en santé mentale L'Harmattan |
Tout d’abord je tiens à
préciser que ce livre est une relecture de ma vie professionnelle dans le monde
de la psychiatrie, et que je n’ai pas cherché à retracer l’histoire de cette
discipline.
En écrivant mon histoire
professionnelle, j’ai voulu, en premier lieu, rendre hommage aux infirmiers en psychiatrie, ces oubliés de
l’histoire de la psychiatrie moderne.
La presse les médias parlent
des psychiatres, des psychanalystes, des
psychologues, des éducateurs, des assistantes sociales, mais jamais ou
très rarement des infirmiers psychiatriques. Pourtant par leurs actions, ils
ont grandement contribué à l’évolution de la psychiatrie moderne, j’en suis le
témoin !
Pourquoi
ont-ils été si longtemps oubliés ?
Il est vrai que ces
infirmiers sont les héritiers des gardiens de fous qui ont assumé le
train-train pendant plus d’un siècle dans les asiles d’aliénés départementaux,
puis les hôpitaux psychiatriques. Alors il a fallu des années et beaucoup de
combats pour que cet héritage, lourd à porter, s’estompe. Pourtant quel chemin
parcouru !
Je peux dire que pendant les
40 années de mon parcours professionnel, la vie au travail de l’infirmier, le
contenu professionnel, la relation au patient ont été bouleversés. L’infirmier
en psychiatrie est devenu, en quelque sorte, le soignant du quotidien et du
continu.
La peur au ventre a laissé
petit à petit place à la relation thérapeutique. De gardiens ils sont devenus
soignants, j’ai voulu témoigner de ce chemin parcouru.
En
second lieu, j’ai
aussi écrit ce livre pour témoigner :
Une fois à la retraite,
après avoir pris du recul, j’ai eu l’envie de livrer aux jeunes générations les
enseignements tirés de ma vie professionnelle et de leur communiquer ce qui à
mes yeux me paraît important.
Témoigner, en toute
simplicité sur fond d’exemples vécus auprès des malades, des familles et de mes
concitoyens. Leur livrer mes actions, mes émotions, mes interrogations.
Je tiens à dire ici, combien
la maladie mentale fait souffrir l’homme qui en est atteint ainsi que son
entourage le plus proche, notamment sa famille. Cette souffrance, le grand
public l’ignore ou tant à l’ignorer.
Comme pour les autres
maladies les soignants en santé mentale doivent : Ecouter Soulager
Accompagner Soigner.
Troisième raison qui m’a poussé à
écrire :
J’ai
voulu livrer un témoignage sur ma conception de l’homme :
De notre Havre de paix, du
haut du cap de la Hève, avec Bernadette mon épouse, aussi infirmière en santé
mentale, nous avons pu relire notre parcourt de soignant.
Nous nous sommes
interrogés : « L’homme comme seule ressource, seule richesse, ne
serait-il pas le fil rouge qui nous a guidé tout au long de notre
carrière ? »
Cet homme, nous avons eu à
le découvrir au cœur de la misère des hôpitaux psychiatriques des années
cinquante.
Alors, à notre niveau, avec
bien d’autres infirmiers anonymes, nous avons participé à l’émergence de cet
homme comme « être à part entière ». Ensemble, médecins et équipes
soignantes, nous avons travailler pour que de sa situation exclusivement
asilaire, où seul l’enfermement comptait, « l’homme fou »,
aujourd’hui malade mental, trouve de mieux en mieux sa place dans notre système
de soins, dans le milieu social, et surtout dans la cité. Notre modeste
expérience en la matière tend à prouver que l’exclusion en soi peut toujours
trouver une évolution positive grâce à l’action des structures mais surtout des
hommes.
Parallèlement à cette
évolution, nous croyons avoir apporté notre pierre à la promotion de
l’infirmier psychiatrique qui est passé du statut de gardien à celui de
soignant. Si nous avions, dès maintenant, encore un message à envoyer aux
infirmiers en activité, nous les mettrions en garde sur leur façon actuelle de
défendre leur profession. Attention à certaines attitudes qui risquent
d’annuler le chemin parcouru !
La psychiatrie a toujours du
mal à renvoyer une image positive. Nos concitoyens ne cesse de le dire.
Soignants, abandonnons nos attitudes négatives, où la plainte l’emporte sur
notre mission professionnelle. Adoptons une attitude qui permette à tous,
malades et bien portants, de découvrir les richesses de notre savoir-faire
individuel et collectif. Le lecteur comprendra donc que les écrits ci-après
sont résolument positifs
L’idée de l’homme qui a
nourri mon parcours a été en permanence confrontée au souci de l’acquisition du
savoir. L’autodidacte que je suis, tout au long de ma carrière, s’est préoccupé
de la formation professionnelle et permanente. N’ayant jamais fréquenté ni le
collège, ni le lycée, ni l’université, cette démarche principalement en direction des autres, infirmiers, élèves
infirmiers et agents hospitaliers, de ceux à qui j’avais à enseigner m’a
beaucoup apporté, beaucoup transformé. Mon souci a été que chaque agent ait,
tout à la fois, des outils à sa disposition et les moyens de les mettre en
œuvre dans une action professionnelle. Une boite à outils, si fournie
soit-elle, ne sert à rien si celui à qui elle est confiée n’a pas la volonté et
la force de l’utiliser à bon escient.
Oui j’ai envie de vous dire
ces choses, car elles sont importantes pour moi et peuvent servir à d’autres.
Ne faut-il pas s’appuyer sur le passé pour vivre pleinement le présent et mieux
préparer l’avenir. Oui j’ai envie de dire combien à travers ce parcours, de
l’enfermement à la psychiatrie de secteur, la dimension culturelle de l’homme,
la primauté du relationnel, le poids de l’écoute ont été importants ? La
conception de l’homme, la liberté sont, pour moi, essentielles.
.
Alors sans toujours m’en
rendre compte c’est sans doute l’homme, sa liberté, sa dignité qui a guidé mon
action.
Mon premier contact avec
l’hôpital de l’époque a été un électrochoc, si vous me permettez d’emprunter
cette image.
Avant d’y entrer à l’H.P.,
je n’avais aucune appréhension habitant le quartier depuis toujours et jouant
dans les jardins de l’asile, je croyais le connaître.. Mais quelle
découverte !
L’asile, l’H.P. de l’époque,
c’était ces quartiers de 135 malades hommes pour une équipe de 6 infirmiers
dans le meilleurs des cas. Des réfectoires avec des tables de marbres, des bancs
scellés aux tables, des assiettes en fer et le quart du soldat, la cuillère de
tôle qui servait aussi de fourchette et de couteau, des dortoirs surchargés à
l’odeur insoutenable, des cellules, des entraves, des camisoles de force. Il
était triste aussi de constater que l’asile, lieu de ségrégation voulu par la
société, reproduisait en son sein un schéma identique : pas question de
mélanger ses fous. La ségrégation se faisait selon les attitudes, les
comportements des malades, les sociétés savantes appelait cela les symptômes.
Je découvrais la réalité
asilaire, bien à l’abri derrière ses murs et ses grilles. Eh oui !
Les premiers jours j’ai eu envie de fuir cet univers, une terrible angoisse m’a
envahi. Je pense que celui qui a vécu de tels moments a peut être approché d’un
peu plus près l’angoisse permanente du malade et la perception de celle-ci à
travers tout son être. Je crois que l’approche de la maladie à travers son
propre vécu est une méthode importante de l’apprentissage du métier.
Il ne faut pas oublier que
cet établissement que je découvrais avait été créé par une loi datant de juin
1838. Cette loi, qui obligeait chaque département de construire un asile
d’aliénés, a été à l’époque un acte humanitaire, mais qui portait déjà en germe
un risque de ségrégation. Lieu d’accueil et de premiers soins, ces
établissements, au fils des années ont créé des isolats. En même temps cette
concentration de la folie derrière des murs impénétrables a entretenu pour le
citoyen ordinaire fantasmes, peurs et rejets…
La réalité asilaire, qui
dans un premier temps, nous avait donné la peur au ventre, a été un tremplin
pour réagir, en toute conscience. La toute nouvelle génération d’infirmiers ne
voulait pas être complice de cette situation. Nous n’avions plus le droit de
laisser ces fous dans ce trou de basse fosse.
Casser cet état de fait, au
lendemain de la dernière guerre mondiale, relevait de l’exploit. Il a donc
fallu du courage, de l’énergie, un peu d’inconscience et du culot, aux médecins
et aux infirmiers pour sortir l’asile de la torpeur.
Avec l’arrivée des premiers
neuroleptiques, l’espoir né de ces nouveaux médicaments a facilité aussi la
transformation de l’asile et la tache des infirmiers, l’atmosphère devenait
plus respirable.
Dès les années 1954, lors
d’un stage des C.E.M.E.A., peu après mon arrivée, mes collègues et moi-même
avons découvert une psychiatrie en pleine évolution. Nous avons pu appréhender
dès cette époque, d’autres valeurs, d’autres pratiques, des projets, à savoir
qu’à partir des choses les plus simples de la vie quotidienne nous pouvions
agir sur l’institution.
La vie rendue possible, des
activités plus structurées ont pu être imaginées. Cette ébauche de thérapie
institutionnelle marque le début de la désinstitutionnalisation et de la
démystification de la folie.
Passer de l’immobilisme, au
mouvement, sentir la possibilité de se frayer un espace de liberté dans ce
monde clos donnant aux malades un espoir d’ouverture vers la vie, vers le monde
devenait possible C’est aussi à Mayenne la période où l’on détruit les
cellules, où l’on supprime les camisoles et les entraves, où l’on commença,
lentement mais sûrement à ouvrir les portes de l’asile. Ces actes peuvent
apparaître aujourd’hui plus symboliques qu’héroïques, mais n’oublions pas
qu’ils ont libéré d’entraves inhumaines nombreux malades et qu’ils ont aussi
ouvert une nouvelle page de la psychiatrie contemporaine
Les portes de l’hôpital
psychiatrique s’ouvraient, la psychiatrie dans la cité devenait possible
Après des années passées à
Mayenne, dans les années soixante, une nouvelle aventure s’offrait à moi, Le
Havre.
Il a fallu, l’amitié, la
compétence et la complicité d’un jeune couple de psychiatre, et de surcroît
Mayennais pour me convaincre ainsi que mon épouse. Je dois aussi souligner ici
combien ils ont œuvré à la création et au développement de la psychiatrie
contemporaine havraise
La Psychiatrie dans la cité.
Tel était le slogan et l’ambition de nos deux psychiatres ! Pourquoi
pas ? L’idée était séduisante.
Cet objectif me paraissait
bien difficile à atteindre mais il me tentait. Alors l’aventure et la nouveauté
seront plus fortes que la nostalgie, la décision de venir au Havre finit par
s’imposer.
J’étais interpellé, par la
situation psychiatrique de la seine maritime, celle-ci était loin d’être
attirante mais les ingrédients de lendemain meilleurs semblaient réunis.
Dès l’arrivée de ces deux
psychiatres, dans les années soixante, très vite l’activité s’est développée. A
grand pas ces psychiatres sont passés d’un travail institutionnel en hôpital
psychiatrique, à une pratique en réseau dans la cité, à l’époque il fallait
oser le faire, ils étaient en quelque sorte des précurseurs. Certainement que
les circonstances, vu l’absence de moyens et de structure de soins les ont
amenés à s’appuyer sur le monde scolaire et associatif, en un mot s’insérer
dans la cité.
Puis le travail en équipe
par secteur géographique a aussi permis de casser le tout hôpital ainsi que
l’image de la folie et favoriser l’intégration de l’homme malade mentale qui,
comme tout citoyen, a des droits et des devoirs. La psychiatrie du Havre à
l’époque, fin des années 60, a été un précurseur en la matière.
Une
innovation havraise : l’Hôpital de Jour.
En rupture avec le passé et
anticipant sur un projet d’envergure tout en s’appuyant sur des activités
simples, un véritable travail d’équipe du temps de partage et de réflexion
voilà une méthode qui a du bon. Il a fallu faire preuve d’innovation et de
sérieux.
Le travail en réseau qui
commençait à porter ses fruits, permettait d’entrevoir comment il était
possible de s’insérer dans la ville, mais comment prendre en charge au
quotidien les malades sans moyens. Un besoin criant se faisait de plus en plus
sentir. L’hôpital du havre avait bien un grand projet, la construction d’un
ensemble de structures psychiatriques, qu’on appellera plus tard Centre Pierre
Janet, mais il fallait attendre et encore attendre. C’est ainsi que nos deux
psychiatres ont eu l’idée de créer un hôpital de jour, un des premiers H.J. public,
le premier en province.
Cette idée d’H.J.
m’interrogeait. Hospitaliser des malades la journée peut-être mais que
deviendront-ils le soir, que de questions ?…J’étais comme mal à l’aise
devant ce projet, j’avais un peu la trouille. L’idée fit son chemin dans ma
tête, et très vite je me suis pris au jeu, à l’envie de faire. Créer cette
structure était à l’époque faire office de pionnier. Mai 68 est marqué par des événements historiques, mais c’est aussi la date de l’ouverture de
l’H.J du Havre. Nous étions pleinement
phase avec les idées et le
mouvement sociétal du moment .
L’équipe fondatrice de
l’H.J., après avoir mûrement réfléchi voulait :
Que cet H.J. soit un lieu
d’accueil compréhensif pour le malade désemparé dans une société peu préparée à
l’entendre et à le comprendre ?.
Cette équipe portait le soucis de maintenir le contact quotidien
entre le malade et sa famille, son cadre habituel.
Ce travail devra être
conduit par les soignants de telle sorte que le malade reprenne en charge,
progressivement, la gestion de ses propres affaires, et de son autonomie.
Face à la nouveauté, face
aux sollicitations nombreuses et variées des malades, des familles et de
l’entourage, une réponse s’est imposée à nous : « la vie
d’équipe ». Dépasser la différence en agissant ensemble, réfléchir à tous
les actes quotidiens, à l’époque c’était innover.
Tout au long de ces années
le contenu professionnel, la relation au patient ont été bouleversés.
L’homme-fou est devenu un sujet certes malade, à comportement perturbé, mais
digne d’intérêt et de respect
A la réflexion, une partie
de l’action de l’infirmier en santé mentale ne serait-elle pas de réveiller en
tout malade, cette petite flamme endormie que je nommerais
« Désir » ?
Les références psychanalytiques
à coté de l’effet des médicaments ont transformé en profondeur la relation
soignant-soigné. Pourtant la folie même atténuée par tout un arsenal de
thérapie, reste cette étrangeté que le soignant affronte…C’est sa capacité à
écouter, à garder ses distances, à accompagner, qui ne s’apprend réellement ni
dans les livres, ni au cours de la formation initiale, mais par la pratique,
que peut émerger un espace de relation thérapeutique.
Ces pratiques fortement
marquées par la personnalité de chaque soignant appellent des temps de
confrontation et d’échanges. Malgré cela, reconnaissons que souvent l’usure
menace. Le délire, le comportement agressif ou l’inactivité de certains
malades, la lenteur de l’évolution et les rechutes de la maladie, parfois
agressent l’infirmier et surtout le questionnent. Oui la maladie mentale use,
démoralise…C’est au prix d’une énergie permanente que l’infirmier devra lutter
pour rester soignant.
Pour
conclusion provisoire.
1954-1994… Quarante ans au
cours desquels la prise en charge de l’homme-fou s’est transformé, la pratique
soignante a été révolutionnée, la formation s'est construite…
Quarante ans au cours
desquels la société a connu des soubresauts, vécu de profondes mutations… sans
toujours savoir correctement accueillir et intégrer la différence de l’autre,
fut-elle d’origine raciale, sociale ou liée à l’état mental des personnes.
Nous constatons, et j’en
suis heureux, un réel recul de l’enfermement au bénéfice du maintien ou du
retour des malades dans leur lieu de vie ordinaire, c’est à dire dans la cité.
Cette évolution est un combat quotidien pour lequel j’ai toujours été un
farouche partisan et acteur.
Je voudrais aussi dire que
la démarche volontariste de réinsérer le maximum de malades mentaux pourrait,
si l’on n’y prend garde, précipiter certains d’entre-eux dans des situations
d’extrême solitude et de profonde souffrance.
Les mesures d’internements,
les chambres d’isolement fussent-elles plus confortables que les cellules
d’hier, sont des recours qui semblent à nouveau refleurir dans bon nombre
d’établissements psychiatriques et j’en suis désolé. Les responsables actuels
et futurs, administrations, médecins, soignants doivent être vigilants car les
retours en arrière sont toujours possibles.
Enfin constatons que la
psychiatrie est toujours sur le fil du rasoir…à la recherche d’un équilibre
entre le besoin de soins de la personne et sa liberté individuelle, entre les
limites de la sécurité, celle du malade, celle de son environnement, et de la
solidarité nécessaire à toute intégration.
Il me semble important de
noter, que la réponse et l’évolution psychiatrique d’un pays sont intimement
liées aux débats qu’il conduit, à la place qu’il laisse à l’homme, à sa
conception de la liberté.
Ces questionnements m’ont
taraudé tout au long de ma carrière…Ma conception de l’homme citoyen m’a aidée
régulièrement, je pense, à trouver avec d’autres, des réponses, que j’espère,
équilibrées ?
Aujourd’hui je reste
convaincu que lorsque nous plaçons l’homme au centre de nos préoccupations,
lorsque l’homme devient la seule richesse et la seule ressource de nos actions,
il n’y a plus de place pour l’exclusion… Chacun quel qu’il soit, à droit à une
place dans la société.
Ce livre a été pour moi
l’occasion d’un retour sur ma pratique, mes engagements. Il ma permis de
préciser certains points qui me paraissent essentiels, y compris pour demain.
Avec un sage du Moyen-Age je
rappellerai à tous les soignants en santé mentale d’aujourd’hui qu’il
continuent d’écrire l’histoire commencée il y a bien longtemps :
« Il n’y a ni passé, ni
avenir…seulement un présent
Le présent du passé… C’est
la mémoire
Le présent du présent… C’est
l’action
Le
présent de l’avenir… C’est l’imagination »
Aux
générations d’aujourd’hui, je dirai pour conclure, que le métier de soignant en
psychiatrie est d’abord et avant tout, de prodiguer des soins, mais c’est aussi
d’incarner le souci permanent d’une lutte contre la chronicité, contre la
ségrégation, contre l’exclusion, contre l’oubli. La psychiatrie reste un combat,
un combat pur l’homme.
Roland Bourdais
Auteur du livre: "Parcours
original d'un soignant" en santé mentale, paru aux éditions l'Harmattan.
E-mail:
bourdaisroland@wanadoo.fr