La dépression : seul face à
soi-même
Un chagrin passager, un échec, un deuil, une rupture sentimentale conduisent parfois à prendre des antidépresseurs. On médicalise, alors qu’il est humain et naturel d’avoir de la peine quand on vit une séparation, quand on perd quelqu’un. Ce sont des évènements normaux de la vie et la souffrance est à ce moment là nécessaire. Faire un deuil, c’est savoir pleurer.
La vraie dépression se caractérise par une tristesse généralisée, on est comme dévitalisé, sans énergie, on fuit le contact avec les autres et on ne parvient plus à se concentrer ni à prendre du plaisir. Mais elle ne survient pas par hasard. Comme toute maladie, elle se fabrique tout au fond de nous, s’inscrit dans un parcours de vie, une histoire dans laquelle elle trouve son sens. Privée de ce contexte là, elle n’est plus qu’une pathologie qui ne ressemble à rien.
Alors avant de penser tout de suite traitement, donnons- nous le temps de voir et de comprendre la dépression comme un mécanisme de défense, un peu comme la fièvre, un mal pour un bien ; comme un signal d’alarme qui montre que quelque chose ne va pas et qu’il faut s’en occuper. On pense que les dépressifs sont des êtres plus vulnérables et plus faibles que les autres. Il n’en est rien. Et souvent dans la plupart des cas, au sortir de leur dépression, ils seront plus forts, plus armés, car ils auront trouvés ce qui compte réellement pour eux, ce qui les rend vraiment heureux, ce qui booste leur système de défense immunitaire psychique.
Souffrir d’une dépression, c’est peut être une chance qui nous est donnée d’améliorer la qualité de notre existence, c’est envisager sa vie avec plus de réalisme, arrêter de se mentir, arrêter de se bercer d’illusion sur soi, sur ses capacités… Aller à l’essentiel. Dans la vie, nous nous laissons envahir, au sens propre comme au figuré, par tout un tas de choses inutiles et encombrantes, voire nocives et lourdes à porter et qui même parfois nous sont léguées en héritage. Déprimer c’est faire le tri dans tout ça. Pour s’accepter enfin tel que l’on est, et faire le deuil de ce que l’on ne sera jamais….
Mais dans notre société, il n’y a place que pour les gens normaux, comme si la normalité était le summum de ce que l’on peut atteindre. On veut des gens parfaits, toujours efficaces et productifs Alors on corrige les imperfections avec la chirurgie, on chasse la moindre ride, on commande presque les enfants sur mesure. La vie humaine est devenue une marchandise, un bien de consommation ; elle s’est banalisée et a perdu toute sa valeur. On oublie que les personnes qui vivent autour de nous existent, sont vivantes, et que derrière chaque visage, chaque sourire ou chaque larme, il y a une singularité, une richesse unique, une personnalité et une histoire particulière.
Dans cette époque obsédée par la performance, la réussite, la rentabilité forcément la dépression est très mal acceptée. Les baisses de régimes, les passages à vide sont tout de suite interprétés comme pathologiques. On ne sait plus prendre le temps d’être seul un moment avec soi même pour se remettre en question, se center sur soi.
Alors que l’on dispose de multiples moyens de communication, paradoxalement on n’a jamais autant souffert de la solitude. Justement parce que l’on ne sait plus être seul, comme on ne sait plus pleurer, on se sait plus avoir de la peine. Alors on avale les antidépresseurs que des médecins attentionnés nous prescrivent en faisant l’impasse de la remise en question de notre vie et des raisons qui nous ont amenés à déprimer. On se voile la face, on fait bon semblant en empêchant ainsi quiconque de nous venir en aide.
C’est à ce moment là que l’on risque de tomber dans la vraie pathologie, avec perte d’appétit, idées suicidaires et même passage à l’acte. Et alors à grand renfort d’antidépresseurs, de sismothérapie on continuera de s’attaquer au symptôme sans chercher à comprendre le sens de la maladie, pourquoi on en est arrivé là, la place que la dépression occupe dans notre vie, son utilité, pourquoi elle est devenue si indissociable de notre fonctionnement , pourquoi on s’est enfermé insensiblement dans des rechutes successives qui ont fait de nous des dépressifs chroniques .
Aucune arme thérapeutique ne pourra remplacer la démarche sur soi, la remise en question, le travail d’introspection. S’affronter soi-même ça fait souffrir mais ça fait grandir.