Noces de
porcelaine.
Sept
décembre 1992.Un lundi. Le samedi précédent, ma deuche filait tout droit en
terre toulousaine dans un périple de 1000 km. Une nouvelle vie s’ouvrait à moi,
pleine de promesses…
Je me
souviens de ce premier jour.
La route
d’Espagne, les Pyrénées majestueuses lointaines et pourtant si proches, drapées
dans leur manteau de neige. C’est, la boule au ventre, que je franchis la
barrière pour prendre mes fonctions dans un service d’admission…Bientôt armée d’un clinquant trousseau de clés confié
par un « surveillant promu à l’ancienneté », j’allais bientôt m’immerger
dans un pavillon de fous. Le bizutage ne se fit pas attendre. Un collègue
bien-intentionné me proposa de participer aux entretiens du médecin dont la
« surveillante chef » venait d’annoncer la venue par téléphone ;
avec une diligence de serviteurs, nous nous dirigeâmes vers le fond du couloir
où se trouvait le bureau médical, et le roi fit son entrée entourée d’une cour
obséquieuse et rampante. Mal à l’aise, je pris immédiatement la place du
patient m’asseyant face au mandarin sous les rires malicieux de ses domestiques
dévoués…. La bonne blague !!!....
J’allais de
surprise en surprise. Un second surveillant traînait ses guêtres dans l’unité.
Je l’avais aperçu au moment de la venue du Grand Maître. Il passait le plus
clair de son temps au PC (secrétariat et lieu de consultation), lisait la
Dépêche par le menu, désoeuvré…Puis un troisième surveillant apparut un
jour… »Surveillant de secteur !! Notre secteur, avant-gardiste au
demeurant d’après les échos que j’en avais eus, était le seul de l’hôpital à ne
pas être doté d’un CMP ; les VAD se faisaient à partir des admissions d’où
un effectif soignant conséquent.
Mes
collègues étaient accueillants, l’ambiance chaleureuse, joyeuse, au plus près
des patients. Infirmier(es) de secteurs psychiatriques chevronné(es), j’eus la
chance d’être bien entourée. Le Grand Manitou avait la réputation d’assumer ses
responsabilités face à l’administration et la clinique primait quitte à en
découdre avec l’administration. Un bémol, cependant, et pas des moindres, il
pratiquait des protocoles de traitement sur les patients-cobayes dont les
petites mains que nous étions avaient à charge de surveiller les effets. La
rumeur courait que les labos récompensaient grassement les médecins qui
contribuaient à ces travaux de recherche…
Le temps
passait et, de plus en plus souvent, je sortais épuisée de mes journées et
nuits de travail. Les patients rentraient, sortaient pour laisser la place à
d’autres, puis, revenaient parce que sortis trop tôt. Le sens de mon travail
commençait sérieusement à battre de l’aile, la pression montait, des passages à
l’acte violents auto et hétéro-agressifs marquèrent au fer rouge une équipe de
plus en plus éprouvée .Pourtant, je ne me sentais pas encore prête à
quitter cette équipe… Si j’avais su qu’on déciderait pour moi….
Par une
belle journée ensoleillée et venteuse, boum badaboum, un souffle inaugura la
fin. 21/09/2001, 10h17, l’explosion de l’usine voisine de l’hôpital Marchant.
Sidération. Chaos.
Mon cher
pavillon de l’HP, HS !!
Après un bel
élan collectif, la désillusion. L’Hôpital Larrey et son dédale de couloirs,
d’ascenseurs dans lesquels je me perdais. Vint le temps de la reconstruction
sécuritaire, miroir de l’air du temps. Bips, zones fermables, équipes
recomposées et interchangeables, protocoles, grillage qui enferment les espaces
de verdure, véritables cages en plein-air pour fous.
Je ne m’y
retrouvais plus.
Quelques
années dans une unité extrahospitalière dont la fin fut rapidement annoncée.
Quelques années de plus dans une autre structure en permanence sur la sellette.
Obsession de la file active, des actes répertoriés, menace permanente de
fermeture, traçabilité, culpabilité instrumentalisée des soignants, pression de
toute part, prise dans un tourbillon destructeur portée par le sentiment de mal
faire mon travail et de souffrir en l’accomplissant. Perte de sens, plus de
temps pour penser mais accomplir des tâches les unes après les autres. L’épée
de Damoclès au-dessus de nos têtes, ombre menaçante.
Malgré le
rouleau compresseur qui s’abat sur nous, défendre le travail de la clinique
reste pour moi une priorité, une éthique (un bien grand mot, je sais) dont je
ne peux me détourner.
Sept
décembre 2012. 20 ans de fidèles et loyaux services….
L’hôpital a
le culot de nous demander de signer une Charte de bientraitance.On croit rêver.
Non, impossible de figurer sur la photo de famille, de participer à la
mascarade de remise des médailles entourée de tous les complices de la
destruction d’un service public digne de ce nom. Je continuerai à me battre pour
une psychiatrie humaine qui défend la dignité des patients. Je me dois de le
faire pour eux et pour tous ceux qui les soignent.
chabada