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Je travaille à l'asile d'aliénés


André Roumieux

Champ Libre

1974



Je travaille à l'asile d'aliénés


J'ai lu ce livre en 1986, il m'avait sacrément émue. Un infirmier qui racontait les prémices de la profession que j'exerçais. Un livre qui débute dans les années 50 et qui nous montre une avancée spectaculaire de la place de l'infirmier dans les soins.
Et puis, je me suis fait "piquer" mon livre que je n'ai jamais oublié vraiment et en gardant en tête le nom de l'auteur que j'ai fini par rencontrer à Ville Evrard, dans un lieu magique qui sentait l'encaustique et les herbes séchées.

A force de fréquenter brocantes et vieux chiffonniers, j'ai fini par retrouver ce trésor.
Imaginez : 1951, André entre "en asile" comme infirmier des fous.
Repos un jour par semaine, repos décalé d'un jour toutes les semaines, André reçoit les premières consignes : se méfier de tous les malades sans exception, les portes et les fenêtres toujours fermées à clef et ce qui peut faire du mal doit être confisqué.

Le moment le plus solennel de son arrivée fut la remise de trois clefs, d'une crémone et d'un sifflet. A partir de ce moment, André était infirmier.
La rencontre avec la folie fut brutale et massive. En 1951, peu de soins, gardiennage et surveillance, méfiance et violence, réglement et contrôle. "Mon travail se caractérisait par une surveillance sous toutes ses formes et continuelles" André s'initiait à l'habitude de voir des trucs terribles et d'avoir peur sans que personne ne s'en aperçoive...
Les relations médecins infirmiers étaient tendues, bâties sur la différence de classe.
..."Générations d'infirmiers prisonniers d'un système de hiérarchie conçu sur le mode du chef qui commande, du sous-chef qui transmet et du chef-pas-du-tout qui content ou pas content exécute"

Certains malades étaient affectés aux tâches du quotidien pour lesquelles ils percevaient un pécule et des cigarettes. Quand j'ai commencé à travailler, cela se faisait encore. Fameux cadre unique... l'infirmier faisait tout "du sol au plafond", ménage, repas, médicament, soins, hygiène et groupe... Les patients alors, nous aidaient et recevaient un peu d'argent "de poche".

Monsieur Roumieux a passé de pavillon en pavillon, de médecins en médecins. Il a fini par connaitre un médecin qu'il qualifie de "médecin de la liberté institutionnelle" qui a ouvert les portes de certains pavillons, qui a mis en places des activités, et qui parlait d'un langage clair. Il avait même inventé une activité : la "démolinothérapie" pour les patients agressifs, activité qui a fait le tour du monde...

Il fit la rencontre d'infirmiers pleins de souffrance, d'infirmiers qui montèrent une section syndicale. "Et chaque fois qu'on gueulait pour nos conditions de travail, on gueulait aussi pour l'amélioration des conditions d'existence des malades" Moi, ça me fait du bien de lire ça !!

" Je crois que la dégueulasserie des asiles cessera en partie, quand les infirmiers comprendront qu'ils ne sont pas que des types embrigadés dans un fonctionnariat pourri, mais des types qui ont quelque chose d'important à dire et à faire"

André Roumieux connu enfin les services ouverts. Il passa le diplôme d'infirmier en deux ans et fut affecté de nuit, puis dans un service d'insulinothérapie, les cures de sakel qui variaient entre vingt à quarante comas. Pour en avoir fait au début de ma carrière à une patiente, je ne pouvais imaginer que cela se faisait dans un pavillon entier...
Ensuite André fut affecté à l'ergothérapie. Premier séjour où patients et soignants partir camper ! plus de repères institutionnels, plus de blouses, plus de clefs.

Et puis retour effroyable dans un pavillon d'entrant à une époque où l'encombrement était tel qu'il fallait mettre des matelats partout, deux par salle de bain, dans les couloirs ! Des "évasions" brutales qui engageaient la responsabilité de l'infimier et qui pouvaient entrainer des mises à pieds. C'est dans cet état de tension totale qu'est née l'ergothérapie dans le pavillon. (raphia, terre à modeler) Première visite à domicile, premier accompagnement, première réunion de malades...

André Roumieux a pris des notes, patiemment, pendant vingt ans, pour qu'un jour on parle hors de l'asile, de la profession qui est la sienne, qui est la notre. Gentis disait de nous " la grande farce hospitalière, le tour de passe passe fondamental, c'est que ceux qui pratiquent la psychiatrie, ceux qui la vivent, c'est les infirmiers, pendant que les médecins, eux, ils la pensent"

Révolutionner la psychiatrie, c'est trouver des infirmiers et des médecins enthousiastes, parlant le même langage, partageant comme un héritage le savoir et le pouvoir, déterminés sur les mêmes moyens d'action et qui désirent réellement que la psychiatrie change au niveau de l'institution psychiatrique.



@Marie Leyreloup
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