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Education spécialisée et psychiatrie

Par Marie GAUBERT, éducatrice spécialisée


« Avant de prétendre écouter un patient, apprenons d'abord à nous taire, c'est la meilleure façon de l'accueillir, d'accueillir sa parole, de lui faire une place en nous. Ensuite ... » Catherine Masseix.


Nous sommes le 10 septembre, 1er jour en hospitalisation d’urgence psychiatrique pour adolescent, le service est complet, l’éducatrice est encore en vacance c’est donc Mickaël éducateur de l’hôpital de jour qui me présente l’équipe et les jeunes.

Un jeune adolescent de quatorze ans m’interpelle, Nathan est assis contre un mur et se tape la tête de façon régulière. Les infirmiers ne semblent pas y faire attention.

Je prends en charge les ateliers thérapeutiques de journée avec la collaboration d’une infirmière ou d’une aide soignante.

Très rapidement l’équipe me dit de « me méfier » de Nathan, il est violent et ne supporte pas les femmes, l’éducatrice du service de jour ne le rencontre jamais seule , il est particulièrement violent avec elle.

Nathan passe ses journées seul dans le salon, il refuse de participer aux activités thérapeutiques.

Les infirmiers sont en conflit permanent avec lui, cela se solde souvent par une contenance physique et l’obligation de rester dans sa chambre. Déjà deux semaines qu’ Nathan est hospitalisé aucune évolution.

Un matin, lors de mon arrivée sur le service, je présente aux jeunes l’activité de la journée, l’atelier débute j’invite Nathan a nous rejoindre. Nathan ne vient pas, toujours pas… J’entends sa tête taper inlassablement sur le mur d’à coté…Que faire ?

Je demande a ma collègue aide soignante d’accompagner le groupe sur l’activité, avec son accord je rejoins Nathan, m’assoit a coté de lui et pose ma tête sur le mur.

Long silence…Je ne parle pas, lui non plus, le temps passe au rythme du battement 10 min, 20…mes collègues infirmiers passent et repassent dans le couloir septique...

Qu’est ce que je fais, je ne le sais pas moi-même, je crois que j’essaye d’être avec lui puisqu’il refuse d’être avec nous.

30 min… plongée dans mes pensées, soudain le rythme n’est plus, Nathan est là avec moi, pour la première fois je capte son regard un instant, l’instant d’un accueil sans violence ni menace. Il nous rejoint enfin….


Je crois profondément que la démarche éducative en psychiatrie reste spécifique en termes d'écoute, de disponibilité relationnelle, d'aptitude à se comprendre, s'analyser, se contrôler, pour mieux comprendre, analyser, rassurer l’être en état de souffrance psychique.

Bien souvent, le patient est inconscient de sa pathologie ou la dénie, parfois avec violence. L’équipe est là pour assurer des soins techniques, mais aussi et surtout pour écouter et favoriser l'expression de l'angoisse, du mal-être, voire du délire, rassurer, canaliser les comportements, apaiser, développer un climat de confiance, susciter le dialogue et la participation à la vie du service.

Le secteur psychiatrique est le milieu qui pose, à mon sens, certainement le plus de question éthique, de par l’importance de la souffrance psychique, physique parfois, de par l’urgence des situations, de par les mises en danger.

Le premier geste qui relève pour moi de l’éthique professionnelle en psychiatrie est la question de l’accueil de l’Autre. Accueillir, c'est se préparer à l'accueil, donner une place et ainsi toujours considérer la personne accompagnée comme un sujet.

Le psychanalyste B This dira « Qui dit accueillir, dit déjà cueillir. C'est le fruit de la rencontre que nous accueillons ».

Le mot accueillir prend tout son sens en psychiatrie. C’est amener la continuité d’une prise en charge éducative dans la rupture d’un environnement, en offrant des repères spatio-temporels et affectifs, qui sécurisent. C'est je crois instaurer un climat de confiance dans une relation d'écoute et d'échanges. C'est s'impliquer dans une démarche d'observation, une attitude d'ouverture et de disponibilité, permettant de mettre en place des actions éducatives. C'est aussi assurer un cadre sécurisant, capable de contenir la crise et la souffrance psychique.

Tout comme « l’écoutant doit fondamentalement faire silence en soi et laisser la parole de l’autre déployer la perte de l’objet.» Joseph Rouzel. L’accueillant doit faire place en lui afin de recevoir l’expression du mal être et de la crise.

Paradoxalement, j’ai souvent été confrontée au silence. Certainement d’ailleurs parce qu'il y avait trop à dire, parce que ces adolescents sont dans l'indicible.

La psychiatrie nous oblige à sortir des codes d’accompagnement traditionnel, création et innovation sont les maîtres mots. Accueillir le sujet en souffrance en étant là, pas trop loin, attentive, mais en le laissant se récupérer à son rythme.

Si ce dont l’adolescent a besoin, c'est de se reposer sur nous, permettons-lui de le faire en lui accordant la place dont il a besoin. La relation se met en place, elle nous renseigne sur l’adolescent en souffrance psychique mais aussi sur nous, notre capacité à être considéré et à se considérer comme une personne de confiance à qui l’on dépose ses symptômes, sa souffrance. Cette propension à être récepteur suppose une démarche personnelle éthique, un travail d’introspection, similaire à celui de l’écoute.

Cette expérience m’a permis de faire un réel retour sur mes attitudes professionnelles, sur leur origine, sur ma construction personnelle et ma capacité à accepter mon histoire et mes expériences pour accompagner au mieux l’usager en lui faisant une place en moi pour recevoir sa parole et sa souffrance. Accueillir l’autre souffrant, l’accepter avec ses différences, c’est ajouter une dimension éthique et déontologique qui ne fait que soutenir un positionnement professionnel d’acceptation de l’autre, de ce qu’il est. Dans ce service d’hospitalisation d’urgence la rencontre se fait autour d’une douleur dont la contenance, comme l’expression, est difficile à porter.

Comprendre l’autre, tenter de percevoir sa douleur et sa souffrance, ce n’est pas totalement l’admettre en soi, la recevoir en totalité. On ne peut prétendre comprendre ce qui arrive à l’autre et de manière totalement objective. Nous sommes des êtres de subjectivité. Le patient peut être difficile à rencontrer, à accueillir, à accompagner parce qu’il nous renvoie souvent l’insupportable, l’impensable.

C’est en prenant conscience de nos composantes humaines, de ce qui fait notre nature, que la gestion de certaines de nos émotions prendra un caractère professionnel. L’autre souffrant pourra, je crois, alors être mieux approché, mieux appréhendé, peut-être mieux compris.

« L’autre souffrant c’est cette personne qui nous préoccupe parce qu’elle est en nous et qu’elle nous a amenés à être socialement ce que nous sommes, soignant en devenir, soignant dans l’âme certainement. » Catherine Masseix

Marie GAUBERT, éducatrice spécialisée

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