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Institutions
revue de psychothérapie institutionnelle

Sommaire du numéro 26

Editorial

Sommaire

Editorial

Franck Drogoul

Les rendez-vous

Dossier : Les potentialités soignantes

La santé mentale, affaire de tous

Lucien Bonnafé

La grande exclusion de la psychiatrie

Joseph Mornet

Une clinique du passage, ou les passants auxquels s’intéresse la clinique

Didier Petit

Véronique Laccourreye

Madeleine Alapetite

marie renée le grand-septier

La dimension pathogène de la modernité

Serge Bruckmann

Histoire

L’hôpital, de Pinel à la psychothérapie institutionnelle (2ème partie)

Catherine Mazières

pedagogie institutionnelle

La pédagogie institutionnelle, une non-évidence

rené Laffitte

Mireille Perbal-Laffitte

Notes de lecture

Les figures du réel : des écritures en souffrances d’inscription

Jean Oury

" Dieu m’en prothèse ! "

Thierry Goguel d’Allondans

La borde Ivoire

L’infirmier et la féticheuse

Philippe Bichon

EDITORIAL

Franck Drogoul

Paris

Que nous tentions, jour après jour, souvent dans le doute et l’inquiétude, parfois avec la récompense d’un mot, de " soigner ", cela ne fait nul doute. Mais bien plus difficile est de savoir quelle est exactement cette fonction soignante, ou encore par quel chemin passe le vecteur thérapeutique. Cette question du " Par où ?", si chère à Jean Oury, est donc celle que nous nous posons aujourd’hui, et à laquelle ont accepté de se confronter les auteurs de ce numéro... " Par où ? ". Par le peuple pour Lucien Bonnafé, par le passage pour l’équipe d’Angers. Et certainement pas par la psychiatrie d’Etat pour Joseph Mornet, ni par la " modernité " pour Serge Bruckmann...
En effet, comme l’écrivait Félix Guattari il y trente ans, ce peut être du débile du service que va surgir l’interprétation attendue par le groupe institutionnel. Encore faut-il que le débile ne soit pas parqué dans un long séjour sous médicalisé. Encore faut-il également que le travail préalable sur les effets aveuglants des différentes aliénations -sociale, institutionnelle et mentale – ait déblayé le champ dit thérapeutique dans lequel on est appelé à produire du soin.
Mais de quel soin s’agit-il alors ? En effet la fonction soignante et la fonction psychiatrique sont elles superposables, et si oui, selon quel type d’articulation ? Et avant tout, qu’en est-il des liens entre la fonction psychiatrique et la fonction médicale ? surtout actuellement quand les préceptes fondateurs de la psychiatrie de secteur, et par la même de la psychothérapie institutionnelle, sont remis en question par la " modernité psychiatrique " : la psychiatrie doit rejoindre le giron de la médecine " scientifique " qu’elle n’aurait jamais dû quitter, surtout à l’aube de si belles découvertes scientifiques tant médicamenteuses que génétiques ! Et on oublie que l’histoire d’un sujet est autre que la prédétermination biologique ou sociale étiquetée aujourd’hui dans les " nouvelles pathologies ".
De poupées russes en poupées russes, on en arrive à interroger le fondement de la fonction médicale. C’est elle qui est appelée par chacun devant l’angoisse de la mort et par le groupe devant la perte de la raison de l’un de ses membres. Cette fonction médicale est recherchée pour faire face aux deux limites qui rappellent à chacun l’intolérable de la condition humaine : la mort d’un côté, la folie de l’autre. Ce sont les deux bornes de la médecine.
La limite de la mort est sans cesse repoussée par les progrès de la science.
La folie, quant à elle, est conjurée par l’institution psychiatrique, historiquement née dans les lieux d’enfermement institués pour protéger la société des déviants. L’arrivée du " regard " médical dans le champ de la déviance mentale se fait par l’aliénisme, au X1Xème siècle, dans une période où le vide juridique de la révolution française va conduire le fou à être reconnu comme figure de la maladie et non plus de la possession. En quelque sorte, le remplacement du discours religieux par le discours de la science comme fondement des institutions de la République, donne à la médecine la tache de répondre à l’angoisse suscitée par cette deuxième borne de la condition humaine et instaure la psychiatrie.
Mais pour que l’institution médicale tienne debout, il lui fallait une troisième jambe, aucune des trois n’étant indépendante. L'hygiénisme est le champ où naquit le personnage du médecin.
A ces trois dimensions d’une même fonction soignante, sont venus répondre ces deux derniers siècles trois corpus théoriques fondateurs :
La révolution scientifique qui a permis l’explosion des progrès thérapeutiques qui caractérisent la médecine moderne. La science et les outils techniques qu’elle procure, traquent la maladie et repoussent ainsi les limites de la mort.
La pensée psychiatrique, – dans laquelle l’œuvre freudienne est centrale – qui essaye d’acueillir la souffrance mentale dans sa singularité.
Le marxisme qui se propose comme soin du corps social, répondant par là globalement à la fonction hygiéniste, même si de nos jours, avec la " fin des idéologies ", l’écologie se place, dans l’imaginaire, comme remplaçant du corpus marxiste pour ce qu’il en est du projet hygiéniste, c’est-à-dire la lutte contre les méfaits de la civilisation sur la santé physique et mentale de ses membres...
Dans ce contexte, la psychothérapie institutionnelle avec ses deux jambes, marxiste et freudienne, n’a jamais négligé la jambe scientifique, ce qui la distingue entre autres choses de l’anti-psychiatrie.
Ainsi la psychiatrie a toujours eu un pied dans la médecine (les années 50, avec l’arrivée des neuroleptiques et des antidépresseurs, sont une date centrale dans l’évolution de la psychiatrie moderne) et un pied nécessairement ailleurs, dans le social, l'environnemental (de l’aliénisme esquirolien à la psychiatrie de secteur), mais encore plus profondément dans la dimension qu’a contribuée à ouvrir l’œuvre freudienne : la Vérité d’un sujet lui échappe radicalement parce qu’il est structuralement aliéné dans le langage et que par là même une scène lui est à jamais interdite, celle de l’inconscient. C’est dans cette troisième dimension que la psychiatrie inverse en quelque sorte ses relations avec la médecine. Les médecins de médecine générale savent bien que ce ne sont pas seulement les problèmes sociaux ou environnementaux qui brouillent le diagnostic ou la guérison offerte par l’arsenal thérapeutique issu des progrès de la science. Il y a cette autre dimension, dans laquelle le médecin lui-même n’a pas de réponse, mais dont la réponse va dépendre de son attitude face au discours du patient. Et lorsque l’on parle de relation transférentielle à cet égard, c’est au niveau du corps que s’inscrivent les symptômes à voir. C’est toute la panoplie des troubles dits " psychosomatiques " qui varient selon les époques, les milieux, les cultures. La relation médecin-malade, le transfert donc, vient alors toucher le point angoissant du non-savoir médical. Le scientisme devient alors le mode de défense le plus prégnant que le corps médical met en place pour échapper à cette énigme sans réponse. Et le glissement vers une " nouvelle scientificité ", que la psychiatrie gagnerait en rejoignant l’hôpital général, temple de la médecine moderne, doit nous interroger sur la nature du renoncement à faire face à la douleur du transfert. " Alors oui, la psychiatrie sera réduite à n’être qu’une branche de la médecine... Et dans cette réduction, la psychiatrie disparaitra ", prévoit Joseph Mornet qui stigmatise ainsi " la grande exclusion de la psychiatrie ". Il faut également garder en tête que l’idéologie scientiste peut servir des projets aussi sanguinaires que l’idéologie religieuse qui brûlait les " sorcières ".
Le nazisme a eu une spécificité dans son antisémitisme. C’est la première fois que l’antisémitisme se voulait sous-tendu, non plus par une haine irrationnelle ou religieuse, mais par un racisme scientifique. Les camps de la mort, dont les premières expériences furent rodées sur les malades mentaux, sont l’aboutissement d’un racisme qui se voulait scientifique et il est ainsi peu surprenant que le corps médical ait autant suivi le régime (45% de médecins - 50% des médecins hommes - étaient membres du parti nazi, pourcentages de loin supérieurs aux autres corps professionnels et institutionnels).
Mais le nazisme lui-même fut symptôme d’une société en crise. La crise de 1929 et les désastres sociaux qui s’ensuivirent entraînèrent deux réponses durant la décennie qui suivit, le fascisme d’un côté et la révolution espagnole de l’autre. La psychothérapie institutionnelle, comme nous l’avons rappelé à plusieurs reprises, prend ses racines dans la révolution espagnole, ne serait-ce que par l’histoire de François Tosquelles. Mais devant la montée des idées réactionnaires qui est aujourd’hui mondiale, et l’éventualité sans cesse plus proche d’une nouvelle crise du type de celle de 1929 (ce que même des économistes officiels commencent à craindre), n’oublions pas que le ravage scientiste de l’époque trouble des années trente n'a pas seulement touché le pouvoir nazi. En effet dans un article du journal Le Monde on peut lire deux citations qui laissent à réfléchir. La première explique que " Le grand problème de la civilisation, c'est d'assurer une augmentation relative des éléments sains de la population par rapport aux éléments moins sains, voire nocifs (...). Ce problème ne peut être résolu sans donner toute son importance à l'influence immense de l'hérédité (...). Il faut stériliser les criminels, et empêcher les faibles d'esprit de laisser une descendance derrière eux (...), donner la priorité à la reproduction aux personnes convenables " Quant à la seconde, on y affirme que " dans la société actuelle, la dégénérescence fait des progrès rapides et effrayants (...). L'élimination progressive de la lutte pour la vie (...) menace toujours plus de dégrader la race (...). La technique humaine détruit (...) l'équilibre de la nature (...) et facilite aux individus corporellement et mentalement inférieurs non seulement le maintien mais également la reproduction (...). (Grâce à l'eugénisme) une nouvelle race verra le jour, forte et belle et pleine de vitalité, comme les guerriers germaniques de la migration des peuples ". Ces deux citations sont, pour ceux qui ne les auraient pas reconnues, de Théodore Roosevelt héros de la " victoire de la démocratie sur le fascisme ", et de Karl Kautsky, figure centrale du marxisme du début du siècle, avant qu’il n’abandonne l’internationalisme pour le nationalisme guerrier de 1914.
Leur excuse : les généticiens de leur temps prédisaient la dégénérescence de l'espèce humaine.
Le trépied cité plus haut peut également se décliner en trois strates de la fonction médicale :
- la prévention, dont les champs vont de l'hygiénisme au marxisme,
- la guérison, que la médecine scientifique fait sans cesse progresser,
- et un " reste ", que la fonction psychiatrique prend en charge : cette guérison qui résiste et résistera toujours.
Ce qui nous ramène encore à ce constat que la psychiatrie ne sera jamais une spécialité médicale comme une autre, car le pied qu'elle a dans la médecine est bien plus large que celui reconnu par le découpage universitaire des spécialités médicales, et elle est en plus également appelée à rendre compte de phénomènes qui sortent de la fonction médicale stricto sensu (la psychopathologie quotidienne, les phénomènes d'identification ou de rejet dans un groupe ou un collectif).
Grâce à l’œuvre freudienne, elle pointe également la dimensions centrale qui est en question dans la dimension soignante, qu’elle se rencontre dans le peuple, ainsi que le repère Lucien Bonnafé, dans le collectif institutionnel, comme le révèle le beau texte de l’équipe de Ste Gemmes, ou encore dans la rencontre plus singulière : tout acte soignant ouvre au changement l’équilibre des deux protagonistes, même si le dit " soignant " veut y rester sourd pour lui-même. C’est dans cette mobilisation transférentielle que la guérison adviendra de surcroît.
C’est en ce sens donc que les potentialités soignantes dépassent le cadre médical, où l’on veut aujourd’hui nous enfermer, et que, plus que jamais, la boîte à outil théorique que propose la psychothérapie institutionnelle est la boussole qui nous évite les pièges de la maladie mentale camouflés par les discours sur la " modernité ".

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