Comment notre société maltraite ses malades mentaux ............. |
Ce livre - Un monde de Fous -arrive à point
nommé, il va permettre dans cette période très turbulente de la Psychiatrie
Française de faire un retour sur son Histoire et permettre à tous celles et
ceux d’avant 1992, mais aussi aux autres la génération qui à mis en œuvre le
secteur et les continuateurs des années 1970.
Comme l’écrit Jean Oury dans sa préface :
« Une somme ! Des documents, articulés. Une histoire, depuis La Nef des
fous jusqu'à aujourd'hui : la « psychiatrie », qui flotte encore mais qui
souvent s'enfonce, coule lentement, submergée dans un processus d'effacement,
de destruction. Le poids de la bêtise en harmonie avec un pseudo-positivisme redoutable : l'installation mondiale du simplisme et de la transparence, la mise à mort des
gestes, des signes, des affinités subtiles. Que reste-t-il de ce qui
fait l'étoffe de notre travail, c'est-à-dire
les mille façons d'articuler la « rencontre », rencontre avec l'autre, avec autrui, équation première de tout
travail psychiatrique digne de ce nom ? Tout est pesé, mesuré, compté, « machiné », broyé, compost sordide où fermentent les restes d'autrui,
du respect, de l'éthique, de la
demande, du désir... Constructions subtiles et délicates, concepts réduits en bribes et morceaux. Comment,
dans cette atmosphère d'hypocrisie
productive, accueillir l'autre, mon semblable, dans sa détresse, son esseulement ?
Ce travail de Patrick Coupechoux est si dense et
précis, dans l'histoire et la contemporanéité, qu'il est difficile de le commenter.
Précieux regroupement qui permet de deviner la syntaxe des événements, des massifications
qui ponctuent le temps qui passe dans ses retours, ses stéréotypies,
ses grimaces. Sentiers qui mènent à ce domaine souvent étouffé: celui
de l'« infra-histoire », au sens d'Unamuno. Dans ces temps de
précipitation absurde et quasi criminelle, il est bon de retrouver l'ordre de
la marche, de la base (basis). C'est alors qu'on peut raconter « ce qui
compte », dans l'ordre de l'existence, l'ordre de l'inestimable et du «
non-comptable ».
Patrick Coupechoux, à fait là un travail de
transmission incontournable pour tous ceux qui ont des velléités de tutorat.
Mais ne vous attendez pas à une lecture
tranquille, nous sommes bousculés, chahutés et questionnés sur ce que nous
laissons faire, le sous titre est parlant, « Comment notre société
maltraite ses malades mentaux ».
Oui ce que là ou nous sommes, professionnels,
syndicats, usagers, familles, partenaires laissons faire à cette nouvelle
société comptable.
« Elle
entend également « gérer » la folie au moindre coût avec une « gouvernance »
dont la finalité n'est plus l'individu mais l'allégement de la charge sociale
que celui-ci représente. La puissance publique se désengage donc et, pour que
soient maintenus les nécessaires équilibres sociaux, fait appel à la famille -
qui supporte aujourd'hui une charge énorme -, au social (ce terme signifiant de
plus en plus bénévolat et charité) pour prendre le relais après la crise, parce
que la maladie mentale ne disparaît pas avec celle-ci, et au privé, car la
santé mentale constitue aussi un véritable business. »
Le livre comporte
beaucoup de témoignages, fruit d’un réel travail d’enquête, et c’est souvent
dans les propos de quelques personnes actuellement « aux affaires »
que nous découvrons leur funeste projet, prenez par exemple les propos du
directeur d’un des grands établissement de la région parisienne, propos à
mettre dans le contexte de son parcours, plus de cinq ans à la MNSAM, cette
mission qui née après le rapport Massé, doit nous questionner sur les
évolutions en cours et le sens des propositions quelle distille depuis cette
époque.
« Nous appliquons- la réglementation
budgétaire.», précise Éric Graindorge. Or il se trouve que le budget est fixé en
fonction des recettes. Autrement dit, ce sont les recettes qui
déterminent les dépenses. Cette disposition est dans l'esprit de la
réforme de l'« hôpital-entreprise », dite de « tarification à l'acte » ou T2A,
qui consiste, comme son nom l'indique, à rémunérer l'établissement
selon le nombre d'actes qu'il pratique, un acte étant, par exemple, une
piqûre, une transfusion, une opération... Cela fait dire à une infirmière de l'hôpital général : « Lorsque je fais une piqûre à une personne âgée, je fais un acte ; lorsque je m'assois dix minutes sur son lit pour parler un peu avec elle, ce n'est plus un
acte, je ne vais donc plus pouvoir
m'asseoir quelques instants à ses côtés. » Cette T2A n'est pas encore appliquée à la psychiatrie, et pour cause : qu'est-ce
qu'un « acte » en psychiatrie, mis à
part la prise des médicaments ou l'électrochoc ? Mais les gestionnaires ne
désespèrent pas de trouver la solution :
on parle dorénavant de la VAP, la valorisation de l'activité en
psychiatrie, qui aurait la même
fonction. » (page 157)
Les question sont posées clairement ne
trouvez-vous pas ? Bien sur la complexité de l’époque c’est que cohabite des
collaborateurs et des résistants, mais comme le dit ce directeur :
« Monsieur le directeur
n'est guère un adepte de la langue de bois « Ici, nous avons des fous pauvres
et violents, nous n'avons pas de cadres fous et violents. Ceux-ci ne veulent pas
venir dans une chambre dégueulasse en compagnie d'un chronique qui fait sous
lui. » Lorsqu'il est arrivé dans ses fonctions, il a lancé une opération «
hôpital propre » qui consistait à donner un coup de peinture dans les
pièces les plus vétustes. « Les chambres accueillent deux ou trois lits, et dans la
plupart d'entre elles on utilise encore le seau hygiénique. Tout cela donne une
image
stigmatisante. » Pour lui, « le secteur a voulu se débarrasser de l'hôpital, il
l'a en fait conforté et, aujourd'hui, il le fossilise, il est donc temps de le
dépasser ». Son espoir tient au fait que « tous les vieux tenants du
secteur, qui s'allient aux syndicats pour que rien ne bouge, vont bientôt partir à la retraite,
la moyenne d'âge des chefs de service est
ici de cinquante-neuf ans... »
Nous sommes en plein dans cette maladie moderne
qu’est le jeunisme, mais ces propos ne sont que l’écho de ceux tenus par
l’auteur du dernier rapport sur la psychiatrie:
« Le docteur Cléry-Melin lance également de nouvelles affaires à
Marseille, à Dijon et à Tou louse,
dans le cadre d'une « coopération public-privé » à laquelle il croit. Il espère beaucoup dans la possibilité de monter
des groupements coopération sanitaire
(GCS), qui, une fois installés,
pourront « avoir le choix entre un
statut public et un statut privé », d'où une ouverture possible à la privatisation d'établissements
publics. « Par exemple, si je monte
un GCS avec une directrice d'établissement public, celle-ci pourra alors décider d'opter pour un statut privé,
précise-t-il. Elle ne sera plus soumise au code des marchés publics. Elle deviendra
une véritable chef d'entreprise, qui
ne sera plus obligée de tendre la main. » L'avantage du privé, selon lui, est d'être capable de mobiliser plus d'argent.
« Mon prix de journée à Meudon est de
110 euros, alors que, dans l'hôpital
psy le plus miteux, il tourne autour de 6oo euros. Toute la différence réside dans la gestion. Dans le public,
la masse salariale représente 80 ou 85% du budget, on entretient des bataillons
de jardiniers, de cuisiniers et de bras cassés. » Le privé a donc pour
mission de « réveiller le public [qui
a fait] la preuve de sa lourdeur. [...]
Le secteur a été une idée généreuse, une effervescence
littéraire et philosophique marquée
par le communisme et la culpabilité au sortir de la guerre, mais il a échoué ; il est devenu un système lourd et bureaucratique, marqué par le dogmatisme, le totalitarisme des idées et
la fonctionnarisation avec les 35
heures. Il faut aujourd'hui développer l'intersectorisation : sept services qui
s'occupent d'anorexie dans sept secteurs alors qu'un seul suffirait, c'est une aberration. »
Reste à savoir
si le système qu'il défend - qui constitue selon lui « un mouvement inéluctable,
malgré les résistances » - ne signifie pas tout simplement la mise en place
d'une médecine à deux vitesses ou, pour citer Pierre Bailly-Salin, « une
psychiatrie pour les nobles et une autre pour les ignobles ». Philippe Cléry-Melin
n'hésite pas une seconde : « Mais elle existe déjà ! » Pour lui, c'est clair, la santé a un coût et les
Français sont prêts à payer pour se soigner. Donc, « du point de vue de
l'entreprise, le secteur de la santé est un secteur très lucratif, avec
l'augmentation permanente des dépenses des ménages ». Dans le domaine de la psychiatrie, il faut
le « libre choix », l'affirmation du «
droit des patients » et la garantie d'être bien soigné, avec « l'accréditation, les contrôles, l'évaluation pratique des
professionnels et des médecins ».
L'exemple de Philippe Cléry-Melin n'est pas unique. De grands groupes privés se sont même constitués,
depuis quelques années, qui
proposent une offre de soins, notamment psychiatriques. C'est le cas, par exemple, de la Générale de
santé, cotée en bourse, qui possède
vingt et une cliniques dédiées à la santé mentale. »
J’arrête là, les
citations mais regardons l’environnement dans lequel nous travaillons,
regardons le avec ce que l’Histoire nous enseigne. Je terminerais malgré tout
par la préface d’Oury, pour vous inviter à lire cet excellent livre:
« L'auteur, à juste titre, parle d'un
possible retour à la barbarie. Nous sommes en effet entrés dans un « État
d'exception », bien décrit par Giorgio Agamben entre autres. Le législatif
vient se coller à l'exécutif sous l'« atmosphère culturelle générale » de la
sécurisation, accordé au principe de précaution, qui sévit sur le monde entier.
La « judiciarisation » prend son envol, et cela dépasse largement le domaine
psychiatrique, mais il y a glissement des vocables, des expressions toutes
faites : la. « santé mentale » devient une notion extrêmement dangereuse ;
dans son espèce de présentation fourre-tout, elle détruit la spécificité du
champ psychiatrique. Il y a confusion, entretenue, entre « souffrance psychique
» et « maladie psychique ». Il en résulte des pratiques de « tourniquet » (l'«
éternel retour », comme ironisent certains).
C'est sur cet arrière-pays, cette misère
entretenue, cette destruction de toute « possibilisation », comme le diraient
Henri Maldiney ou Jacques Schotte, que vous pourrez mieux estimer la saveur des
différents « rapports » au ministères. De quoi perdre la foi en l'homme,
dit-on, ou plutôt en l'« existant » qui, comme le profère Lacan d'une façon
répétitive et géniale, est un « parlêtre ». L'homme est condamné au langage,
déclame-t-il encore. Qu'est-ce qu'il devient lorsqu'il est enfermé, encellulé,
attaché, privé de rencontres, homogénéisé, rendu transparent ?
Alors
? Que faire ? Lisez ce livre, manuel lucide pour trouver les moyens de survivre
et de résister. JEAN OURY (décembre 2005) »
Bonne lecture, y.g
Patrick
Coupechoux
Un monde
de fous.
224 pages
format : 14,5 x 22
cm 19 euro
ISBN : 2-02-081254-1
Éditions du Seuil
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