De l'engagement thérapeutique dans la clinique des psychoses. Traduit de l’italien par Danièle et Patrick Faugeras Gaetano Benedetti Eres, coll. La Maison Jaune. 2011 |
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La folie en partage
fait écho au contenu d'un livre qui ne manquera pas d'éveiller des intérêts,
des réactions et des débats tiraillés entre attirances, réticences et diversités
des formes de pensée cliniques et théoriques.
Même si vous êtes de ces lecteurs
pressés de parcourir les pages en diagonale pour se saisir au plus tôt du
contenu d'un ouvrage prometteur, votre attention et votre intérêt s'opposeront
vite à de telles tendances, trop freinées et déroutées par un contenu témoignant
des démarches et des hypothèses d'un auteur dont le style est aussi limpide que
sont complexes les propos auxquels il se prête.
Le texte se déploie, porté par ses
qualités et celles d'une traduction due, cette fois encore, à Danièle et à
Patrick Faugeras qui ont plusieurs fois choisi de publier, dans la même
collection, un auteur avec lequel, à l'évidence, ils ont pu prendre langue
commune. Comment pourrait-il y avoir, autrement, une traduction-écriture fidèle
au texte en le renouvelant par des partages ouverts à une traduction que
l'auteur aurait pu qualifier de « participative » selon le terme qu'il utilise à
propos des formes de psychothérapies auxquels cet ouvrage est consacré?
Gaetano Benedetti a beaucoup
travaillé et pensé, beaucoup écrit, partagé et enseigné au cours de sa longue
vie professionnelle de thérapeute. Effectivement présent et engagé sur les
lieux de soins, ses réflexions et ses recherches se sont également poursuivies
et entretenues au cours de transmissions elles aussi en partages. La force et
la consistance du texte présentant ici ses points de vue s'appuient sur une
carrière conjuguant ses formes d'élaborations rigoureusement psychanalytiques
et élargies, remaniées par les prises en considération des déplacements intimes
auxquels entraînent les approches de patients aux prises avec des souffrances
psychiques graves. Avec d'autres thérapeutes, eux mêmes engagés dans des
recherches analogues, ils ont, ensemble, prolongé un travail de réflexion vis à
vis duquel je ressens, une fois encore, mes réticences concernant le terme même
de "supervision".Terme largement convenu, il est vrai, mais
qui ne rend pas compte de mises en commun auxquelles chacun/e apporte sa propre
part, contribuant ainsi à des développements eux-mêmes en partage et en mouvement.
Ils s'en entretiennent, évitant des fermetures ou des rigidités attribuant à la
« vision » d'un seul des savoirs et des pouvoirs lui assurant une place
dominante, place à laquelle l'auteur ne prétend d'ailleurs nullement.
La folie en partage tient à témoigner. Gaetano Benedetti et ses
collègues y sont présents, intervenant auprès de patients psychotiques graves,
précisément ceux ou celles trop souvent délaissés et réputés inaccessibles à
des approches psychanalytiques. Lire le livre c'est entrer dans le vif d'un
sujet aussi profond que difficile à aborder. Les complexités s'en mesurent
quand s'accepte, se supporte, aussi..., une invite appelant à dépasser des réticences
éveillées par des relations aussi troublantes. Mais, ceci étant admis et pas
seulement du bout de quelques lèvres restant, au fond réticentes sinon désapprobatrices,
on se surprendra alors en train de penser soi-même : « Mais oui... les
inconscients partagent leurs folies... » Ici mes propres points de
suspension se multiplient en même temps qu'apparaissent d'autant plus les intérêts
de renouvellements et d'ouvertures possibles.
Le titre de l'ouvrage met la folie
au singulier. Mais Benedetti écrit à de nombreuses reprises qu'elle concerne un
noyau psychotique présent en chacun. Il fait écho aux diversités des étrangetés
psychiques vers lesquelles entraîne l'inconscient dont les singularités et les
complexités sont humaines, sans que celles-ci soient réservées à de
seules psychoses, les plus graves de surcroît. C'est aussi la force du texte
que de résonner non seulement en quiconque vit en psychiatrie au quotidien mais
de pouvoir toucher aussi qui n'y oppose pas trop intensément des murs intimes
refusant d'être ébranlés.
L'auteur fait partie de ceux,
maintenant fort rares, ayant côtoyé certains psychiatres et psychanalystes qui
furent historiquement des découvreurs eux-mêmes engagés en tant que thérapeutes
et chercheurs, défricheurs ou déchiffreurs de l'inconscient se manifestant à
vif quand la folie grave s'y est constituée comme ultime recours.
Le livre est parcouru de récits
cliniques, généralement brefs mais expressifs et exemplaires des relations établies,
lors de partages évitant des mêlées et des confusions qui iraient à l'encontre
de ce que l’auteur désigne comme relevant de symbioses et de séparations, leur
association les maintenant en tant que conduites participatives et psychothérapiques.
Les difficultés et les ressources des relations ainsi poursuivies écrivent ici
leurs dévoilements, au fil de pas traçant chaque fois leurs propres chemins.
À l'évidence, s'engager là
comme soignant thérapeute dépend d'appétences et de tolérances singulières,
de qualités de présence et d'attention dont les possibilités s'élargissent au
cours de partages nécessités par ce que Freud, rappelons-le, désignait comme le
« métier impossible ». Celui dont les intérêts se confirment et se développent
lors de la poursuite même des formes de présence qu'impliquent la pratique et
la réflexion, sans hiérarchisation de l'une par rapport à l'autre.
Mais, quand de telles conditions sont réunies, l'aventure a lieu et elle évolue,
riche de leurs partages et de leurs imprévus. Qui en fait personnellement l'expérience
y découvre les apparentements psychiques inconscients évoqués par Harold
Searles, cet autre thérapeute respectueux de patients pour lesquels la
schizophrénie se constitue en presque dernier recours d'existence. Les diverses
réactions éveillées par de telles situations connaissent l'incertain en même
temps que s'élargissent des espaces d'hospitalités psychiques favorables à des interprétations
imaginatives ou à des imaginations thérapeutiques
partageables. Les présences y sont en écho de la part psychique existentielle,
vive et secrète respirant au creux de l'humain. Celles ne redoutant et ne désirant
rien tant qu'un contact respectueux du monde psychique singulier et leurs mises
en commun et en partages possibles.
De telles rencontres s'apprécient
tels ces moments rares au cours desquels découvrir les diversités des « poétiques
de la Relation » présentes dans les larges envolées
d'Edouard Glissant, celles des « prégnances » offertes par François
Jullien et des « membranes » se créant, entourant le noyau du soi,
celles que Maurizio Peciccia et Gaetano Bendetti considèrent propices aux
irrigations nouvelles d'espaces psychiques asséchés et clos sur eux-mêmes.
Serait-ce ici un exercice
d'admiration et d'enthousiasme écrit par une lectrice elle-même depuis
longtemps engagée sur des terrains analogues, où elle entretient ses intérêts
autour d'une folie à accueillir avec des respects dont témoigner ? Trouvant
elle-même là certaines de ses raisons et déraisons de vivre, leurs partages lui
évitant de les idéaliser dans ses isolements et ayant découvert, la fréquentation
de la folie aidant, comment s'y considérer assez proche des autres pour
rejoindre le sens commun ? Sans doute... Peu importe, au fond, sinon pour soi,
ce qui fait courir les pensées et les plumes.
La folie en partage renvoie vers l'inconscient collectif, non
pas celui universel des archétypes, mais celui qui s'établit dans la relation
profonde entre deux personnes et de façon privilégiée dans la relation psychothérapeutique.
La folie éveille notre
peur de l' inconscient, mais elle éveille aussi le besoin de retisser le
tissu interpersonnel déchiré par le délire.
Jamais autant que
dans la schizophrénie je n'ai fait l'expérience de la singularité de l'homme
écrit l'auteur.
Pour Gaetano Benedetti,
l'inconscient - on le dit peu et rarement de façon aussi sincère et
convaincante - peut, lors de certaines relations en partage, venir à l'aide
d'un être en danger.
Son livre porte ainsi en lui l'éventualité
d'accueillir une part psychique humaine fragile et parcourue des mouvements et
des transformations auxquelles participent chaque vie en partage.
Claudie Cachard
La folie en partage est le quatrième ouvrage de Gaetano
Benedetti publié dans la collection «