. Mon esprit s’en va vers je ne sais quel cité d’Ys où dit-on chantent et boivent les marins disparus. J’imagine Yann au volant de sa voiture et l’arbre qu’il finira bien par percuter. C’est ainsi que mon père est parti un " beau " jour.

Existe-t-il une fosse commune où la vie de l’alcoolique se muerait en une cuite perpétuelle ? Et je rêve à mon père attablé, trinquant inlassablement, pérorant et inventant ces mots que je n’en finis pas d’essayer d’écrire. Qui est Yann ? La énième incarnation de ce père mien que je ne saurais jamais réparer ? Le prétexte d’une histoire que je n’ose appeler clinique ? Soigner ? C’est un combat constant pour chercher du différent, du neuf dans ceux que la mer amène sur la grève. Soigner ? On ne soigne jamais contre son passé mais avec, en l’assumant, en le travaillant. C’est une ascèse constante.

Et vous voudriez que les soignants soient objectifs ?

Dominique Friard

Infirmier de Secteur Psychiatrique

C.H. de Laragne (05)


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