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Un monde de fou

Comment notre société maltraite ses malades mentaux


Patrick Coupechoux


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Un monde de fou : : Comment notre société maltraite ses malades mentaux


Préface de Jean Oury

Présentation de l'éditeur
Le fou est l'exclu par excellence. Gênant pour le bon fonctionnement social, perturbant pour notre vision de la norme, le fou fait peur. Exilé... Enfermé... Pourtant, il appartient à l'humanité et l'interroge. Humain, si humain... Regards sur l'histoire, regards d'aujourd'hui... Comment notre époque fait-elle face au problème de la maladie mentale ?
Quelles sont les finalités de la psychiatrie ? . Quelles sont ses missions ? Quelle est la vision que nous avons aujourd'hui de la maladie mentale ? Quels sont ses rapports avec la société ?
Les profondes mutations et les importantes remises en cause du système psychiatrique français donnent lieu aujourd'hui à un vif débat. Des reportages de terrain, auprès des principaux acteurs du milieu psychiatrique et auprès des malades, au sein des familles, dans les hôpitaux et les institutions, mais aussi dans la rue et les prisons... Au-delà des témoignages qui rendent compte de la diversité des points de vue, il s'agit bel et bien d'un voyage dans un univers touchant, car humain, que nous propose Patrick Coupechoux. Il s'agit enfin d'un regard sur la façon dont notre société entend aborder le problème de la maladie mentale.

Biographie de l'auteur
Patrick Coupechoux collabore au Monde Diplomatique. Après son travail sur l'autisme paru en 2004 (Mon Enfant autiste, le comprendre, l'aider, Seuil), il a enquêté pendant une année dans le monde psychiatrique français et ainsi porté un regard neuf et bouleversant.



LE MONDE DES FOUS PRESENTE PAR YVES GIGOU


Ce livre - Un monde de Fous -arrive à point nommé, il va permettre dans cette période très turbulente de la Psychiatrie Française de faire un retour sur son Histoire et permettre à tous celles et ceux d’avant 1992, mais aussi aux autres la génération qui à mis en œuvre le secteur et les continuateurs des années 1970.

 

Comme l’écrit Jean Oury dans sa préface :

 

«  Une somme ! Des documents, articulés. Une histoire, depuis La Nef des fous jusqu'à aujourd'hui : la « psychiatrie », qui flotte encore mais qui souvent s'enfonce, coule lentement, submergée dans un processus d'effacement, de destruction. Le poids de la bêtise en harmonie avec un pseudo-positivisme redoutable : l'installation mondiale du sim­plisme et de la transparence, la mise à mort des gestes, des signes, des affinités subtiles. Que reste-t-il de ce qui fait l'étoffe de notre travail, c'est-à-dire les mille façons d'articuler la « rencontre », rencontre avec l'autre, avec autrui, équation première de tout travail psychiatrique digne de ce nom ? Tout est pesé, mesuré, compté, « machiné », broyé, compost sordide où fermentent les restes d'autrui, du respect, de l'éthique, de la demande, du désir... Constructions subtiles et délicates, concepts réduits en bribes et morceaux. Comment, dans cette atmosphère d'hypocrisie productive, accueillir l'autre, mon semblable, dans sa détresse, son esseulement ?

Ce travail de Patrick Coupechoux est si dense et précis, dans l'histoire et la contemporanéité, qu'il est difficile de le commenter. Précieux regroupement qui permet de deviner la syntaxe des événements, des massifications qui ponctuent le temps qui passe dans ses retours, ses stéréotypies, ses grimaces. Sentiers qui mènent à ce domaine souvent étouffé: celui de l'« infra-histoire », au sens d'Unamuno. Dans ces temps de précipitation absurde et quasi criminelle, il est bon de retrou­ver l'ordre de la marche, de la base (basis). C'est alors qu'on peut raconter « ce qui compte », dans l'ordre de l'existence, l'ordre de l'inestimable et du « non-comptable ».

 

Patrick Coupechoux, à fait là un travail de transmission incontournable pour tous ceux qui ont des velléités de tutorat.

 

Mais ne vous attendez pas à une lecture tranquille, nous sommes bousculés, chahutés et questionnés sur ce que nous laissons faire, le sous titre est parlant, « Comment notre société maltraite ses malades mentaux ».

 

Oui ce que là ou nous sommes, professionnels, syndicats, usagers, familles, partenaires laissons faire à cette nouvelle société comptable.

 

 

 

« Elle entend également « gérer » la folie au moindre coût avec une « gouvernance » dont la finalité n'est plus l'individu mais l'allégement de la charge sociale que celui-ci représente. La puissance publique se désengage donc et, pour que soient maintenus les nécessaires équilibres sociaux, fait appel à la famille - qui supporte aujourd'hui une charge énorme -, au social (ce terme signifiant de plus en plus bénévolat et charité) pour prendre le relais après la crise, parce que la maladie mentale ne disparaît pas avec celle-ci, et au privé, car la santé mentale constitue aussi un véritable business. »

 

Le livre comporte beaucoup de témoignages, fruit d’un réel travail d’enquête, et c’est souvent dans les propos de quelques personnes actuellement « aux affaires » que nous découvrons leur funeste projet, prenez par exemple les propos du directeur d’un des grands établissement de la région parisienne, propos à mettre dans le contexte de son parcours, plus de cinq ans à la MNSAM, cette mission qui née après le rapport Massé, doit nous questionner sur les évolutions en cours et le sens des propositions quelle distille depuis cette époque.

 

 

« Nous appliquons- la régle­mentation budgétaire.», précise Éric Graindorge. Or il se trouve que le budget est fixé en fonction des recettes. Autrement dit, ce sont les recettes qui déterminent les dépenses. Cette disposition est dans l'esprit de la réforme de l'« hôpital-entreprise », dite de « tarification à l'acte » ou T2A, qui consiste, comme son nom l'indique, à rémunérer l'établissement selon le nombre d'actes qu'il pratique, un acte étant, par exemple, une piqûre, une transfusion, une opération... Cela fait dire à une infirmière de l'hôpital général : « Lorsque je fais une piqûre à une personne âgée, je fais un acte ; lorsque je m'assois dix minutes sur son lit pour parler un peu avec elle, ce n'est plus un acte, je ne vais donc plus pouvoir m'asseoir quelques instants à ses côtés. » Cette T2A n'est pas encore appliquée à la psychiatrie, et pour cause : qu'est-ce qu'un « acte » en psychiatrie, mis à part la prise des médicaments ou l'électrochoc ? Mais les gestionnaires ne désespèrent pas de trouver la solution : on parle dorénavant de la VAP, la valorisation de l'activité en psychiatrie, qui aurait la même fonction. » (page 157)

 

Les question sont posées clairement ne trouvez-vous pas ? Bien sur la complexité de l’époque c’est que cohabite des collaborateurs et des résistants, mais comme le dit ce directeur :

 

« Monsieur le directeur n'est guère un adepte de la langue de bois « Ici, nous avons des fous pauvres et violents, nous n'avons pas de cadres fous et violents. Ceux-ci ne veulent pas venir dans une chambre dégueulasse en compagnie d'un chronique qui fait sous lui. » Lorsqu'il est arrivé dans ses fonctions, il a lancé une opération « hôpital propre » qui consistait à donner un coup de peinture dans les pièces les plus vétustes. « Les chambres accueillent deux ou trois lits, et dans la plupart d'entre elles on utilise encore le seau hygiénique. Tout cela donne une image stigmatisante. » Pour lui, « le secteur a voulu se débarrasser de l'hôpital, il l'a en fait conforté et, aujourd'hui, il le fossilise, il est donc temps de le dépasser ». Son espoir tient au fait que « tous les vieux tenants du secteur, qui s'allient aux syndicats pour que rien ne bouge, vont bientôt partir à la retraite, la moyenne d'âge des chefs de service est ici de cinquante-neuf ans... »

 

Nous sommes en plein dans cette maladie moderne qu’est le jeunisme, mais ces propos ne sont que l’écho de ceux tenus par l’auteur du dernier rapport sur la psychiatrie:

 

 

« Le docteur Cléry-Melin lance également de nouvelles affaires à Marseille, à Dijon et à Tou louse, dans le cadre d'une « coopération public-privé » à laquelle il croit. Il espère beaucoup dans la possibilité de monter des groupements coopération sanitaire (GCS), qui, une fois installés, pourront « avoir le choix entre un statut public et un statut privé », d'où une ouverture possible à la privatisation d'établissements publics. « Par exemple, si je monte un GCS avec une directrice d'établissement public, celle-ci pourra alors décider d'opter pour un statut privé, précise-t-il. Elle ne sera plus soumise au code des marchés publics. Elle deviendra une véritable chef d'entreprise, qui ne sera plus obligée de tendre la main. » L'avantage du privé, selon lui, est d'être capable de mobiliser plus d'argent. « Mon prix de journée à Meudon est de 110 euros, alors que, dans l'hôpital psy le plus miteux, il tourne autour de 6oo euros. Toute la différence réside dans la gestion. Dans le public, la masse salariale représente 80 ou 85% du budget, on entretient des bataillons de jardiniers, de cuisiniers et de bras cassés. » Le privé a donc pour mission de « réveiller le public [qui a fait] la preuve de sa lourdeur. [...] Le secteur a été une idée généreuse, une effervescence littéraire et philosophique marquée par le communisme et la culpabilité au sortir de la guerre, mais il a échoué ; il est devenu un système lourd et bureaucratique, marqué par le dogmatisme, le totalitarisme des idées et la fonctionnarisation avec les 35 heures. Il faut aujourd'hui développer l'intersectorisation : sept services qui s'occupent d'anorexie dans sept secteurs alors qu'un seul suffirait, c'est une aberration. »

Reste à savoir si le système qu'il défend - qui constitue selon lui « un mouvement inéluctable, malgré les résistances » - ne signifie pas tout simplement la mise en place d'une médecine à deux vitesses ou, pour citer Pierre Bailly-Salin, « une psychiatrie pour les nobles et une autre pour les ignobles ». Philippe Cléry-Melin n'hésite pas une seconde : « Mais elle existe déjà ! » Pour lui, c'est clair, la santé a un coût et les Français sont prêts à payer pour se soigner. Donc, « du point de vue de l'entreprise, le secteur de la santé est un secteur très lucratif, avec l'augmentation permanente des dépenses des ménages ». Dans le domaine de la psychiatrie, il faut le « libre choix », l'affirmation du « droit des patients » et la garantie d'être bien soigné, avec « l'accrédi­tation, les contrôles, l'évaluation pratique des professionnels et des médecins ». L'exemple de Philippe Cléry-Melin n'est pas unique. De grands groupes privés se sont même constitués, depuis quelques années, qui proposent une offre de soins, notamment psychiatriques. C'est le cas, par exemple, de la Générale de santé, cotée en bourse, qui possède vingt et une cliniques dédiées à la santé mentale. »

 

J’arrête là, les citations mais regardons l’environnement dans lequel nous travaillons, regardons le avec ce que l’Histoire nous enseigne. Je terminerais malgré tout par la préface d’Oury, pour vous inviter à lire cet excellent livre:

 

« L'auteur, à juste titre, parle d'un possible retour à la barbarie. Nous sommes en effet entrés dans un « État d'exception », bien décrit par Giorgio Agamben entre autres. Le législatif vient se coller à l'exécutif sous l'« atmosphère culturelle générale » de la sécurisation, accordé au principe de précaution, qui sévit sur le monde entier. La « judiciarisation » prend son envol, et cela dépasse largement le domaine psychia­trique, mais il y a glissement des vocables, des expressions toutes faites : la. « santé mentale » devient une notion extrêmement dange­reuse ; dans son espèce de présentation fourre-tout, elle détruit la spé­cificité du champ psychiatrique. Il y a confusion, entretenue, entre « souffrance psychique » et « maladie psychique ». Il en résulte des pra­tiques de « tourniquet » (l'« éternel retour », comme ironisent certains).

C'est sur cet arrière-pays, cette misère entretenue, cette destruction de toute « possibilisation », comme le diraient Henri Maldiney ou Jacques Schotte, que vous pourrez mieux estimer la saveur des différents « rapports » au ministères. De quoi perdre la foi en l'homme, dit-on, ou plutôt en l'« existant » qui, comme le profère Lacan d'une façon répétitive et géniale, est un « parlêtre ». L'homme est condamné au langage, déclame-t-il encore. Qu'est-ce qu'il devient lorsqu'il est enfermé, encel­lulé, attaché, privé de rencontres, homogénéisé, rendu transparent ?

 

Alors ? Que faire ? Lisez ce livre, manuel lucide pour trouver les moyens de survivre et de résister. JEAN OURY (décembre 2005) »

 

Bonne lecture, y.g

 

Patrick Coupechoux

Un monde de fous.

224 pages

format : 14,5 x 22 cm 19 euro

ISBN : 2-02-081254-1

Éditions du Seuil

 

 

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