Quand le président se prend pour un psy, c'est la France qui devient folle Olivier LABOURET ERES septembre 08 |
Crise… depuis la fin des années 80, la psychiatrie à ce mot
à la bouche.
Lieu commun insupportable, dans lequel, professionnels de
la psychiatrie, nous nous sommes tous aliénés. C’est une autre lecture de la
crise de la psychiatrie que nous propose Olivier Labouret médecin psychiatre
politiquement engagé autour de la santé et de la psychiatrie. Il nous propose
donc un travail de réflexion sur les vingt dernières années et sur les 4
dérives qu’il a vu poindre.
Ces 4 dérives sont elles-mêmes directement liées à une
logique normative lourde de conséquence sur la prise en charge de la santé.
Cette logique normative « libérale » met surtout les libertés
sociales et individuelles en péril.
Dérives ou mutations qui se produisent sous nos yeux
de citoyens et qui entraînent la psychiatrie publique vers des pratiques qui ne
correspondent plus à nos pensées.
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le renforcement de l’individualisme et une explication
univoque des conflits relationnels et socio politiques. Une lecture des
philosophes nous permet alors de mieux comprendre comment cet individualisme
est culturellement et historiquement déterminé et comment il n’est que le
reflet de la crise économique.
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l’emprise des explications scientistes de la souffrance
morale avec le retour de théories eugénistes. Il faut se rappeler la vision
purement utilitariste de l’humain répondant parfaitement aux intérêts normatifs
du libéralisme. Ce n’est pas que le domaine de la psychiatrie que cette
idéologie envahie, mais aussi les domaines de l’éducation, du travail et de la
politique. Là aussi une lecture ou une relecture de Foucault, Lantéri Laura et
Castel nous sont indispensables pour se repérer dans les mutations de la psy.
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Une orientation gestionnaire de la politique de soins et
des stratégies managériales d’entreprise pour l’hôpital. Pas de rêves, mais du
concret… la privatisation du système de santé. De l’asile à l’HP… de l’HP à
l’entreprise privée avec l’arrivée des notions de rentabilité ! VAP. T2A…
La psy comme marché prometteur… et le directeur comme maître à bord. Et puis,
cerise sur le gâteau, la découpe de la clinique pour la faire rentrer dans le
moule neuropharmacologique. L’industrie pharmaceutique mise à l’index par de
nombreux rapports dont le dernier de l’IGAS en 2OO7, rapport clair et détaillé
qui met en évidence la dépendance des médecins et des professionnels de santé
envers les labos.
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La dérive sécuritaire qui entre de plein fouet en
psychiatrie avec l’apparition de loi d’autorité et de psychiatrisation de
délinquance, déviance jusqu’à la simple défaillance… Là, nos dernières luttes
sont encore trop fraîches pour être oubliées.
Dépressifs après avoir lu ce livre ? Peut être…
MAIS, une autre psychiatrie est possible !
Celle que nous avons essayé tous ensemble de faire vivre…
Celle de l’engagement éthique et de la lutte contre la peur et la soumission
dont nous parle l’auteur !
« Il appartient à chacun de se prémunir contre la
propension à la docilité afin d’être préparé à agir, dans les circonstances où
s’excercent les injonctions d’une autorité destructrice en accord avec les
principes auxquels il adhère. »
LA DERIVE IDEOLOGIQUE DE LA
PSYCHIATRIE (Olivier LABOURET,
érès, 2008)
Cet ouvrage témoigne de l’évolution critique de la psychiatrie, qui obéit désormais aux intérêts du pouvoir économique néo-libéral, au détriment de la santé mentale et publique.
La psychiatrie, spécialité médicale bien particulière, s’est fondée historiquement sur des bases morales et sociales, celles de la société industrielle et du positivisme scientiste, et il est loisible de montrer comment s’est exercée, au cours de l’histoire, une « psychiatrisation » de plus en plus large des « troubles » individuels. Autrement dit, ce qui constituait autrefois une discipline clinique et thérapeutique traitant de maladies parfaitement délimitées, les psychoses et les névroses, est devenu durant ces dernières décennies une institution de contrôle de toute forme de souffrance psycho-sociale. Cette évolution s’est accélérée depuis 20 ans avec la mondialisation de la psychiatrie comportementaliste américaine, pour laquelle la déviance vis-à vis de la norme sociale définit la maladie, alors que pour la psychiatrie européenne traditionnelle, la santé est au contraire la capacité à créer librement ses propres valeurs. Ce contrôle social comportementaliste de la santé mentale est venu répondre à une politique néolibérale généralisant les échelles de comportement et les questionnaires d’auto-évaluation, non plus seulement dans le domaine hospitalier, mais à l’intérieur de l’école, de l’entreprise et de l’ensemble de la société. Ainsi, le domaine de compétence de la psychiatrie s’est élargi insidieusement au dépistage de l’ensemble des « troubles du comportement », des « troubles de la personnalité » en passant par les « troubles de l’adaptation » : tout « handicap socio-professionnel » est devenu le signe d’une pathologie psychique… Parallèlement, la fréquence de la « maladie dépressive » et des nouvelles pathologies, telles que l’hyperactivité ou les troubles « borderline », s’est accrue exponentiellement, sans que l’on s’interroge sur ce que traduit sociologiquement cette évolution, à savoir la pression insupportable d’une individualisation forcenée de l’existence commandée par les « lois économiques » du profit et de la concurrence.
Aujourd’hui, l’éventualité de dépister le « trouble des conduites » dès l’enfance, l’orientation de la recherche vers la « vulnérabilité génétique » des individus, la succession des lois sécuritaires psychiatrisant la délinquance et la déviance notamment sexuelle (prévention de la délinquance, prévention de la récidive, rétention de sûreté…), sont autant de symptômes de cette évolution normative accélérée dissimulée sous un vernis scientiste « préventif ». Tandis que l’indépendance déontologique des psychiatres disparaît derrière l’impératif gestionnaire, avec une nouvelle gouvernance hospitalière qui subordonne le soin à la rentabilité. On le voit : la pratique psychiatrique est en train d’évoluer à marche forcée vers la gestion des risques socio-économiques, où il s’agit de prédire et de dissuader toute défaillance individuelle, notamment au travail, pour le plus grand bénéfice de l’entreprise industrielle. Robert CASTEL l’avait déjà pressenti il y a plus de 20 ans : désormais, on demande au psychiatre d’être un expert en bon comportement, un gardien de l’ordre moral social, apportant une caution scientiste à la défense de la norme économique… Bien d’autres auteurs ont dénoncé cette individualisation abusive des rapports sociaux, la privatisation de l’existence permettant de déplacer vers la « psychologie », ce qui est une évolution culturelle individualiste commandée par les besoins de l’économie néolibérale. Aujourd’hui n’importe quelle défaillance, signe d’un « dysfonctionnement » socioprofessionnel, relève du dépistage et du traitement psychiatriques, elle n’est plus dépendante d’un contexte environnemental déterminé. Malgré toutes les leçons de l’histoire et de la sociologie, la violence, contre soi-même ou contre autrui, n’est pas un fait socio-politique, elle est devenue purement individuelle, psychologique, pathologique : ce n’est pas le système socio-économique qui dysfonctionne, la précarisation ou la pression professionnelle qui est en cause, un rapport de domination politico-économique qui est intolérable, non, ce n’est que l’individu, et lui seul, qui est malade !
On comprend que cette mystification idéologique, consistant à inscrire symboliquement la violence socio-économique à l’intérieur du cerveau individuel, permet au néolibéralisme de renforcer la sélection culpabilisante pesant sur chacun d’entre nous, et de nier son impasse historique. Et le succès, jusqu’au plus haut niveau de l’Etat, de la réduction scientiste de l’existence au capital génétique (qu’on se rappelle les propos de Nicolas Sarkozy sur l’origine génétique de la pédophilie et du suicide !), accrédite aujourd’hui cette évolution régressive dramatique, proprement eugénique, où ce qui compte est de renforcer coûte que coûte l’efficience des travailleurs, leur adaptation à la machine productive. La guerre économique mondiale réclame des individus dociles, « psychologiquement » conditionnés, et n’a que faire de leur santé personnelle. Face à cette évolution lourde de sinistres résurgences historiques, il est temps de défendre l’éthique de la véritable psychiatrie, déontologiquement indépendante des pouvoirs économiques et politiques, et qui vise la liberté de l’expérience subjective, la responsabilité envers autrui et envers l’avenir, contre la soumission pathologique à l’idéologie dominante.