Pratiques N° 13
Les cahiers de la médecine utopique

La médecine et l'argent

E D I T O

ENTRE FOLIES ET FIEVRES

Après la vache folle, la fièvre aphteuse. Les agriculteurs que je soigne sont malades de la voie sans issue imposée aux éleveurs : euthanasier des bêtes saines, éliminer des hommes (plan sanitaire ou mise en oeuvre du rapport lugano (1).
"Si chacun se comporte normalement, nous passerons cette période sans problème "(2), "L'actuel foyer britanique constitue une véritable surprise"(3) "certains marchés à l'exportation ne peuvent s'ouvrir que [...] si la vaccination est abandonnée" !(4).

Eh bien moi, médecin généraliste, vivant de et avec les agriculteurs, je dis non, c'est intolérable !

Responsables, les éleveurs ? Jour après jour, j'écoute leurs angoisses sur l'avenir, j'entends ces hommes et ces femmes déprimés, cassés dans leur fierté, leur foi dans ce métier. Amoureux de travail bien fait, ils "soignaient" leurs bêtes à la belle robe blonde ou grenat. Demain ? Elles seront inutiles ou payées à un prix dérisoire. Et le pire, c'est qu'ils sont devenus des empoisonneurs.

Non : pas tous responsables, pas tous coupables.

Transparence et traçabilité ? D'accord, remontons la filière ! Responsable, la déréglementation généralisée ? Politique sanitaire absente (primes aux élevages-usines polluants, transports d'animaux à travers l'Europe sans quarantaine, vétérinaires-contrôleurs en nombre insuffisant, farines prionées, pouvoir supranational des agrotechnopharmacoindustries imposant à toute la planète semences, pesticides, brevétisation du vivant).

Responsable la consommation ? Qui se soucie de payer la qualité au juste prix ? Les consommateurs, les grandes surfaces ? Parlons-en : les prix les plus bas et des traites à quarante jours !

Responsable, la politique agricole commune ? Qui décide, pour qui, pour quoi ? Agriculture intensive génératrice de surproduction et de pollution, d'élevages démesurés où la maîtrise d'une épizootie est impossible, de primes à la quantité aux dépens de la qualité. Accords commerciaux, laissant aux Etats-Unis le monopole du sola alors que l'Europe peut s'auto-suffire en protéine végétales.. In fine omniprésente, l'Organisation mondiale du commerce et son économie de marché dominante derrière laquelle se profile l'argent, le profit, la transformation de l'animal et de l'homme en objet de consommation, la prééminence des intérêts particuliers sur l'intérêt collectif, la destruction des valeurs de solidarité...

Alros, tous responsable, médecins, agriculteurs, citoyens, retroussons nos manches et au travail !

Quelle nouvelle mission confierons-nous aux agriculteurs ?

Quelles justes garanties leur assurer ?

Comment dans une pratique démocratique renouvelée, construire un monde solidaire ?

Nous ne sommes pas des veaux, nous ne sommes pas à vendre.

Anne Marie Pabois
Médecin généraliste en milieu rural

(1) Le rapport Lugano de S. George, éd. Fayard, coll. Science fiction politique, 2001
(2) Déclaration du ministre de l'agriculture de Grande Bretagne, février 2001
(3) Pr Savey de L'Agence Française de sécurité sanitaire des aliments
(4) Dr Vallat de l'office nationale des épizooties