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HISTOIRE ET TRAUMA - La folie des guerres.


Françoise Davoine et Jean-Max Gaudillière

l'autre pensée,


Stock, 2006



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HISTOIRE ET TRAUMA - La folie des guerres.

Françoise Davoine et Jean-Max Gaudillière


Au moment où dans tous nos médias la psychiatrie, la psychanalyse et la folie sont si maltraitées, ce livre nous apporte l'espoir de mieux comprendre, d'aimer et d'être passionné.

Les disputes sont nombreuses aujourd'hui au chevet de la psychiatrie et de la psychanalyse : controverse autour des enquêtes de l'INSERM, livres contre et pour la psychanalyse, et maintenant nous voyons chez les libraires une pluie de 'maitres à penser' qui veulent s'élever au dessus de la tourmente et clamer que ces batailles nous réveillent et que 'tout le monde il a raison'…ces maitres là nous laissent 'rêveurs'. Car pour les patients et pour les familles ces bagarres ont la violence des disputes familiales qui amènent dans leurs suites ces ruptures et ces déchirements qui vont laisser sur le carreau leurs enfants. Égoïsme stupéfiant. N'est il pas possible d'aménager nos liens autrement qu'en déclarant une guerre de plus…avec tous ses morts ?


Les 'thérapeutes' n'ont ils pas compris que la souffrance psychique n'est plus aujourd'hui, quoiqu'en veuillent certains hommes politiques (qui veulent s'approprier le pouvoir au nom de la sécurité) et certains rapports (ne rêvant eux aussi que de sécurité que ce soit sur la délinquance, ou sur la loi sur les internements), 'enfermée' entre les murs de l'asile, elle est à nos côtés, dans les espaces de vie quotidiens, dans notre entourage même…mais là il y a peu de personnes qui veuillent vraiment " l'accompagner ".

Ce livre le fait, a contrario et c'est sa richesse, autour d'une expérience thérapeutique engagée depuis plus de 30 ans comme psychanalystes. Il 'accompagne'. Il ne s'adresse pas à des 'spécialistes' désirant s'approprier une part de vérité bien cloisonnée pour en profiter tout seuls, mais il s'adresse à chacun de nous, habitant cette planète terre en 2006, et qui acceptons de dire que nous avons, de près, ou de loin, une petite expérience de la folie.

Ces auteurs ne sont pas à leur premier méfait, ils ne nous sont pas inconnus, outre plusieurs livres, ils ont eu le talent de nous faire connaître Gaëtano Benedetti ; ce psychiatre psychanalyste italien dont les livres sont depuis traduits et parus chez Eres, et qui nous a permis de mieux comprendre la psychose ; en effet il nous a si bien montré que les patients qui en étaient porteurs, n'étaient pas des 'forteresses vides', mais des personne souffrantes, riches d'inconnus, avec lesquelles nous pouvons nouer des liens et qui peuvent 'guérir'. Mot impardonnable pour les psy classiques.

Nos amis font ce tour de force de nous exposer leur expérience de thérapeute tout au long d'un parcours où nous rencontrons les interlocuteurs les plus divers : hommes de science et prix Nobel, patients, grands écrivains, shamans, psychanalystes, médecine man indiens, philosophes, vétérans des guerres, et, tout simplement, des acteurs de la vie et des guerres de tous les jours, ces personnes que nous côtoyons.

Parce que la folie existe, mais elle n'est pas réduite à l'expérience de quelques personnes mises au rancard, à l'écart, ce qui ne serait qu'un petit détail dont il faudrait se débarrasser ; ils nous montrent que la folie a un rôle fort, très fort, celui de tisser un lien social qui traverse, relie les générations, jouant un rôle de mémoire pour tout ce qui est abandonné, perdu, pour tous ceux qui ont souffert sans être reconnus par leurs proches, y compris ces morts sans sépulture…, donc jouant un rôle indispensable pour retisser la continuité de l'histoire de l'homme…

Ils nous montrent comment les guerres ont été des laboratoires de recherche faisant accéder à des découvertes tout au long de la courte histoire de la psychiatrie occidentale, histoire que nous parcourons allègrement avec eux,…et qui a si souvent abouti à des impasses. Et tout ceci n'est pas discours abstrait, c'est le récit 'épique' de leurs propres rencontres avec les personnes porteurs de paroles folles, et qu'elles ont pu accompagner dans leur 'renaissance' au monde en tant qu'acteurs à part entière de notre société.

Ce récit est mis à la portée de chacun car, bien qu'analystes, ils ne défendent pas d'abord une chapelle analytique (certes ils ne cachent pas l'éclairage qu'ils tirent de l'héritage de Lacan, mais ils ne nous y enferment pas), ils nous montrent comment une 'attitude' de l'âme peut nous permettre de nous sentir proches de personnes porteur de paroles folles, sans avoir besoin ni de diagnostic, ni de pilules qui sauvent. L'accueil de l'autre et son accompagnement sont possibles, ouvrent des portes,…encore faut il vouloir, savoir, s'engager personnellement. Nos auteurs sont très courageux ; pour faire ce travail ils ne se cachent pas derrière telle école de pensée, tel 'discours psychiatriquement correct', ils s'engagent, ils nous amènent à comprendre le sens de tout comportement déraisonnable, de toute parole folle… ils vont donc recevoir des volées de bois vert de leurs collègues compassés de l'establishment. Et pourtant au travers de cette confrontation fondamentale au 'traumatisme' dans toute souffrance, y compris sa plus forte représentation, celle de la guerre, ils démontrent comment le travail sur l'histoire de la personne, des siens, de son pays, de soi même, peut permettre à chaque fois de retrouver le chemin vers soi, et comble la rupture qui l'a provoqué.

Certains ne seront pas contents de voir que l'on y met en cause des légions de théories autour des trauma, ces théories qui n'ont de cesse que de se traduire en spécialisations, comme on y tord le cou du désir fou des psy à vouloir se 'spécialiser' sur tel symptôme, par envie de notoriété.

Je vous assure ce livre redonne du souffle, du plaisir à vivre, à travailler en psy, même lorsque l'on a près de nous l'une de ces personnes qui souffrent et qui se tape la tête contre les murs pour en sortir. Oui, en sortir, non seulement c'est possible, mais on y gagne toujours plus de sens dans notre propre histoire à les accompagner.

Je ne veux pas m'avancer plus dans le récit de cette lecture. C'est d'une belle écriture, on a l'impression parfois de ne pas avancer à tel et tel moment, en fait ce livre est construit comme un roman policier, je ne vous raconterai donc pas la fin, car elle porte tout le livre et garde sa force par le suspense. Si cette lecture paraît difficile, je vous conseille simplement de le lire à plusieurs, ce sera d'autant plus juste, que l'une de ses forces considérables est de souligner cette solidarité historique que nous avons tous à partager, quelles que soient nos appartenance politique, philosophique, religieuse, chacune portant une part de vérité.

Je pense toujours à cette phrase de parent, depuis que je l'ai rencontrée dans le rapport Charzat en 2003 : " Savez vous ce que c'est que l'arrivée de la psychose dans une famille ? c'est la guerre civile ! ". Qui se trouve encore à sa place après pareille découverte ? Je pense que seul un chemin collectif peut nous permettre de retrouver notre route, ce livre nous montre que nous avons raison de le croire, même si cela passe, bien sur, par des rencontres duelles.

Soyez sereins, malgré ces 'piques' à l'encontre de l'establishment, personne n'est limogé de la psychiatrie, ou de la psychanalyse, simplement il est montré qu'il y a un chemin beaucoup plus large beaucoup plus ouvert que celui qui est d'habitude enseigné. Tous ces acteurs, fortement engagés dans leur travail ont leur place et ils ont devant eux une tâche considérable, mais hors chapelle, et pouvant s'appuyer sur une compréhension et un intérêt chez chacun des habitants de notre planète. Ceci rejoint le combat de tant d'entre eux pour défendre l'accès à une psychiatrie ouverte, sereine, comme cela rejoint l'expérience folle et pleine de promesses des GEM, les groupes d'entraide mutuelle, où peu à peu des patients vont se retrouver pour créer leur capacité à vivre avec les autres. Ne manquez surtout pas ce livre !




Paris le 5 mai 2006

Docteur Guy Baillon
Psychiatre des Hôpitaux



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