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Faire ensemble, et en sécurité

 

Je me rappelle Claude.

On se voyait tous les deux à la Maison du Club du Pont Neuf.

Il aimait bien apprendre des choses avec moi, du dessin, du yoga. Et j’aimais bien proposer ces deux activités.

En dehors de ces activités, il avait cessé de venir pour ne pas rencontrer un garçon particulièrement négatif quand ça le prenait, capable d’agresser verbalement chacun jusqu’à ce que d’ailleurs il fut mis à la porte après être passé à l’acte autre que verbal et cassé la cheminée.

Pour Claude, outre ses rendez-vous proprement médicaux, après la période où il n'allait carrément pas bien et qu’il était hospitalisé, c'était le seul lieu où il rencontrait du monde, si ce n'est dans ce petit café minable où il trouvait là aussi des relation humaines. Il passait d'ailleurs des heures à se réchauffer affectivement à la conversation des habitués, groupés autour d’une patronne africaine.

Il avait bien essayé d’aller dans telle ou telle association, puis renoncé pour telle ou telle raison jusqu’à ce qu’enfin un jour il me dit avoir trouvé chaussure à son pied en matière de relations humaines. C’était un de ces nouveaux ateliers qu’on avait créé dans les CMP et qui permettait de choisir "à la carte" une activité ou plusieurs, dans un groupe encadré.

Activité culturelle ou conviviale comme la cuisine pour ceux pour qui le culturel n’était plus possible ou n’était pas possible.

En tout cas une activité : on fait quelque chose ensemble et un soignant est là.

Le groupe encadré par ce soignant ou ces deux soignants qui font en sorte qu’aucune verbalisation trop négative n’émerge ou ne soit adressée de l’un à l’autre.

Faire ensemble et en sécurité : (dessin, écriture, informatique, musique), non pas en compétitivité de l’un à l’autre ou dans un but éventuellement stressant.

Une activité sans risque de se faire agresser par un ou l’autre dans des proportions dommageables. Sinon, comme Claude l’avait fait, on abandonne, on quitte, on marche dans la ville des kilomètres jusqu’à ce que la fatigue amène dans un petit café d’habitués.

 

C’est vrai que cet exemple de DESINSERTION sociale m’a interpellée.

Et qu’il était temps qu’une structure telle que ces ateliers se mettent en place pour une population fragilisée et aux LOISIRS FORCES.

Tellement fragilisée d'ailleurs qu’elle ne va pas éprouver l’envie, comme je l'ai fait de rejoindre une ou l'autre association de non soignés et de non soignants.

 

Sortir enfin de ces appellations, quelle délivrance

 

Rejoindre les vieux, les jeunes, les riches, les pauvres, les éclopés, les bien-portants, qu'importe, rejoindre d'autres en dehors de toute étiquette médicale.

 

Pour ma part, j'ai choisi la randonnée avec le RIF, du français de l’anglais, de l’allemand, de l’histoire des religions avec l’association Marquiset. Ou encore, nous nous retrouvons autour de n’importe quelle curiosité culturelle ou quelle cuisine conviviale avec mes amis du Réseau d’Echanges de Savoirs.

Tout ceci dans la GRATUITE ou presque.

Quand on est dans une association loi 1901, on a un but qui nous motive.

Je fuis comme la peste celui qui est prisonnier de son rôle et sort de la stricte égalité d’être humain à être humain. Le rôle de soignant est difficile, certains se retranchent derrière ce rôle pour se protéger. Ils oublient l’égalité d’être humain à être humain ce qui est toujours très mal ressenti par les soignés.

 

Ces mots peuvent paraître abstraits mais j’ai toujours reçu 5/5 les mots de ceux qui partagent réellement et profondément ce point de vue.

 

Et les mots des autres. D’ailleurs, il ne s’agit pas seulement de mots mais de toutes ces attitudes, petits gestes, réactions involontaires qui composent le contact humain. Rares sont les gens qui se sentiront à l’aise pour communiquer, agit de la même façon si l’interlocuteur les mets dans une position inférieure.

 

D’ailleurs, il ne s’agit plus seulement de mots mais aussi de toutes ces attitudes, petits gestes, réactions involontaires ou non qui composent le contact humain.

 

Bien sûr, le « soignant » a un rôle mais s’il ne transcende pas cette dimension professionnelle par celle radicalement infiniment plus vaste de la stricte égalité d’un être humain et d’un autre cela sera senti, entendu, vu, reçu.

 

Le pouvoir sur l’autre peut pervertir. Le même problème touche les personnes âgées et tous ceux qui ne sont plus momentanément ou définitivement à armes égales.

 

Pour en revenir à Claude, il apprécie de venir dans ces ateliers grâce à la présence de ceux qui encadrent, prévenant les abus de pouvoir des uns ou des autres participants.

 

Bien sûr, dans cet atelier thérapeutique, sur ordonnance, dans un cadre protégé, on nous propose des activités. Cela convient à quelques-uns uns, certains même en profitent depuis longtemps, mais pas tous. Une fois sortis de l'hôpital, après tel ou tel épisode, certains pour éviter la totale désinsertion préféreront le cocon de l’hôpital de jour. Chacun peut s'y inscrire sur une page de son agenda un rendez-vous hebdomadaire non médical pour une activité de son choix.

 

Alors, l’activité elle-même qu’il aborde peut lui apporter, soit des connaissances qu’il désire acquérir dans une dynamique toujours plus agissante (pour peu qu’il y prenne goût) soit également le plaisir de s’exprimer de façon autre que verbale.

Dans une approche qui peut être neuve pour tous, à condition que les soignants acceptent (et le fassent sentir) cette égalité d'êtres humains, chacun pourra se sentir unique et être plus aisément perçu, reçu et apprécié comme différent en dehors du seul verbal.

 

Car tous ne vont pas, comme je le fais, avoir envie d’aller voir ailleurs dans ces autres associations, structures gratuites universitaires ou municipales, où chacun peut  venir en tant que citoyen et non en tant que soigné. C’est vrai qu’on n’y est pas « à l’abri ».

 

Une grande partie de la population qui a du se soigner en psy, va préférer rester dans une structure de club ou d’association de soignés ou encore plus sécurisant une structure mixte soignants soignés, comme ces ateliers.

Soit parce que le regard des autres pèse trop lourd sur leurs différences, ils se sentent "trop visibles", ou bien parce qu'ils rencontrent trop de compétitivité, d’agréssivité.

Beaucoup des anciens patients psy vont préférer y rester pour rencontrer ceux qui ont traversé le même type de difficultés et d’épreuves.

 

 

Mais pour en revenir à ces rapports Soignants Soignés, dans ces groupes ce qui m'a le plus aidé était le "faire ensemble".

Bien avant ces ateliers, je me rappelle ayant été hospitalisée dans un hôpital de la région parisienne, avoir gardé de formidables souvenirs de virées organisées dans les rochers de Fontainebleau, dans le parc de Vaux le Vicomte, les parties de ping-pong, les fêtes, des actions ponctuelles que j’ai à l’époque énormément appréciées.

Je trouve essentiel qu’à l’hôpital même de telles actions et initiatives existent encore.

Qu’on se bouge, qu’on se remue, qu’on fasse des choses, je pense que c’est très précieux pour les patients leur redonner voire leur donner "envie de faire"

Leur faire goûter, apprécier pour que comme dans la chanson "ils positivent".

Cette dimension active de ce participe passé passif du mot soigné, est difficile à récupérer.

Dans le meilleur des cas, je me retrouve pensionnée, avec un agenda anormalement vide

Si je me laisse aller, j'utilise la télévision comme une drogue dure, pour passer le temps, pour passer…

C’est « je suis soigné » mais pas nécessairement je me soigne et encore moins je prends soin de moi.

Cette dimension d'activité dans le soin ne doit pas être l’apanage du soignant participe présent actif. Progressivement le patient doit vouloir se prendre en mains, se responsabiliser  dans sa santé, dans sa vie, dans son hygiène de vie.

Qu’il cesse de se considérer comme soigné, comme patient pour devenir tout simplement un humain, le plus possible responsable  de sa santé et de sa vie, de sa qualité de vie.

Il était donc logique, en ce qui me concerne que je rejoigne d’abord une association mixte soignant soigné où j’ai pu proposer des activités à ceux qui voulaient, où j’ai pu agir, publier un recueil de poésies, exposer des dessins, chanter avec un ami…

De quantité, de façons on se faisait plaisir.

Plus tard j'ai pu participer à l’atelier d’écriture du Réseau d’échanges de Savoirs.

Là, j’ai pu constater que peu nombreux étaient ceux qui se lançaient à rejoindre les autres associations en dehors de toute notion de soigné.

C'est alors naturellement que j'ai voulu que les soignés se prennent en mains en tant que groupe social et s’organisent, se constituent en association.

J'ai alors participé à la création de la première association d'usagers de la psychiatrie: ESQUI.

Ce mot d’usagers peut faire un peu sourire par son rappel de la R.A.T.P.  mais il a le mérite d’introduire clairement cette notion de sujet actif qui utilise des soins pour arriver à destination ; c’est à dire retrouver ou trouver  ou construire ou reconstruire de quoi se rendre responsable de sa vie. Qu’il s'estime guéri, qu’il cesse de ne fréquenter que des soignés et des soignants.

Qu’il en arrive à penser à lui à se concevoir comme un individu avec d’autres références que ce perpétuel renvoi à sa santé. D’accord, il aura peut être toute sa vie besoin de prendre tel ou tel médicament et peut-être qu’il sera plus prudent de conserver un entretien épisodique avec quelqu’un.

Mais il y a un ailleurs, tout en prenant soin de soi et en observant une certaine hygiène de vie et même en dehors de la structure du travail salarié qui est effectivement de plus en plus stressante dans beaucoup de secteurs.

Il est possible de se trouver quantité d’activités non salariées épanouissantes, intéressantes, gratifiantes surtout dans les grandes villes.

Par ailleurs, il est important qu’un groupe social prenne conscience de lui-même en dehors de toute connotation négative passive.

Béatrice Demazières Trésorière de l’Association ESQUI, association d'usagers et d'ex usagers de la psychiatrie.


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