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Il est difficile d’être fragile

 

          Un français sur deux déclare souffrir ou avoir déjà souffert de fragilité mentale . La France serait-elle à moitié folle ? En tout cas elle est championne de la consommation d’antidépresseurs, elle a la médaille à ce niveau là ! 8 français sur 10 pensent que pour aller mieux, il suffit d’une bonne hygiène de vie . 62% sont persuadés que les médicaments sont très efficaces . 42% pensent qu’il suffit de prendre sur soi et d’attendre que ça passe . 71% pensent que parmi les causes susceptibles de rendre fragile, le travail arrive en tête avec son stress, ses objectifs de production, ses menaces de chômage . Si le travail est souvent facteur d’intégration, force est de constater qu’il peut aussi nuire gravement à la santé . Les nombreux suicides actuels dans certaines entreprises en témoignent . Et les hommes plus que les femmes adoptent des solutions radicales . Evoquer sa faiblesse, ses zones d’ombre n’est pas digne d’un homme ! Derrière le mot « psy » se cache encore une grande confusion et une grande peur ! (institut de sondage TNS juin 2009)

Il est bien difficile d’être fragile et d’être accepté avec ses fragilités dans cette société qui ne valorise que la rentabilité et l’efficacité. Malheur aux vieux qui ne sont plus assez vifs, malheur aux handicapés qui n’entrent pas dans les normes de productivité, malheurs aux malades en général qui pèsent sur les charges collectives . Derrière ce rejet se dissimule toujours très mal cette vieille tentation d’eugénisme et d’euthanasie qui nous rappelle cet ancien projet nazi concernant  « les vies qui ne valent pas ou plus la peine d’être vécues » !

 Le droit de ne plus encombrer, de ne plus être une charge pour les autres, de ne plus gêner conduit régulièrement de nombreuses personnes au suicide ou les amènent dans les services de psychiatrie . On les retrouve épuisés, honteux, culpabilisés, ne pouvant plus faire face, avec une situation sociale dramatique .

Notre société interdit d’être fragile  et ceux qui le sont ou le deviennent sont rejetés ou marginalisés comme des « a-normaux » .

Cette société est mortifère parce qu’elle nous oblige à vivre dans le mensonge . Car il est humain d’être fragile . Par nature l’ humain est fragile . Qui de nous peut prétendre ne pas avoir de limites, de failles ?

La société nous impose en permanence de cacher, de compenser nos manques et nos fragilités . Est-il possible de vivre des relations humaines authentiques quand on est sans cesse obligé de se contrôler, de rester bien indépendant des autres et de porter partout sa grosse carapace protectrice ? Nous nous mentons à nous-mêmes tout le temps . C’est pas facile de reconnaitre ses fragilités, ses manques, ses zones d’ombre, ses démons intérieurs, pas facile de s’accepter négativement sans perdre l’estime de soi et des autres bien sûr . Peut-on miser sur la capacité de compréhension et de bienveillance de notre entourage familial, professionnel ou social ? Peut-on s’exposer si l’on craint d’être détruit ? Quand on est entrainé depuis tout petit à vivre sous le projecteur des comparaisons, quand on est entrainé à être le meilleur, il est impossible de se risquer à se montrer tel que l’on est .

Quelle immense difficulté alors pour ceux qui souffrent de faiblesse psychique et qui vivent sous le regard des autres . Pourtant, nos fragilités et nos faiblesses peuvent être aussi notre force et notre richesse . Quand on accepte de montrer ses faiblesses, du même coup on permet aux autres d’exposer aussi les leurs et on peut alors construire avec eux une relation authentique, en abattant les masques . On peut évoquer ces fragilités qui nous habitent et nous paralysent sans peur d’être jugés ou assimilés à des nuls . Accepter ensemble nos propres vérités et pouvoir enfin être nous-mêmes avec ces défauts qui font aussi nos qualités .

Faudrait-il en arriver à promouvoir un droit à la fragilité ? Le droit d’être fragile sans être exclus de la société, sans être contraint de vivre dans le déni ou de jouer un rôle pour pouvoir être accepter .

Cette vérité nous rendrait libre, elle serait notre force et humaniserait nos relations . Oser être vulnérable, prendre le risque d’être atteint, déstabilisé… mais vivant .



Dominique Sanlaville - 2010



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