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Un parcours. Rencontrer, relier, dialoguer, partager


Jacques SCHOTTE


Editions Le Pli



2006

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Un parcours. Rencontrer, relier, dialoguer, partager


Jacques SCHOTTE

 

Un parcours, de Jacques Schotte porte bien son nom et tout aussi bien son sous-titre « Rencontrer, relier, dialoguer, partager ». Jacques Schotte, psychiatre-psychanalyste né à Gand, y convoque en effet son lecteur à rencontrer un nombre impressionnant de maîtres de la psychiatrie et des sciences humaines du XXème siècle : à la fin de ce livre d’entretien nous aurons croisé, entres autres, Ludwig Binswanger, Roland Kuhn, Hubertus Tellenbach, Henri Maldiney, Jacques Lacan, Jean Laplanche, Gisela Pankow, François Tosquelles, Jean Oury, Jean Gagnepain mais aussi Francis Ponge, Yves Bonnefoy… et, the last but not the least, Leopold Szondi.

L’intérêt et la valeur de cette réunion d’aussi grands noms tient d’abord à ce que Jacques Schotte les a toutes et tous rencontrés en personne, pour un véritable et fécond « dialogue ». Autant préciser tout de suite par conséquent que Le parcours de Jacques Schotte est d’abord vivant, incarné, émaillé d’anecdotes qui, sans jamais céder à la tentation de l’intimité, dévoilent des individus derrière ces « grands noms ». Mais loin de se limiter à une galerie de portraits, car tel bien sûr n’est pas son propos,  le livre se propose de suivre ces « dialogues » et « partages » qui jalonnent l’existence et la carrière de Jacques Schotte. Tout commence à Gand lorsque, inscrit en médecine, il en vient à suivre les cours de philosophie d’Henri Maldiney : entre médecine et philosophie, notre étudiant ne choisira jamais, il sera psychiatre, entendu pour lui que la psychiatrie s’élancera, comme de sa source - Schotte parle d’une « base » - de l’œuvre de Freud.

Pour autant, dans ce qui relève à la fois du talent et de la vocation  à « relier, dialoguer, partager », Jacques Schotte va faire se croiser, en idées et parfois en un même espace, quatre « maîtres », ceux dont la rencontre, en plus de toutes les autres, a façonné, orienté et enrichi sa pensée : Binswanger, le psychiatre phénoménologue de Zürich, Szondi, le père de la Schicksalsanalyse, surtout connu pour le test projectif qui porte son nom, Jacques Lacan, dont nous connaissons la postérité, et François Tosquelles, psychiatre catalan comptant parmi l’un des fondateurs de la psychothérapie institutionnelle.  Et si le livre nous raconte le parcours intellectuel de Binswanger, notamment sa relation à la pensée de Freud, celui de Szondi, des premières « intuitions » jusqu’à la théorie pulsionnelle, de Lacan - et ce n’est pas le moindre des intérêts de ces entretiens que de remettre un bon sens certain dans la postérité de la pensée lacanienne - enfin celui de Tosquelles et de l’analyse institutionnelle, il découvre surtout comment Jacques Schotte a su, toujours en dialoguant avec leur auteur, intégrer ces quatre pensées au sein de sa propre réflexion ; au point qu’à la boutade d’un de ses étudiant qui voit en lui « le plus lacanien des non-lacaniens », il ajoute qu’il  ne serait pas pour lui déplaire d’être de même qualifié de « plus binswangérien des non-binswangériens, certainement le plus szondien des non-szondiens, voire même le plus tosquelliens des non- et non- etc ».

Cet échange aboutit en effet à la formulation de la patho-analyse, « analyse de la structure cachée, secrète, mystérieuse de ce qui s’appelle « normal » ou « sain » à travers la pathologie »[1], elle-même méthode d’une science dont le champ propre sera l’anthropsychiatrie, ou psychiatrie de l’homme en tant qu’existant, « parlêtre » (Lacan), ou encore « idée historique » (Merleau-Ponty) et non pas seulement être vivant. Car tel est bien dès le début, le fond du projet psychiatrique-psychanalytique de Jacques Schotte : faire retour, approfondir et perpétuer le chemin ouvert par Freud d’une science de l’homme en tant qu’homme, science pour laquelle la maladie mentale ne serait pas l’autre de l’homme mais bien le propre de l’humain. Pour lui, et dans la même ligne que Freud considérant la névrose « comme un privilège humain sur les animaux », « il y a donc une seule maladie de l’homme dans son humanité », - c’est la maladie psychotique -, maladie qui cependant «  se dit de multiples manières », ce sont les psychoses. Dans cette perspective, et comme s’y est consacré Schotte, mais aussi Binswanger, Lacan et Tosquelles chacun à leur manière et selon leur style propre, la psychiatrie ne peut faire l’économie d’une réflexion sur l’homme en tant qu’il un être de culture, avec l’aide de la psychanalyse bien sûr, mais aussi des sciences humaines et de l’art.

Il suffit malheureusement de jeter un œil sur la psychiatrie telle qu’elle s’exerce dans certains services, se dessine et se décide en plus haut lieu, pour y voir non pas seulement l’absence de dialogue entre les disciplines ou  de réflexion sur l’humain dans sa globalité, mais bien une régression à la médecine mentale pré-freudienne, celle-là même qui catégorisait des symptômes sans jamais chercher derrière l’individu qui les manifestait. Les versions successives du DSM, l’essor de la pharmacologie comme traitement unique, les « gouvernances » hospitalières… autant de symptômes d’une psychiatrie en (re)-devenir asilaire au service de logiques et d’idéologies mercantiles et productivistes. Aussi fermons-nous ce beau livre partagé entre l’amère constatation que nous assistons actuellement à « l’achèvement de la médecine moderne [et à] la mort de la réflexion psychiatrique » et l’espoir que des Binswanger, Szondi, Lacan, Tosquelles, des Jacques Schotte quelque part continuent de ne pas oublier de penser notre humanité dans son unitas multiplex.

[1] P. 303




Valérie Geandrot


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