Si l’on tenait compte de
cette petite chose que « le patient rencontré à chaque moment d’un soin
n’est plus un aliéné d’image d’Epinal, mais un homme, une femme, un enfant,
simplement et d’abord », nous aurons vraiment réalisé la « révolution
culturelle » présente dans la psychiatrie de secteur, cette chère
« psychiatrie de secteur » que j’ai de plus en plus envie de
compléter par le terme moins « initié » de « Psychiatrie dans
la Cité ». N’obligeons pas, par nos termes de militants, les patients,
leur famille, à entrer dans la longue cohorte des militants qui ont patiemment
construit cette belle utopie d’une nouvelle psychiatrie dans un monde meilleur.
Eux ils habitent une ville, une Cité (grande ou petite, mais pas …un
secteur !, et nous voudrions les convaincre de faire de la psychiatrie au
plus près de chez eux) Ne les obligeons pas, en plus de leur soufrance, à être
‘militants’. La vie quotidienne a ceci de merveilleux de nous obliger à ‘créer’,
dans le quotidien, dans la façon de recevoir toute personne dans nos espaces,
d’être son hôte. C’est déjà tellement révolutionnaire ! N’en rajoutons pas
avec un catéchisme obligatoire, avec des mots de passe nécessaires. Restons
simples comme dans notre vie personnelle.
Mais tout ceci est très
général, c’était juste une introduction en termes « d’humeur » avant
d’en passer à des moments d’humour qui font que la vie est vivable,
moments d’humour qui seraient bien utiles aux soignants de psychiatrie aussi.
Nous n’avons pas encore la force des juifs ou des belges qui savent pour vivre
d’abord rire de leur singularité ; cela me manque, cela nous manque,
« Regardez nos professeurs de psychiatrie ! à quel point ils sont
pincés ! cela se comprend, il faut qu’ils enseignent ! nous savons
encore si peu de choses ! la première des choses simples serait d’être
modestes et de partager clairement nos savoirs et nos ignorances. Ils n’osent
pas. L’exemple le plus drôle en ce domaine est la certitude constante et jamais
désarmée de nos chercheurs et professeurs d’outre atlantiques, frères des
nôtres, sur l’origine de la schizophrénie : « Nous savons, disent
ils ! parce que depuis 30 ans
nous faisons des dosages des urines et nous coupons en tranches fines nos
gènes…et si nous cherchons, ajoutent ils….c’est que nous allons trouver
un jour…donc si vous me suivez, terminent-ils, vous avez compris que la
schizophrénie a une origine génétique et moléculaire ! …voilà
pourquoi votre fille est muette : elle ne parle pas» « mais les preuves ? » « attendez,
on cherche, donc c’est comme si c’était fait ! ». Ne soyons pas méchants envers eux, c’est si
facile de rire de personnes qui ont de si lourdes charges que d’enseigner le
peu que l’on sait. C’est vrai Sigmund (f) l’avait dit dès le début de ses travaux,
et avait appelé à la modestie les soignants : « peu à peu nous
allons mieux connaître l’infiniment petit de notre corps qui joue sur notre
esprit, et c’est un bien car cela aidera chacun à moins souffrir, mais pour
autant continuons à voir comment les personnes qui souffrent peuvent vivre
mieux avec leurs troubles » Il n’empêche en effet que notre propension
au rêve d’un monde meilleur restera forte et que cela continuera à en rendre
malade plus d’un ; nous avons choisi comme profession celle qui tente de
mettre fin à ces souffrances lorsqu’elles dépassent les capacités psychiques
actuelles de la personne ; continuons, il y aura toujours de quoi faire.
L’humour dans le quotidien
devrait s’enseigner ! la vie aussi d’ailleurs, la vie quotidienne, dans sa
simplicité que les soignants oublient si vite ! on nous enseigne tellement
de choses qu’on oublie celle-là. On oublie même qu’on a appris à vivre avant de
se mettre au travail, la famille, la société, l’école, la cuisine, le
bricolage, le jeu…on a travaillé ça pendant 20 ans au moins. Et ça c’est un
enseignement de base pour tous les nouveaux soignants, cet enseignement ils
pourraient l’utiliser si nous leur donnions un peu plus confiance en eux, au
lieu de régulièrement les ‘bizuther’ en les mettant face à face avec des
patients sans leur donner aucune indication, et s’étonner de leur angoisse.
Dire qu’il y a des professeurs, paraît-il, qui commencent l’enseignement de la
psychiatrie en affirmant du haut de leur ‘chair’ …caparaçonnée, « qu’il
faut d’abord se méfier de nos émotions, rester insensibles et neutres », Etonnez vous que les psy soient considérés
comme des glaçons après. Qui a dit que Pavlov n’enseignait plus dans nos
facultés « libérales ? » ; alors que les émotions sont les
meilleurs gardiens de notre santé, car ce sont elles qui nourrissent notre
dynamisme. Nous travaillons avec elles constamment, et il faut en faire quelque
chose au lieu de les laisser à l’état brut ; mais si nous les étouffons
que restera-t-il ?
Le premier rien du
quotidien, dit si souvent Jean Oury, c’est le sourire. Qui l’enseigne en
fac en dehors de lui et de quelques autres qui ne sont pas dans les fac ni dans
les IFSI ?
Et au fond, si
l’enseignement ça partait de la base au lieu de partir d’en haut ? et si
ça partait d’un échange : « Oh là ! vous, dites moi, je ne
sais plus quoi faire là, j’ai souri avec ce patient,…et puis y a rien eu ! ».
Il y a des mots ensuite qui doivent venir ; ils viennent en faisant
connaissance, un peu d’apprivoisement, tout de même. Relisons « le petit
Prince ». Après cela on ira plus loin, mais seulement si nous sommes
convaincus de l’importance de ce préalable.
Je rajoute un petit rien
sur le « fond » de la question, étant donné notre
« responsabilité », responsabilité que nous avons prise en choisissant
ce foutu métier sans fin, qui est un défi constant (tout le temps inventer pour
découvrir ce qui coince l’autre et le fait souffrir), ce petit rien serait de
se débarrasser régulièrement de tout ce que nous savons, et que nous avons
appris, pour vraiment, sans réserve et sans a priori, « rencontrer
l’autre » qui souffre, qui est vulnérable, limité ici un moment, en
retrait là et si peu bavard, ou au contraire qui s’envole sans cesse sur son
bateau à lui.
Et si constamment comme
attitude de base dans la vie quotidienne on arrivait à retrouver cette façon
d’être qui serait de ne pas d’abord considérer la personne qui souffre comme un
malade, mais comme une personne ! la blouse que beaucoup d’entre nous ont
quittée, reste encore dans notre tête et modifie le moindre de nos gestes, la
plus simple de nos paroles, que du coup nous nous efforçons de compliquer à
l’envie, « psychiatrie oblige » !
Si l’on pouvait pour cela
prendre en compte les nouvelles attentes de
notre société, qui sont comme de véritables vagues de fond venant
modifier l’enseignement précédent sur la folie, et que l’on note dans les
attitudes sociales comme dans les conclusions des tribunaux depuis plus de 10
ans :
Commençons par la pratique
psychiatrique et la connaissance de la folie :
1-
parler
« avec » le patient au lieu de parler ‘de’ lui’
2-
Relisez simplement la page
de garde du livre de Sven Follin (1911-1999) « Vivre en délirant ».
Soyons un peu attentifs dans notre pratique quotidienne, les patients réputés
les plus mal sont toujours « présents », même quand ils délirent
totalement ou s’agitent, ils enregistrent tout ce qui se passe autour d’eux ou
qui les touche, la preuve, un jour ils en reparlent ! Cessons ces
attitudes « médicales » d’un autre siècle qui permettaient au Patron,
comme à ses élèves, de parler du patient dans son lit devant lui comme d’un
objet incapable d’enregistrer, un appareil dont on changeait un rouage. Si nous
comprenons cela pour les patients qui nous paraissent étranges parce qu’ils
sont malades depuis si longtemps et qu’ils ont une longue histoire qu’ils ne
vont pas dévoiler en un instant, c’est aussi vrai avec tous les autres.
Pourtant nous avons encore ce comportement tous les jours.
2- le contact
Si nous comprenions que le
premier soin, c’est « le contact quotidien », qui permet de parler
avec les patients de ce qui se passe là,
et autour de nous, autour d’eux…
3- le savoir
Il serait utile que nos
maîtres nous informent que la société autour de nous continue à changer, même
si les désastres s’accumulent. Par exemple les « gens » veulent de
plus en plus en ‘savoir’ sur ce qui se passe en psychiatrie…alors que savons
nous ?
4- à la recherche de nos
vrais professeurs
Et à ce titre écoutons les familles
et les patients regroupés en Association, ce sont eux nos meilleurs
« universitaires » actuellement : ils ont une grande compétence
dans la vie quotidienne partagée avec les personnes qui souffrent. Par exemple
nous parlons de plus en plus facilement de l’épuisement des soignants (restons
anglais et disons le ‘burn-out’ avec l’accent, cela pose plus et permet
d’échanger avec nos amis saxons au lieu de rester entre ‘franchouillards »
qui savent tout). Eh bien je peux vous dire qu’en la matière ils en connaissent
un morceau, l’épuisement, ils connaissent ; ils peuvent nous passer des
recettes pour y faire face ; ils en ont des recettes…comme nous : ce
sont des professeurs « des petits rien du quotidien ». Je voudrais
qu’on m’enseigne la différence entre les petits rien de la vie et les petits rien
du soin quotidien, c’est là que ça commence la ségrégation, la classification.
Et ce n’est qu’après cette expérience que l’on peut parler de travail
psychothérapique.
5 le besoin d’information
Nous devrions savoir que
nos concitoyens veulent de plus en plus être informés des soins qui leur sont
prodigués…car de plus en plus ils veulent « participer » aux
décisions…mais pendant ce temps là « vogue la galère » c’est un
refrain adapté ici, nous voyons par exemple nos commissions ministérielles
s’efforcer de nettoyer et donc de renforcer la loi de 1990 laquelle veut
« peaufiner » le soin sans consentement ! attention au réveil
des psy ! Qu’est ce que c’est que cette histoire à dormir debout qui nous
vient des anciennes frayeurs contre la folie ? En fait les citoyens ils
veulent ce que propose la psychiatrie de secteur : c’est à dire une
information incessante du patient et de son entourage sur le soin ; après
un temps suffisant d’échange la personne qui souffre comprend que les soignants
sont bien de son côté, qu’ils veulent partager leur savoir sur cette souffrance
pour que peu à peu ils trouvent comment et avec qui ils ont enfin envie de se
battre contre cette foutue souffrance. Certes il y a quelques cas qui sont très
difficiles, et pour lesquels il faudra plusieurs personnes de la Cité pour
arriver avec le patient à une idée commune du soin. Mais le plus important est
donc cette disponibilité simple, sans barrière, de soignants travaillant en
équipe, donc en confiance entre eux, proposée aux patients et à leur famille,
et travaillant ensemble pendant suffisamment de temps pour que le patient
transforme le déni qu’il a de toute réalité psychique de ses troubles et
demande un soin d’où la nécessité de personnels suffisant par secteur, et
suffisamment ‘déformés’ puis ‘reformés’ par des formations permanentes
stimulantes qui mettent en relation le soin et la vie quotidienne,
concrètement.
La société change, c’est un
bien, elle est plus intelligente, plus humaine, plus exigeante :
a- les médicaments
Les médicaments sont
nécessaires, le problème est qu’il faut apprendre à les prescrire avec
compétence, les psy ont déjà du mal, mais les généralistes en donnent les ¾
sans aucune formation et sans appui psychothérapique, recevant seulement la
formation des labo. Développons donc le travail avec les généralistes le plus
vite possible, en nous appuyant sur leur dimension si fondamentale pour la
psychiatrie qui est d’une part la notion de médecin de famille, d’autre part
leur implication dans la durée des troubles (que ce soit pour les psychoses,
pour les névroses, pour les dépressions… !). c’est d’autant plus
intéressant que cette idée de durée est aussi du côté des équipes de secteur et
…de la Cité.
b- une dimension collective
La société actuelle, si
nous sommes attentifs à ses changements profonds repris par les lois, ne se
limite plus à l’échange individuel, (celui ci reste en psychiatrie la seule
référence thérapeutique, le seul échange ‘valable’) : la société a de plus
en plus des références collectives. C’est tout à fait intéressant pour
nous. Tout devient de ce fait plus solide : nous voyons de plus en plus
que tout le monde prend en référence une notion de l’homme dans sa globalité
l’homme avec son corps, son appareil psychique et sa relation à l’autre (pour
dire autrement que ce mot de jargon ‘biopsychosocial’) ; nous aussi en
psychiatrie de secteur, mais en soutenant comme le fait Francis Jeanson
l’importance de la continuité à maintenir chez tout homme entre ces 3
dimensions, ce qui revient à refuser de le découper en tranches. Un pas de plus
dans cette réflexion et c’est mettre en évidence notre souci des liens, le
souci de prendre en référence la famille, premier chaînon des liens, la
‘constellation’ des personnes partageant une même vie, ce qui vient consolider
en psychiatrie la notion d’équipe. En effet de plus en plus la référence
sociale s’oriente vers une notion collective pour appuyer la vie d’une
personne. N’avons nous pas à aller dans ce sens dans l’élaboration de
nouveaux soins : des temps plus collectifs avec 3 à 5 personnes.
Revenons au
quotidien : ce petit rien de la vie, ce petit rien du soin, que je
soutiendrai dans cette merveilleuse petite question de SERPSY et des CEMEA, ce
serait avoir le souci de la parole simple, cherchant à vivre simplement ces
petites rencontres quotidiennes avec les personnes qui souffrent, et à
s’appuyer sur l’expérience ‘de vie’ de chacun, du patient comme du soignant
pour chercher à soutenir là le patient dans sa quête incessante d’informations,
informations sur lui, puis sur sa souffrance, puis sur ses droits en tant que
citoyen (être malade n’entraîne-t-il pas un droit aux soins ?),
information sur les médicaments, sur tous les soins, sur la vie quotidienne,
sur les questions administratives et l’accompagnement dont il a besoin dans de
nombreux dédales à partir de là aussi, enfin les divers accompagnements dont il
a besoin pour garder ou construire ses liens dans ce qui l’arrime à sa Cité (si
nous sommes hésitants sur la justesse de telles démarches, il suffit de voir ce
qu’avec Internet les familles peuvent avoir sur ces informations, cela peut
nous convaincre que nous devons être ensemble dans cette recherche
d’informations). Ne pas oublier de relire la « Charte des patients »
affichée dans nos lieux de soin depuis 1995. Ceci n’est pas nouveau, mais n’est
pas encore le petit rien du soin.
En effet il y a plus dans
la révolution de la psychiatrie de secteur amenée par le petit rien du
quotidien : dans la forme des échanges dans le soin comme dans les
échanges entre le soin et …la vie, de plus en plus nous prenons l’habitude d’être
à trois dès que nous cherchons à franchir une étape, à franchir un seuil, à
accéder à une nouvelle pensée : être à trois permet de ne pas chercher à
convaincre, ni à séduire, ni à obliger, ni à
‘souhaiter’ que l’autre devine ; mais à 3 nous accédons ensemble à
une autre forme de pensée, nous apprenons quelque chose en échappant à la
maîtrise ou la dépendance (bien évidemment, sauf si dans ces 3 il y en a deux
identiques deux soignants du même soin, ou deux personnes de la même famille
avec le patient ; non il s’agit de trouver des triangles dont les 3
côtés sont égaux : comme - un soignant, un patient, une personne de la
famille ; - un patient, un soignant, un acteur social ; - un psy, un
généraliste, le patient ; - une AS de la Cité, le patient, un soignant,
etc).
Une « triangulation
qui constitue un vrai triangle à côtés égaux », une idée de tiers, une
troisième partie, tout cela se conjugue et s’invente et apporte une étape forte
dans le travail du soin.
Dans la présence aux côtés
du patient, nous avons ces deux moments : l’un seul à seul nous permet de
nous montrer au patient simplement comme homme ou femme et permet d’installer
la confiance, les autres seront des moments qui articuleront les soins entre
eux, qui permettront de franchir des étapes dans l’échange.
Le petit rien évoqué ici
est donc le sourire, la place que je prends pour « lui » parler, le
mot que j’utilise, à tous ces petits moments que sont la première rencontre, à
l’urgence, ou dans un lieu de soin ou en entrant au domicile de cette personne
qui souffre. Avant de parler d’elle comme malade, qu’elle soit d’abord une
personne. Rien de neuf, là, si ce n’est qu’il serait temps de savoir que c’est
exactement ce que demandent de multiples façons patients et familles
aujourd’hui, ce n’est donc pas héroïque. Ils voudraient nous voir ainsi, non
seulement dans le soin, mais aussi dans les liens à tisser dans la vie pour que
d’autres relais soient pris avec les proches comme avec les différents acteurs
de la Cité. Ils ont peut être raison au fond, qu’en pensons nous ?
Ces moments à deux et à
trois sont deux petites choses des milles et unes à glaner ensemble dans ces
rencontres avec les personnes qui voudraient ne plus souffrir.
Amitiés.
guy baillon