Pratiques N° 11
Les cahiers de la médecine utopique

Choisir sa vie, choisir sa mort
Sur qui compter dans le compte à rebours
                                                  Les conditions de la liberté


Dossier coordonné par Martine Devries et Bernard Senet.

E D I T O

Faire de la santé un véritable enjeu politique

Rêvons un peu. Nous sommes en Utopia et une période électorale commence. Les partis politiques font feu de tout bois. Le système de soins est un enjeu majeur dans les intentions de vote. Catalogués à droite de l'échiquier politique, il y a les partisans inconditionnels du libéralisme le plus abouti. Ils prônent une couverture maladie de base dite universelle, associée à un secteur public de soins minimal pour les plus pauvres. Ils laissent la part belle aux entrepreneurs de la santé prêts à s'accaparer le marché juteux des filières de soins privatisées à destination des classes moyennes et supérieures.
Du côté des partis politiques classés à gauche, on ferraille dur contre les premiers, dénonçant les ravages du libéralisme en médecine, ceux que l'on voit grandeur nature aux Etats-Unis. On s'engage à étendre le dispositif de la Couverture maladie universelle à l'ensemble de la population, en supprimant les clauses de dépassements d'honoraires médicaux, de façon à couper l'herbe sous les pieds des assurances privées. On soutient que les progrès en matière de santé ne se résument pas à la bonne technique médicale, qu'ils s'appuient aussi sur une véritable politique de santé publique où les citoyens de base sont pris en compte non seulement comme sujets souffrants mais comme des acteurs, discutant et agissant sur leurs problèmes de santé : les conditions de travail, l'école, les pollutions, les transports, etc.. On leur accorde de nouvelles places dans les décisions politiques. On met au programme la remise en route des élections aux postes d'administrateurs des caisses de Sécurité sociale. On s'engage sur une extension des conférences du citoyen pour les sujets ardus et urgents qui ne cessent de parcourir la médecine : de la vache folle aux problèmes de bioéthiques en passant par les campagnes de vaccination… Ce ne sont pas les sujets qui manquent !
Revenons sur Terre et plus précisément en France. Ambiance de rentrée sinistre. Martine Aubry quitte son ministère, préservant ainsi au mieux son propre avenir politique et c'est tant pis pour les dossiers en cours ! Le syndicat Mg-France, lui, est tenté, pour se requinquer, après une sévère déculottée aux dernières élections professionnelles, de rejoindre sur le front de la protestation le clan des syndicats défenseurs de la médecine libérale. Ces derniers, mécontents de la baisse de certains tarifs médicaux imposée par les caisses d'Assurance maladie, fourbissent leurs armes pour faire descendre les professions de santé dans la rue. Ils ont compris depuis longtemps, ici comme ailleurs, dans les transports ou l'agriculture, que le seul jeu politique qui vaille est de mettre une pression médiatique suffisante pour perturber les sondages électoraux et peser ainsi sur le cours des choses.
Des transports à la santé, avec le triomphe des lobbies et du court terme, c'est le déni de l'intérêt public qu'il faut déplorer.
Patrice Muller,
Médecin généraliste

ARGUMENTAIRE

Choisir sa vie, choisir sa mort

Quand on vous annonce que vous avez une maladie grave, mortelle, que vous n'en avez plus pour longtemps ; ou, autre cas de figure, quand on réalise que le temps a passé, que l'âge est là, que la fin se profile, (plus ou moins près, peu importe, c'est un tournant), on est ébranlé, on chancelle : sur qui, sur quoi s'appuyer ? Qui est là, qu'est-ce qu'on vous propose, comme aide, comme cadre, comme références, comme soutien ?
Bien sûr, quand vous êtes malade, ce sont les soignants qui s'occupent de vous, parfois trop, souvent pas comme vous le souhaitez, parfois ils ne font pas ce qu'il faut... Leurs limites, leurs émotions, leurs défenses et leurs défauts, vous devez vous les coltiner.
Et dans quel cadre ? Service de soins très actif, long séjour, maison de retraite, ou rester à domicile coûte que coûte... Justement, ai-je ou aurai-je les moyens financiers de choisir ? Devant la fin de vie, est-on " égaux " pour une fois ? Et qui, de mes amis, de ma famille, de mes proches, qui sera là ? Qui aura la force, la santé, le courage de me tenir la main ?
Choisir, c'est une question de moyens financiers, mais pas seulement. L'exercice de la liberté tient aussi à bien d'autres ressources : la réflexion personnelle, l'ouverture aux autres, les liens qu'on a pu tisser, et qu'on tisse encore, jusqu'au bout. Certains veulent se donner la possibilité de faire le dernier choix, l'ultime : un " testament de vie ", une décision d'en finir au moment voulu par soi, dans des conditions choisies, avec toute la difficulté de prendre la bonne décision pour soi-même, sans refuser la sollicitude et l'aide de l'autre.
Enfin, il faut bien le dire, à cette étape-là, on est au sommet du paradoxe : on voudrait être libre de son choix mais l'imprévu reste maître.
Martine Devries

Prochain numéro: L’information du patient