L'ABANDON À LA MORT... DE 76000 FOUS PAR LE RÉGIME DE VICHY
Suivi de
Un hôpital psychiatrique sous Vichy (1940-1945)
Armand Ajzenberg, André Castelli
Dans un livre dédié à Lucien Bonnafé qui avait œuvré
longuement pour que cet abandon n’en soit pas un, Armand Ajzenberg remet dans
nos mémoires un drame d’autant plus douloureux qu’il reste encore très ignoré
ou bien quelque peu déformé.
Il y a 60 ans, aux heures sombres de la France, débutait un
drame que l’Histoire a voulu oublier. La mort de dizaines de milliers d’hommes
et de femmes qui étaient enfermés dans les hôpitaux psychiatriques. Des fous
qui n’ont eu que très peu de « portes paroles ».
Dès 1942 le docteur Paul Balvet dénonce le génocide des
malades mentaux, génocide hypocrite et occulté, à un congrès des aliénistes de
langue française." En 1942 également Le dr Daumézon donne un coup de
projecteur sur la situation des hôpitaux psychiatriques : dans certains asiles
de l'Est, la mortalité est de 50% de l'effectif. Dès la fin de la guerre, Lucien
Bonnafé a essayé d’attirer l’attention
sur ces morts, mais l’heure était à la reconstruction, à l’oubli. En 1987 est publié une thèse réalisée en 1981, celle de Max
Lafont, « l’extermination douce ». Et puis de ci de là, des infirmiers, des psychiatres
écrivent l’histoire de ces morts.
En 2001, lancée par l’auteur mais également par Lucien
Bonnafé, Pierre Durand, Patrick Tort et quelques autres, une pétition venait à
nouveau ré ouvrir les mémoires.
Pour que Douleur s’achève…
Avec ce livre Armand Ajzenberg à
voulu continuer l’esprit de la pétition, mais également réagir vivement à un
autre livre d’une historienne cette fois qui s’est penchée sur cette période.
Mme Isabelle Von Bueltzingsloewen pense
quant à elle que les psychiatres qui ont rendu responsable le gouvernement de
Vichy d’accompagner la politique nazie en matière d’eugénisme ont eu tort. Elle
réfute la thèse de « l’extermination douce ». Vichy ne voulait pas la mort des
fous ( ?)
Comme l'indique Michaël Guyader au début de sa préface : « L'étude de la question de l'extravagante surmortalité à
l'hôpital psychiatrique pendant la guerre ne saurait se comprendre autrement qu'à l'enseigne d'une étude attentive des conditions de l'oubli
organisé des malades les plus fragiles par le régime de Vichy. Il ne peut raisonnablement se concevoir que cet oubli s'inscrive autrement que dans
le programme de mise en ordre de la société dont témoignent le statut des juifs, la part prise par le gouvernement de Vichy dans l'extermination des
juifs, la mise à l’écart des minorités, politiquement validée par l'engagement d'écrivains de renom dans l'élaboration du programme politique de Vichy
et dont évidemment l'hécatombe des malades mentaux ne saurait être absente... »
Il ajoute aussi « Quel que soit le nom donné à cet épisode tragique de l'histoire de la folie elle est paradigmatique de
la tendance des puissances dominantes et excluantes à désigner l'autre comme radicalement autre, étranger, porteur le plus généralement
avili des fantasmes les plus éculés qu'il convient de convier dans le meilleur des cas à l'oubli et dans le pire à l'élimination organisée ».
Il conclut sur les politiques de bouc-émissaires et le refus du « traitement discriminatoire de certaines catégories de citoyens
réduits aux actes commis par une infime minorité d'entre eux ».
Une grande partie du livre va donc combattre les propos du livre de Von Buelzingsloewen qui a d'ailleurs été accueilli avec grande fanfare par "Rivarol" un journal
d'extrème droite qui va dire : "enfin le régime de Vichy est innocenté d'avoir programmé un génocide". Elle pense que les psychiatres ont mis en avant les morts
non pas pour faire la vérité sur ce qui s'est passé, mais par pure stratégie militante pour obtenir des réformes !
Pour ceux qui ne rêvent que de chiffres, page 147 les comparaisons entre les morts d'extermination dite dure en Allemagne et
l'extermination dite douce en France. Parlant...
Dans la deuxième partie, un infirmier André Castelli raconte l'histoire d'un établissement, l'asile de Montdevergues dans le Vaucluse.
Dès 1940 rationnement de l'alimentation en France 1200 calories/jours pour un homme, presque moitié moins pour une personne âgée.
Les préfets deviennent les représentants de l'Etat dans les départements à charge de faire respecter les lois de Vichy et entre autre
le rationnement. Avec des documents retrouvés, il fait défiler les années noires et leurs cortèges de drames que ce soit pour les patients mais
aussi pour les soignants arrêtés sur le site de l'asile.
Fin 1941, la direction fait un rapport au Préfet dans lequel elle dit que la mortalité est importante et "le pourcentage par rapport aux années
précédentes est si important qu'on n'ose vous le communiquer".
En 1942, la radiation des cadres pour les personnels d'origine étrangère. De toute urgence, le cimetière de Monfavet doit être agrandit suite au nombre
de malade décédé en augmentation constante. Cette année là verra également l'arrivée de patient déplacés, évacués qui représentent des prix de journées rémunérateurs
pour l'asile. Alors qu'ils mourront ici...
En 1943, les allemands occupent une partie de l'asile. La mortalité est terrible et le directeur demande pour remplir son asile que des contingents de "fous" de
la Seine puissent venir pour pouvoir avoir les subventions qui vont avec. Morte cette année là, le 19 octobre Camille Claudel.
En 1944, évacuation de locaux pour leur occupation par l'occupant en déroute. Epidémie d'évasions dont un médecin qui doit faire un rapport : dit qu'elles sont dues
au manque de personnel et à la faim. Période étrange entre occupation et libération.
Au final : près de 2000 morts dans cet asile en quatre années... moyenne d'âge 50 ans... Ce qui contredit sérieusement les thèses de Bonnet et Quétel qui disent
que
les asiles étaient peuplées de vieillards arrivés à l'extinction de leur force et qui ne viennent à l'asile que pour y mourir...
Il y avait hier des malades plus intéressants que d'autres, des vies humaines plus utiles que d'autres... Est-on certain que ce n'est
plus le cas aujourd'hui ?