Retour à l'accueil

Retour à détour

Notre seule vertu : la clinique …

 

Chaque année, au Centre Hospitalier de Laragne, sont organisées des Journées infirmières. Un thème de réflexion fournit un prétexte à des rencontres qui rassemblent les différents membres de l’équipe pluridisciplinaire autour de communications préparées et présentées par les équipes des différentes unités. Ce mardi 13 novembre 2007, le thème des Journées était « Ethique et soin au quotidien ». La contribution présentée est celle faite par le Centre de Santé mentale Hélène Chaigneau de Gap.

 

 

 

« Ethique et soin au quotidien ».

Avant d’écrire quoi que ce soit, chacun de nous a mâché et remâché ces cinq mots. Chacun a essayé de les faire résonner en lui. Des images, des sensations, des questions, des situations, des révoltes. Le texte que nous vous proposons est le fruit de ces cogitations. Vous pourrez y lire nos différences, nos ressemblances, ce qui fait que nous sommes à la fois une équipe et une collection d’individus.

L’intitulé de ces journées m’évoque un rapport de tension, de confrontation entre, sans se préoccuper déjà de définitions précises, l’éthique, la morale, ce qui renvoie au bien et au mal et le soin au quotidien ; comme si l’un et l’autre apparaissaient difficilement conciliables, comme si l’éthique et le quotidien du soin étaient en opposition, comme si le quotidien était la limite de l’éthique, comme si l’éthique était du domaine de l’idéal et le quotidien celui de la réalité pour ne pas dire du réel. L’éthique questionne le quotidien du soin et le quotidien du soin questionne l’éthique. On sent bien que l’un et l’autre vont devoir en rabattre, mettre de l’eau dans leur vin, comme on dit, parce que comme nous le rappelle la justice et comme nous le serinent ceux qui s’en servent pour castrer toute initiative : « Quand le vin est tiré, il faut le boire. » L’éthique ne peut pas se dissoudre dans ces règlements qui tiennent lieu de loi. C’est dans les insuffisances du règlement et de la loi que se posent les questions éthiques.

Il y a suffisamment de bonne sœur en moi pour que cette opposition m’interroge. Ancienne nonne, comme chacun de vous, je sais que le soin est une activité bonne, quasiment par essence. Comment le soin, l’assistance, le service de l’autre pourraient-ils ne pas être éthique ? Le premier d’entre nous, le moine espagnol, Jean Cleudat, a été canonisé sous le nom de Saint Jean de Dieu, c’est dire si le soin, même en psychiatrie, est de sainte origine. Le soin ne s’oppose pas à l’éthique, il en procède. Mieux même, et j’en appelle à Marie-Françoise Collières pour l’affirmer : « L’éthique naît du soin ». Nul n’a jamais soupçonné les infirmières visiteuses, ces bigotes dames patronnesses du début du vingtième siècle de manquer d’éthique. D’ailleurs leur moralité était au dessus de tout soupçon. Elles soignaient les blessés héroïques, les gueules cassées de la guerre de 14-18. De nombreux films et livres nous le rappellent.

L’opposition entre éthique et soin est historiquement datée. Elle est une création contemporaine qui mérite d’être interrogée.  Mais commençons par définir nos termes.

 

Ethique et morale, des synonymes

 

L’éthique est à la morale ce qu’un chômeur est à un demandeur d’emploi, un aveugle à un non-voyant. L’éthique fait plus propre, plus moderne que la morale qui évoque ces fameuses leçons de notre enfance. L’instituteur écrivait au tableau la morale du jour que nous devions recopier, en tirant la langue afin de montrer qu’on s’appliquait. La  morale est d’origine latine, l’éthique d’origine grecque mais elles signifient, à l’origine, rigoureusement la même chose. La langue française va retenir préférentiellement la racine latine.

Dans les années soixante, le concept de morale est attaqué de toutes parts, en particulier par les sciences humaines et les discours pédagogiques. Le discours moralisateur est « out », c’est un truc de « has been ». Le moindre soupçon de « moralisme » disqualifie les discours et les écrits. Le discrédit porte à la fois sur le nom, souvent abhorré et sur la chose, souvent réduite à des préceptes mesquins. « Bourgeoise », la morale est passée progressivement pour hypocrite, désuète et manipulatoire.

La morale n’est crédible que si les actes sont conformes au discours. La morale vaut pour chacun y compris pour celui qui l’énonce. Trop d’écart entre actes et discours tue la morale. Le concept de « Droits de l’homme » s’inscrit dans la faillite de cette morale qui a souvent justifié la colonisation, l’exploitation des hommes et des femmes. C’est toujours au nom du Bien qu’on massacre, qu’on exploite, qu’on torture. La morale est un discours de possédant. Ainsi, en réaction, naît le concept d’éthique.

Arrêtons-nous un instant sur la pensée du philosophe Emmanuel Kant qui oppose «la morale » et « l’éthique ». Dans la pensée kantienne, la morale est un impératif catégorique et l’éthique un impératif hypothétique.

La morale, pour Kant, s’impose. De façon catégorique. Il n’est pas besoin d’y réfléchir. On ne peut pas faire autrement. C’est une question de devoir. De morale. Si une alternative existe, si cela se discute, s’il y a débat, nous sommes face à une question d’éthique. 

La morale dit : « Tu dois ». L’éthique dit : « Si tu veux faire le bien, alors tu dois. ». La morale dit : « Tu dois dénoncer tout acte de maltraitance », l’éthique dit : « Si tu veux être en accord avec tes valeurs, alors tu dois dénoncer cet acte de maltraitance. ». Mais en quoi vivre en accord avec ses valeurs est-il une obligation ? Ne vit-on pas mieux en transigeant sur ses principes moraux ?

Le risque est, évidemment, d’utiliser l’éthique comme justification de l’abandon de l’impératif catégorique. L’homme le plus humble, le moins savant en sait autant qu’un autre sur la conduite à tenir quand par exemple il faut choisir entre vérité et mensonge. Sans doute même est-il moins tenté que d’autres par les subtilités qui peuvent servir à conforter la bonne conscience.

La morale en tant qu’impératif catégorique est indépendante du contexte. C’est un commandement et non pas une règle d’habileté ou un conseil de prudence. Elle n’est ni technique, ni pragmatique.

En renonçant à agir par principe, c’est à dire en ne voulant pas écouter en nous l’impératif catégorique, on ouvre le champ à tous les actes possibles au gré des situations auxquelles l’impératif hypothétique est subordonné. La morale est absolue, l’éthique est relative à une situation, à un contexte.

Un consensus d’individus, voire une majorité parlementaire ne garantit pas la légitimité morale d’une décision. L’éthique ne pose pas la question du Bien et du Mal qui est celle de la morale mais celle du moindre mal. La réflexion éthique s’engage par définition, quand on ne sait plus ce qui est bien, quand on a perdu ses repères. Autrement dit, ce qui est en jeu dans l’éthique ce n’est pas le bien ou le mal, mais l’idée qu’imaginairement je me fais du bien et du mal. L’éthique est animée par des valeurs, celles du respect, de la réciprocité, de la sollicitude pour autrui. Mais ces valeurs ne sont fondatrices que si chaque membre de la société vit  (et se vit) comme un « sujet moral ».

Allons faire un petit tour sur le terrain pour voir comment tout ça se vit et se pense.

 

Une hospitalisation contrainte

 

Dans le cadre des journées soignantes nous avons souhaité évoquer une situation de soin, qui s’est déroulée début octobre 2006 et qui nous a particulièrement interrogées, quant à la pratique de nos interventions à domicile.

Mme Perche âgée de 53 ans, divorcée, 2 enfants. Elle vit seule dans une maison appartenant à sa mère, située dans un village près de Gap. Cette dame, médecin en arrêt maladie, a vécu dans un milieu social relativement aisé de par sa profession.

Actuellement, Mme Perche est en grande difficulté psychique et sociale. Elle est connue des services de psychiatrie depuis fin 2005 où elle a été  hospitalisée sous contrainte par son médecin traitant pour aggravation d’un comportement éthylique avec état dépressif.

Nous avons fait sa connaissance au décours d’une sortie d’hospitalisation. Mme Perche, toujours dans le déni de ses troubles n’était pas en demande d’aide vis-à-vis de nous les infirmières. « Un médecin ne peut pas être suivi par des infirmières », dit-elle. Par contre, elle rencontre régulièrement son médecin psychiatre référent et finit par accepter l’aide d’un psychologue qu’elle voit d’une façon soutenue au CSM. Constatant son absence à un rendez-vous, le psychologue nous fait part de ses inquiétudes et nous sollicite pour une VAD. Durant le trajet, une multitude de questions nous viennent en tête : Sera-t-elle chez elle, dans quel état, en vie ? Nous ouvrira-t-elle la porte ?

A 12 h 30 nous arrivons au domicile, et insistons fortement pour que Mme Perche nous ouvre la porte, ce qu’elle a toujours refusé de faire jusqu’ici, ne nous recevant que sur le pas de la porte. Elle finit par sortir en peignoir, ralentie, quasi somnolente, elle perd l’équilibre, l’élocution est difficile. On peut deviner une maigreur extrême malgré l’épaisseur du peignoir, et des hématomes diffus sur le visage. Nous négocions notre entrée au domicile, et en lui expliquant les raisons de notre venue. Mme Perche cherche à nous rassurer, justifiant l’absence à son rendez-vous par un surplus de travail nocturne (dossier de surendettement, justice). Nous découvrons un appartement jonché de cartons non déballés alors qu’elle l’habite depuis plus d’un an. Quel investissement de ce lieu qui n’est manifestement pas un lieu de vie ?

Nous lui faisons part de notre inquiétude quant à son état de santé psychique mais également somatique. Nous essayons de l’amener à accepter l’hospitalisation. Le Dr Perche banalise les choses, et nous invite à quitter les lieux. Elle s’appuie sur ses connaissances médicales pour nous démontrer que nous n’y connaissons rien. 

Comment respecter sa volonté (donc sa liberté) en constatant l’imminence d’un danger vital totalement dénié par la patiente. Devant son non consentement aux soins nous devons prendre une décision concrète et immédiate. Nous restons là, car quitter le domicile reviendrait à être confronté à une porte fermée. Nous contactons via un portable, de chez elle, devant elle, et après l’avoir prévenue son médecin référent. Nous lui exposons la situation, et ensemble décidons d’appeler le centre 15 afin d’organiser une hospitalisation sous contrainte. Mme Perche nous arrache alors le téléphone. Elle use de ses dernières forces pour s’opposer. Elle nous agresse, tente de s’enfermer dans une pièce de son habitation. Nous devons alors la contenir physiquement et ceci jusqu’à l’arrivée  de l’ambulance et son installation. Que nous le voulions ou non, l’interaction renvoie à une certaine violence. Jusqu’où pouvons-nous aller pour sauver la vie de Mme Perche ? Quelle limite entre assistance, intrusion, et violence ? Tout cela se confond et s’entrecroise, comment s’y repérer ?

Aux urgences, une déshydratation importante est constatée ainsi qu’un état cachectique et des troubles ioniques associés. Le risque vital est confirmé.

Les négociations continuent pour une hospitalisation au CHS. Mme Perche est moins virulente. C’est un médecin qui lui fait part de son inquiétude sur sa santé physique. Au final, elle est hospitalisée sous contrainte (tiers fait par une sœur par fax vu l’éloignement géographique).

Nous étions soulagées que Mme Perche soit prise en charge, nous appréhendions une mort quasi certaine à court terme.

Mais restent des questionnements éthiques quant à notre intervention. Respect du droit de refus de soins de la personne, sachant que des valeurs humaines sont en jeu (danger de mort). La notion de pouvoir est ici très présente :

·        que sommes-nous capables de faire ?                                                 

·        que devons-nous faire ?                                                              

·        jusqu’où devons-nous aller ?*

Dans les années quatre-vingt, quatre-vingt-dix, une telle situation n’aurait jamais fait l’objet d’une communication. Deux infirmières, lors d’une visite à domicile font le constat que la patiente qu’elles viennent voir se met en danger au point qu’elle court un risque vital. L’ancien placement volontaire créé par la loi de 1838 puis l’hospitalisation sur demande d’un tiers instituée par la loi de juin 1990 répondent précisément à ce type de situation. Le contexte oblige le déclenchement des mesures mises en place par Carole et Christine. On se serait peut-être interrogé sur l’ambigüité des visites à domicile qui oscillent entre risque de violation de domicile et risque de non-assistance à personne en péril. L’argumentation aurait été essentiellement juridique. La priorité aurait été donnée au risque vital. On aurait estimé que les infirmières avaient agit comme elles le devaient. Nul n’y aurait glissé de questionnement moral ou éthique.

Je me souviens quinze ans plus tôt d’une situation similaire. Nous suivions un vieux monsieur qui décompense un état maniaque. A domicile, mon collègue et moi, rencontrons une jeune femme que le vieil homme a,  dit-il, « enlevé » dans  un hôtel au mois. La jeune femme, loin d’être une victime, vampirise notre patient, le frappe un peu et fait surtout chauffer … sa carte bleue. Nous nous apprêtons à prier la jeune femme de déguerpir quand celle-ci prend le téléphone pour appeler son psychiatre traitant. Celui-ci, âgé de cent ans, consulte encore quelques patients. Il nous demande ce que nous faisons là, nous prévient que nous violons le domicile de sa patiente, et qu’elle n’hésitera pas à porter plainte. J’ai été poli avec ce psychiatre centenaire, connu pour ses options surannées et n’ai tenu absolument aucun compte de ses observations.  Nous en avons bien ri avec le collègue qui m’accompagnait. Aujourd’hui nous ne ririons pas. Nous tremblerions que ce psychiatre archaïque n’appelle la direction de l’hôpital, ne saisisse le préfet voire le procureur de la République. Nous ferions un rapport d’incident afin de nous couvrir. Le cadre supérieur de santé et la directrice des soins seraient prévenus, prêts à agir pour désamorcer la bombe.

Que la situation, au fond banale, décrite par Carole et Christine nous amène à nous poser des questions éthiques montre bien que quelque chose a bougé dans la société et que nous en avons intégré quelque chose. Nous nous posons maintenant constamment la question de la légitimité de nos actions, comme si nous étions coupables de faire ce que nous faisons, comme si nous n’étions pas sûrs de « bien » faire. Un choix inverse opéré dans un contexte à peine différent nous permettra peut-être d’aller un peu plus loin.                  

 

La recherche de l’alliance thérapeutique comme contrainte

 

Monsieur Paix est âgé de 55 ans, divorcé, 2 enfants. Il avait une activité professionnelle intense occupant une grande partie de sa vie. En 2002, grave dépression  avec des alcoolisations importantes et une TS qui l’amènerons au CHS, suivi d’une cure.

En novembre 2005 il rencontre à nouveau le Docteur Gauguin, ainsi que le médecin du CCA (Centre de Cure Ambulatoire en Alcoologie).

Très vite le psychiatre lui parle de troubles bipolaires.  Un traitement au lithium est mis en place qu’il ne supporte pas.

Pendant cette période il s’alcoolise très régulièrement. Rapidement, il se trouve en difficultés professionnelles. (D’ailleurs il est toujours en arrêt de travail à ce jour et n’a pas encore récupéré son permis de conduire).

En décembre 2005, le docteur Gauguin prescrit un suivi infirmier. Nous rencontrons M. Paix une fois par semaine. Le contact s’établit. Il arrive toujours alcoolisé, néanmoins il honore tous les rendez-vous. Il parle de ses appréhensions par rapport à la psychiatrie, évoque le suivi de son frère dépressif, qui s’est pendu.

Son état de santé s’aggravant nous renforçons la prise en charge à raison de plusieurs rendez-vous par semaine, ce qui nécessite d’élargir l’accompagnement à l’ensemble de l’équipe. Pendant cette période, Monsieur Paix sera hospitalisé au CHS deux fois pour des courts séjours.

En juin 2006, il fera une cure à Saint Barnabé à Marseille.

Il reprend contact avec nos services en octobre 2006. Ce jour là, il est accompagné de sa belle fille qui nous le confie avant de partir à l’étranger rejoindre le fils de Monsieur Paix. Il s’alcoolise à nouveau, et est réhospitalisé une semaine au CHS.

A sa sortie, plusieurs rendez vous lui sont proposés mais il ne s’y rend pas et reste injoignable. Nous décidons d’aller le voir à son domicile. Monsieur Paix nous ouvre la porte très alcoolisé, perdu dans le temps. Nous lui proposons d’autres VAD.

C’est le début de nos interrogations. Le contact est rompu avec le corps médical, il refuse les rendez-vous avec le psychiatre et est en total désaccord avec le diagnostic posé par ce dernier (troubles bipolaires). Il ne se rend plus au CCA (il dit avoir été sermonné par le médecin). A ce moment là, nous sommes seuls à rester en lien avec Monsieur Paix tout en maintenant un travail de réflexion clinique avec le psychiatre et le psychologue.

Nos visites, son unique contact avec l’extérieur, nous mettent de plus en plus mal à l’aise, elles restent incertaines, va-t-il nous ouvrir ? Pourra-t-il se déplacer jusqu’à la porte ? Malgré une attente parfois longue, la porte finit toujours par s’ouvrir, ce qui est bien la preuve qu’il est consentant aux soins. Nous valorisons sa capacité à nous accueillir, ce qui nous permettra par la suite de nous inviter pour partager un petit café. Dans ces moments de rencontre son comportement nous laisse penser qu’il maîtrise la situation et nous pointe notre impuissance, (nous la psychiatrie,) faisant écho à son histoire familiale (suicide du frère).

Dans le souci du respect des valeurs humaines, nous n’avons jamais envisagé une hospitalisation sous contrainte. En effet, M Paix, déniant sa pathologie psychiatrique, il n’a jamais pu adhérer à un quelconque projet d’hospitalisation. Nous avons toujours recherché une alliance thérapeutique mais le risque de non-assistance à personne en danger restait très prégnant.

Son état de santé psychologique et somatique nous inquiète. Il tremble, souffre d’hypersudations, de malaises, de troubles de l’élocution et de la marche.  

Lors d’une réunion clinique, nous convenons d’amener Monsieur Paix aux soins par le biais du somatique. Notre inquiétude grandissant, nous lui faisons remarquer sa dégradation physique, et lui proposons d’être accueilli en service de gastro. Monsieur Paix accepte d’emblée. Nous irons même jusqu’à l’accompagner dans le service en le confiant à d’autres soignants. Sauvetage réussi pour cette fois. Il acceptera un court séjour.

Il décide de sa sortie et reprend à nouveau la main concernant son devenir.

Le contrat nous semble rompu, ce qui nous amène à reparler avec lui de la spirale dans laquelle nous nous sommes senties prises durant les 3 semaines de VAD. Nous lui parlons de notre ressenti, de son flirt avec la mort, de la sensation que nous avons d’avoir été bousculé dans nos limites et de nos interrogations quant à sa liberté d’action. Un peu comme si nous voulions mettre en place un nouveau contrat de soin, histoire d’aller un peu moins loin dans le futur. Hasard ou pas ? Par la suite Monsieur Paix a connu une longue période d’abstinence.

Il nous semble que l’éthique fait partie de l’ensemble de la démarche décrite ci-dessus. Nous avons toujours été à la frontière de nos limites morales, déontologiques et de ses limites à lui. Nous savons bien que les sentiments ne font pas l’éthique. Ainsi en présence d’un sujet dont les compétences et les performances sont réduites par la maladie il peut être tentant non seulement d’aider mais de se substituer ou de pousser à …. Mais restons vigilants, nous ne devons pas faire de lui un homme remplacé, machiné, manipulé. Notre travail n’est-il pas de faciliter le passage de l’assistance à l’alliance thérapeutique ?

Ces deux vignettes cliniques ont en commun de mettre en jeu le risque vital. Dans le cas de M. Paix, l’alliance thérapeutique a pu s’appuyer sur un travail relationnel effectué quotidiennement en amont ce qui n’a pas été le cas avec Mme Perche où la rencontre et le lien n’ont pu se faire de par son positionnement, ce qui nous ramène à nos limites de soignants.**

Si la première situation répond à l‘impératif catégorique avec lequel la loi coïncide : « Tu dois soigner Mme L., même contre son gré », la deuxième illustre davantage l’impératif hypothétique, autrement dit éthique : « si tu veux une alliance thérapeutique (ce qui est bien), tu dois éviter de l’hospitaliser autant que faire se peut ». On peut noter que l’alliance thérapeutique est un concept « clinique » et non juridique même si l’esprit de la loi de 90 implique une recherche du consentement au soin, l’hospitalisation sur demande d’un tiers, n’intervenant que si le consentement s’avère impossible. Il m’arrive, en formation continue, de soutenir mon propos de situations de ce type. Lorsque je rapporte de telles prises en charge, immanquablement les soignants qui exercent en CMP ou à l’hôpital s’écrient que nous prenons des risques inconsidérés, que le patient devrait être hospitalisé sous contrainte même si un peu plus tard, dans l’échange, décrivant leurs propres situations avec les patients qu’ils suivent, ils conviennent que ça ne sert à rien. Le positionnement éthique, dans ces circonstances, ne vaut qu’aussi longtemps que le patient ne se suicide pas, ou n’agresse personne. L’éthique ne peut être la seule référence pour aborder ces situations qui toutes peuvent avoir des répercussions médico-légales. 

L’éthique, selon Wikipedia, établit les critères pour juger si une action est bonne ou mauvaise et pour juger les motifs et les conséquences d'un acte. La fin de l´éthique elle-même fait donc d'elle une science pratique. Il ne s'agit pas d'acquérir un savoir pour lui-même mais de nous rendre à même d´agir de manière responsable. Elle est considérée de nos jours comme la discipline au fondement de l’éthique appliquée, de l’éthique individuelle, de l’éthique sociale et des différentes formes spécialisées qui se confrontent aux problèmes normatifs de leur domaine particulier.

Une distinction courante consiste à entendre par « morale » l'ensemble des normes propres à un groupe social ou à un peuple à un moment précis de son histoire et à appeler éthique la recherche du bien par une conscience. Aujourd'hui, on emploie le terme « éthique » généralement pour qualifier des réflexions théoriques portant sur la valeur des pratiques et sur les conditions de ces pratiques. L'éthique serait ainsi une réflexion critique sur la moralité des actions. On parle par exemple de « comité d'éthique » au sein d'institutions scientifiques ou d'hôpitaux. L'éthique aurait donc ses fondements non dans les traditions d'un pays ou les codes d'une idéologie mais dans une décision rationnelle prise à partir d'un libre dialogue entre consciences. Le droit est distinct de la morale et de l'éthique dans le sens où il ne se prononce pas sur la valeur des actes, bien et mal, bon ou mauvais, et ne définit que ce qui est permis et défendu par l'État dans une société donnée. La déontologie est pour sa part l'ensemble des obligations qu'une profession s'engage à respecter pour garantir une pratique conforme à l'éthique. Je ne m’étendrais pas sur la déontologie, la profession infirmière, n’en étant toujours pas dotée. L’intitulé, l’éthique et le soin au quotidien, renvoie donc à l’éthique appliquée qui apparaît à un moment donné de l’histoire dans un contexte donné que nous allons décrire.

 

Naissance de l’éthique appliquée

 

Telle que nous venons de la définir, l’éthique appliquée, d’une certaine façon, est un pléonasme, l’éthique se réfère toujours à un contexte, donc à un quotidien d’où émerge un questionnement pratique que les formes habituelles de consensus social ou juridique ne permettent pas de trancher. L’éthique requiert toujours une interprétation de l’acteur ou du groupe d’acteurs.  

L’éthique appliquée naît aux Etats-Unis dans les années soixante avec l’explosion de nouveaux champs de questionnement éthique dans la société. Dans le courant des années soixante-dix certains de ces champs se sont stabilisés et polarisés en « bioéthique », « éthique environnementale, « éthique professionnelle », etc.

Ainsi que l’écrit Marie-Hélène Parizeau dans le Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale (1), l’expression « éthique appliquée » en faisant référence à une analyse éthique des situations précises, met l’accent sur la résolution pratique. L’importance est donnée, ici, au contexte, à l’analyse des conséquences, à la prise de décision. Cette visée, prescriptive plutôt que réflexive, s’exerce surtout dans les secteurs des pratiques sociales et professionnelles.

L’éthique professionnelle se trouve au cœur des questions concernant la structure sociale de nos sociétés industrialisées. Rappelons que ces dernières possèdent un certain nombre de caractéristiques qui conditionnent les questions éthiques. Historiquement, nos sociétés s’appuient sur trois forces normatives qui convergent ou s’opposent :

-         premièrement, l’économie qui fournit des valeurs (efficacité, rendement, concurrence) ainsi qu’une rationalité selon laquelle tout s’évalue en termes de coûts/bénéfice ;

-         deuxièmement, le développement technoscientifique qui, par l’usage d’une rationalité de type opératoire, fournit des procédés et es moyens à l’économie ;

-         troisièmement le droit qui, en réglementant les rapports sociaux, établit des normes et des interdits.

L’interaction étroite entre économie et technosciences a induit un déplacement des emplois vers le secteur des services qui regroupent plus des deux tiers des emplois. Ce secteur exige des compétences spécialisées qui correspondent assez souvent à un champ de pratiques spécifiques voire réservées, c’est-à-dire professionnelles. Ce phénomène de la professionnalisation de la sphère du travail appelle des règles internes à chaque profession qui s’expriment selon différentes modalités : les « bonnes pratiques » qui sont souvent des règles techniques ; la déontologie et les codes d’éthique qui déterminent les valeurs professionnelles, ainsi que les obligations, les droits et les responsabilités associés à la pratique professionnelle ; le code de déontologie qui inclut, outre des principes, des procédures d’organisation de la profession et des dispositions légales pour juger des actes dérogatoires.

La multiplication et l’évolution des pratiques professionnelles (la croissance du nombre de professionnels, la crise de confiance sociale envers le modèle de l’expertise, la baisse de la moralité professionnelle, etc.) alliées au phénomène de la bureaucratisation (organisation et division du travail selon des critères dits de rationalité) complexifient les structures sociales et rendent les rapports sociaux plus difficiles. Aussi n’est-il pas étonnant que des réflexions éthiques liées spécifiquement aux différentes professions se cristallisent sous la forme « d’éthique professionnelle ». Ces interrogations éthiques renvoient souvent aux problèmes pratiques d’ordre socioprofessionnel rencontrés par les membres d’une même profession, tels, par exemple, la dangerosité d’une technique et la question de la responsabilité sociale, la loyauté de l’employé, etc. L’éthique professionnelle dépasse ce cadre et s’interroge plus largement sur le rôle social de la profession, ses responsabilités, sa fonction, ses buts, son attitude face aux risques et à l’environnement. C’est dans ce contexte qu’apparaissent les ordres professionnels.

L’éthique professionnelle sous peine de n’être qu’une forme de corporatisme implique un dialogue pluridisciplinaire à l’image de la bioéthique. L’éthique, le droit, l’anthropologie, la psychanalyse, la sociologie, par exemple permettent l’élargissement du problème identifié en introduisant une perspective décentrée qui ne soit pas réductrice à des savoirs experts.

Retournons sur notre terrain pour voir comment dépasser cette éthique un peu trop autocentrée.  

        

Particularité du symptôme à accueillir ou comportement à redresser ?

Quelle éthique pour nos pratiques?

Réflexions à partir d’une situation clinique rencontrée en pédopsychiatrie : ELISE, 15 ans

 

Les parents d’Elise sont séparés depuis la petite enfance ; Elise habite chez sa mère et son beau- père ; elle est l’aînée de 5 frères et soeurs auxquels elle est très attachée ;  Elise ne revoit son père que depuis 2 ans et demi après une très longue période d’absence de celui- ci dans la vie de sa fille. Actuellement Elise refuse les liens à son père, liens que celui-ci est toujours en grande difficulté d’assumer dans la permanence. Elle est scolarisée en 4° et bénéficie d’un suivi éducatif en AEMO prescrit par la Juge des Enfants à cause de ses mises en danger. Elle avait bénéficié d’un suivi par un SESSAD du CM1 à la 5° ; le suivi était plus en lien avec des difficultés sociales et éducatives que psychopathologiques. L’assistante sociale de secteur suit également la famille depuis plus longtemps encore, pour tenter d’aider la mère d’Elise dans ses importantes difficultés financières et éducatives. Pendant son année scolaire de 5°, Elise a été placée dans une MECS suite à des allégations de sa part à l’encontre de son beau- père ; l’enquête a abouti à un non- lieu et Elise a réintégré le domicile de sa mère. On entend dans son discours des attentes immenses envers cette mère, mais on observe aussi combien Elise semble principalement s’adresser à sa mère sur le mode de l’insulte. Parallèlement à cet accompagnement socio- éducatif, Elise est suivie en pédopsy depuis 3 ans, c'est-à-dire depuis son année de 6°, au moment des retrouvailles angoissantes avec son père. C’est à ce moment qu’Elise a fait une première TS médicamenteuse. Elle en a fait une autre, juste avant l’audience de main- levée du placement, dans cette attente angoissante de savoir si sa mère accepterait de la reprendre chez elle. Parallèlement à ces TS, Elise fugue. Elle fugue depuis l’année de 5°. Les modalités de ses fugues ont évolué,  passant d’épisodes qu’on pourrait qualifier de « disparition à elle- même » ou de « confusion » pendant la 5°, période où elle était à la MECS, à des absences de la maison, de l’école, plus construites, mais avec une errance et des rencontres qui la mettent en danger : elle rencontrerait des hommes. De fait, elle a été retrouvée, lors d’une de ses fugues, dans une chambre d’hôtel. Elle était dans un état de confusion où elle ne pouvait pas dire grand-chose de ce qui s’était passé, mais évoquait tout de même 2 hommes avec lesquels elle serait partie. Par ailleurs Elise parle de ce qu’elle appelle un « stress », dont elle dit la tension qu’il génère dans son corps (tension musculaire, sensation d’oppression respiratoire). Elle adopte souvent une vêture provocante, et répand dans le collège un discours récurrent autour d’une éventuelle grossesse. Mais ce mode de présentation dans la séduction, un peu « femme/ enfant », alterne avec des moments plus régressifs, où elle se comporte comme une « petite fille » (notamment pendant les hospitalisations), et avec des temps où elle fait la « grande sœur », la « maman » (notamment avec d’autres adolescents au CATTP).

Mais les adultes du collège sont inquiets de son discours et nous interpellent quant à son absentéisme ; ils nous présentent des hypothèses de prostitution alarmistes, quoique plausibles. Autour d’Elise les appels téléphoniques de l’école inquiète et les temps de rencontre au collège, autour de son projet personnalisé de scolarité intégrant les temps de soins deviennent des moments de tension, nous obligeant à nous poser la question de quelle éthique fonde nos pratiques.

L’école : « Il faut absolument faire quelque chose ; c’est pas possible ! Que fait la juge des enfants ? Que fait la psychiatrie ? Elle se prostitue ; elle est en danger ! Il faudrait qu’elle soit dans un endroit où on s’occupe vraiment d’elle, qu’on l’amène à l’école ; sa famille ne s’en occupe pas… »

La pédopsy : « Même si quelqu’un l’amène au collège, ce qui était le cas avec la MECS, cela n’empêchera pas ses fugues ; elle fuguait après avoir été déposée au collège, comme elle fugue cette année où elle arrive seule par le bus ; c’est un symptôme, c’est le propre du symptôme d’insister, de résister ; il ne s’agit pas un comportement qu’on ne peut ni réduire, ni éduquer… » Nous tentions également de mettre en valeur les ressources d’Elise.

En effet, ce qui nous semblait très intéressant, à nous soignants, c’était l’investissement personnel d’Elise dans le soin; elle venait au CMP pour solliciter d’elle- même des entretiens lorsque l’angoisse est trop grande, qu’elle a des idées noires ou peur de fuguer. Elle venait à l’heure aux groupes CATTP, alors qu’elle erre en ville depuis son arrivée par le bus du matin, sans avoir mis les pieds au collège.

Même dans l’institution soignante la question se pose. Elise fugue depuis l’hospitalisation, un après- midi. Recherches vaines dans Gap, rapport d’incident, appel des parents et du service éducatif… Tard dans la soirée un homme la ramène à l’unité d’hospitalisation.  Les inquiétudes de l’équipe augmentent ; on entend certains soignants dire : « Il faudrait lui trouver une institution spécialisée pour jeunes filles prostituées ; ce n’est pas possible de continuer comme ça ; nous ne sommes pas adaptés pour des mineurs qui risquent de fuguer… »

Après une nouvelle hospitalisation au Corto, Elise retourne en foyer éducatif où les fugues recommencent. Les services éducatifs s'inquiètent sentant Elise en danger, et avec l'équipe de soin, il est finalement jugé préférable de trouver une structure plus contenante, et de l'éloigner de GAP. Elise passe donc deux mois dans une clinique privée près de Marseille. Là elle fait une demande écrite au Juge des enfants pour demander à retourner chez sa mère, demande qui sera entendue : le placement a donc lieu chez sa mère avec un suivi éducatif et la mise en place d'un hôpital de jour ; la scolarité viendra dans un second temps.

Aujourd'hui Elise affiche une envie d'arrêter "ses conneries" ; elle se présente moins maquillée, moins provocante dans sa tenue, mais avec des plaintes somatiques plus importantes: troubles du sommeil, dégoût de la nourriture, vertiges et amnésie. Mais son discours a rarement été aussi clair, alors qu’effectivement nous savons combien le cadre éducatif chez sa mère est peu contenant. Toutefois, sa mère, son beau-père et Elise ont conclu un marché avec des règles précises sur les sorties. Elise est fière de m'annoncer que sa mère va faire respecter ses règles et qu'elle en est capable, ce qu'Elise  demandait depuis longtemps, avec toute l'ambivalence de l'adolescence. Une famille d'accueil est évoquée…

Dans une société qui prône le risque zéro, où les spécialistes de l’INSERM prétendent qu’il est possible de dépister les futurs délinquants dès l’âge de trois ans, où les jeunes font peur, où la peine plancher pourrait s’appliquer même à des mineurs s’ils sont récidivistes (loi relative à la prévention de la délinquance (mars 2007)), où le juge des enfants ne serait plus que celui du pénal (un autre juge s’occuperait de la mission de protection ) au point qu’on de se demander s’il s’agirait de couper le jeune en deux, sa partie pénalisable et sa partie protégeable ? Au total, plus de répression et moins de prise en compte du sujet et de son histoire ; même notre institution à vocation soignante devient une institution, où le protocole prend le pas, où le symptôme devient un « évènement indésirable ». Quelle possibilité encore d’accueillir la souffrance intime du sujet dans son symptôme, comme visage de son désir, désir qui le fait exister ? Si l’objectif premier est d’éradiquer le symptôme, c'est-à-dire en l’occurrence qu’Elise ne fugue pas (et elle a fugué du CATTP,  et de l’HC, comme d’ailleurs) à part de l’enfermer, ou de la sédater, ou bien de botter en touche pour l’envoyer ailleurs, qu’allons- nous faire ? Quel risque pouvons- nous encore tolérer pour travailler avec le patient ? Est- il possible encore d’accompagner Elise dans ses tentatives de construire son avenir avec ce symptôme, en travaillant avec elle son symptôme et son désir ?

Cette situation d’Elise met en exergue, à la fois l’irréductible du symptôme et la capacité de création du sujet. La minorité d’une patiente qui se met en danger donne une acuité particulière au questionnement de nos pratiques. Nous vous proposons en conclusion une citation de Paul- Laurent Assoun qui nous invite à mettre au centre de ce qui fonde l’éthique de nos pratiques le désir du sujet qui s’exprime dans son symptôme ; il écrit: « Ce n’est pas en « noyant » le symptôme que l’on vient à bout du sujet. La « cause récidivante », c’est le sujet lui- même, que l’on peut « distraire » de sa souffrance sans pour autant l’arracher à la mémoire du conflit désirant qui l’occasionne. Mieux : la souffrance est un visage de ce désir, en sorte qu’en l’isolant de la vie (familiale notamment), on cherche à instituer… un déni de ce désir- cause- de- souffrance. » ***

Conclusion

L’éthique au quotidien ou éthique appliquée (et l’éthique professionnelle qui en découle) apparaît finalement assez éloignée de considérations morales, elle est davantage le fruit des développements économiques et technoscientifiques et de leurs interactions dont elle est un faux nez. Elle vise avec ses règles pratiques à l’interchangeabilité des acteurs. « Bonnes pratiques », « protocoles », « évaluation des pratiques professionnelles », « accréditation », « certification » procèdent de la même démarche.

Sur un plan méthodologique, l’analyse éthique se préoccupe de cas concrets bien documentés tant au plan technique que dans ses autres dimensions. Elle vise la clarification du dilemme éthique dans le but de fournir des avenues normatives, voire des solutions précises. Elle ne peut qu’échouer dans cette entreprise. Le singulier des cas particuliers ne renvoie jamais à une généralisation parce que chaque généralisation introduirait un impératif catégorique.

S’il est possible de parler à propos d’éthique ou sur l’éthique, il est impossible d’enseigner l’éthique. Ainsi écrivait Wittgenstein dans sa Conférence sur l’éthique : « Ce qui est éthique, on ne peut pas l’enseigner. Si je ne pouvais expliquer à autrui l’essence de ce qui est éthique que par le biais d’une théorie, ce qui est éthique n’aurait pas de valeur du tout. » (2) Il n’est d’éthique que du sujet.

Ainsi que le montrent Isabelle et Nathalie, ce ne sont pas pour des raisons d’éthique que Carole et Christine font hospitaliser Mme Perche contre son gré, que Brigitte, Florence et Cécile font le choix inverse en ce qui concerne M. Paix. mais pour des raisons cliniques qu’il est parfois difficile de décrire. Il est évident que si Mme Perche n’avait pas été médecin, que si le frère de M. Paix ne s’était pas pendu nos réactions auraient été différentes. Le transfert et les éléments de notre contre-transfert font également partie du contexte dans lequel nous intervenons. Le questionnement éthique dans les soins au quotidien, jusqu’à la preuve du contraire, fait irruption chaque fois que nous abandonnons nos références à la clinique, qui est, elle aussi, par définition, une clinique du sujet.

A l’Aristote de l’Ethique à Nicomaque, le quasi dernier mot :

«  C’est par l’accomplissement des actions justes qu’on devient juste, à ne pas les accomplir nul ne saurait jamais devenir bon. Mais la plupart des hommes, au lieu d’accomplir des actions vertueuses, se retranchent dans le domaine de la discussion, et pensent qu’ils agissent ainsi en philosophes et que cela suffira à les rendre vertueux … » (3)

En tant que soignants, notre seule vertu est de nous arc-bouter à une clinique à l’écoute du sujet, encore et encore, à ne jamais nous estimer satisfaits de ce que nous croyons avoir perçu ; notre vertu et notre éthique est d’être, au quotidien, toujours en travail, par nos actes, par nos échanges entre nous, par une lente élaboration psychique qui doit engager chacun de nous. 

 

Carole Mouet*, Cécile Pentrella**, Florence Terrisse**, Christine Despagne*, Brigitte Chaurand**, Dominique Friard, Isabelle Fragiacomo***, Nathalie Le Bechec***.

 

 

 

Notes :

1-     PARIZEAU (.M.H), Ethique appliquée, in Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, PUF, Paris, 1996, pp. 534-540.

2-     WITTGENSTEIN (L), Conférence sur l’éthique, in Leçons et conversations, Paris, Gallimard, 1992, 190 p.

3-     ARISTOTE, Ethique à Nicomaque. Paris, Vrin, 7ème Ed. ; 1990, 541 p.

 




nous contacter:serpsy@serpsy.org