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Manuel de psychiatrie citoyenne: L'avenir d'une désillusion


Jean-Luc Roelandt, Patrice Desmons

Edition In Press

Collection des pensées et des actes en santé mentale




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Manuel de psychiatrie citoyenne: L'avenir d'une désillusion
Jean-Luc Roelandt, Patrice Desmons
Edition In Press
Collection des pensées et des actes en santé mentale, 2002


S'il y a un genre dont les éditeurs sont inondés et qu'ils se refusent le plus souvent à publier, ce sont bien les mémoires professionnelles de vieux routards. Ces ouvrages pourtant parfois passionnant n'intéressent disent-ils que les proches de l'auteur et se trouvent vite invendables.
Par contre, ce dont les mêmes éditeurs sont friands, parmi les ouvrages professionnels, ce sont ceux que j'appelle les "livres recettes". Postulant que les professionnels notamment dans le domaine de la santé mentale ne lisent pas ou peu, qu'ils préfèrent des réponses à leurs questions plutôt que d'autres interrogations, tous ont à leur catalogue une collection "d'ouvrages à tiroir", d'autant plus pertinents que l'auteur est connu.
Lorsque l'un des auteurs m'a fait parvenir le "Manuel de psychiatrie citoyenne", j'ai pensé "Tiens, les éditions "In press" se mettent à leur collection "prêt à penser"."
Lorsque j'ai parcouru l'ouvrage, j'ai rectifié "Tiens, les auteurs, Jean Luc Roelandt et Patrice Desmons ont réussit à publier leurs mémoires professionnelles en les faisant passer à l'éditeur pour un livre de recettes".
Une fois que je l'ai lu j'ai encore changé d'avis. Il s'agit, bien au delà de l'expérience particulière d'un secteur de psychiatrie du Nord de la France, de proposer à chaque professionnel de la psychiatrie, chaque partenaire, chaque usager de se mettre dans la seule position qui leur permette de dialoguer et d'œuvrer ensemble,
leur position de citoyens.
Ma première difficulté a été de passer le mode d'emploi.
Le livre est présenté en 5 leçons. Chacune débute par un argument qui expose la problématique de la leçon, ensuite vient la leçon. Pourtant je conseille aux réfractaires de dépasser ce côté "donneur de leçon" et d'aller plus loin.

La première partie du livre donc, retrace l'état de cette psychiatrie à une époque que l'on voudrait révolue. L'asile, la ségrégation, l'exploitation de travailleurs bon marché (qui ne sont même pas de la main d'œuvre exploitée, mais de la main d'œuvre tout court) qui en plus nourrissent leur propre institution. S'agit-il d'un règlement de compte entre un médecin chef d'Armentières et de ses collègues ? Ou bien est-ce une sorte de pamphlet sur l'état de la psychiatrie Ch'timie dans les années 70 - 80 (ne rigolez pas dans votre coin, ce qui est décrit là devait être identique à la même époque dans la plupart des hôpitaux psychiatriques en France, je me suis même laissé dire que certains y retrouveraient une part de leur quotidien encore aujourd'hui). On y découvre aussi les premières expériences pour sortir du ghetto, "les colonies", qui déjà doivent à des engagements individuels de sortir du moule de l'exclusion, mais aussi de supporter le regard des autres. Les expériences anglaises et italiennes sont là à peines évoquées. De ce chapitre, je vous propose de retenir que "la psychiatrie ne se fait pas avec des "gens" professionnels, mais d'abord avec des professionnels citoyens.

La seconde leçon me rappelle mon quotidien, à savoir que les changements dans la psychiatrie ne sont pas l'affaire des seuls professionnels engagés, dans leur institution. La dimension citoyenne de leur engagement et de leur action est la condition sine qua non de changements effectifs. C'est à dire que, si les professionnels ne comptent que sur eux même, ils ne font que changer leur quotidien professionnel, pas celui de ceux qu'ils soignent. On ne change rien petit à petit, tout juste améliore-t-on les choses. En psychiatrie les soignés ont à dire aux soignants. Mais aussi, les soignés et les soignants ont à écouter ceux qui les entourent plus que dans tout autre discipline. Il est question de maladie, mais aussi de représentation de la maladie, d'image, de stigmatisation.


La troisième leçon m'a été plus difficile. Question de parcours professionnel sans doute. Il y est question des rapports de l'art et de la folie. Certes, les auteurs sont critiques vis à vis d'une certaine "arthérapie". Là encore, je rattachais cela à des souvenirs inénarrables de réunions de synthèses surréalistes où l'on était me semblait-il plus proche d'un transfert voire d'une identification mal maîtrisés par le thérapeute que de l'analyse d'une production dans un cadre thérapeutique. Les auteurs nous amènent de l'art, à l'image, à interroger notre désir de changer l'image de la psychiatrie, celle de la maladie mentale, et enfin celle de la folie tout simplement. Mais suffit-il de changer l'image pour changer les choses, là encore, cela commence auprès des soignants eux même, mais au delà s'adresse à nos concitoyens. L'art est avant tout un combat politique nous rappelle Vignale.


A la quatrième leçon, nous abordons la place de la recherche et de la publication comme moyen de faire évoluer les choses. La recherche n'est autre que la remise en cause, l'interrogation de l'existant. Pourquoi, pour quoi, pour qui. Mais si la psychiatrie est interrogée par ceux là même qui en sont acteur et seulement par eux, la recherche n'est alors qu'une tentative de justification de l'existant. De même pour la publication, telle expérience menée avec succès par une équipe, donnant lieu à une publication n'est souvent reçue par d'autre équipe que comme un récit exotique. Pour sortir de cela, il est indispensable que d'autres s'impliquent dans la recherche et la publication en psychiatrie. Au côté de tous les corps professionnels en psychiatrie doivent pouvoir intervenir dans le champ de la recherche d'autres approches telle l'histoire, la philosophie, la sociologie, etc. car le champ de la psychiatrie n'est pas celui de la folie isolée de la société, mais celui de citoyens souffrants de maladie mentale à un moment donné.


D'où cette cinquième leçon qui propose de questionner sans cesse l'utopie, de rester lucide sur les désillusions et de poser de nouveaux défis. A cinq désillusions, l'hospitalisation résiste, l'amour n'est pas médecin, le travail et le "travail" social, l'horreur est aussi très économique, le consentement aux soins est une gageure les auteurs proposent deux utopies, "créatrices d'illusions" que je vous laisse découvrir.
L'ouvrage se termine par la reprise de cette idée, que la psychiatrie citoyenne est bien l'avenir d'une désillusion


Serpsy militant depuis sa création pour cette psychiatrie citoyenne serait donc un repaire de désillusionnés. Certes, mais d'une désillusion motrice, créatrice d'utopies. Laissant la plainte de la désillusion aux frileux et comme nous y invitent les auteurs soyons déjà citoyens…. Le reste suivra.


Emmanuel Digonnet Septembre 2002



Une deuxième lecture :

Manuel de psychiatrie citoyenne: L'avenir d'une désillusion
Jean-Luc Roelandt, Patrice Desmons
Edition In Press
Collection des pensées et des actes en santé mentale, 2002


Fichtre, une préface de BK, celui-là même qui ministre n'a pas eu le courage de donner à la fourmilière psychiatrique un coup d'accélérateur pour nous sortir de notre marasme. Exigence éthique dit-il du respect de la personne ; j'aimerai tant que les politiques aient la même exigence envers la psychiatrie de secteur.

Il s'agit dans ce livre de nous faire vivre l'expérience d'un secteur de psychiatrie. Un témoignage, écrit, pamphlet, leçon, enfin bref, à la fin de l'introduction, on se lance à l'attaque du …. manuel en cinq leçons mais sans tiroirs.

La première leçon se veut historique, autour d'une rencontre, celle que les soignants des années 70 se rappellent tous, car il s'agit de la première rencontre entre eux et la folie. L'écriture se fait alors incisive pour traquer les errements des collègues psychiatres établis, des personnels chronicisés et peu enclins à perdre leurs modestes avantages face à une psychiatrie de secteur qui se dessinait. On était loin des expériences italiennes et anglaises. Le maître mot pour moi serait Militant. On ne peut pas faire de la psychiatrie un travail commun, banal. Pour pouvoir suivre les évolutions des pathologies, de la société, de l'homme il faudrait travailler en psy non seulement avec les savoirs appris mais avec de l'utopie, du rêve, de la révolte, une éthique et une conscience politique et militante.

Ben, mais c'est de moi qu'ils parlent ??? pourtant, on ne s'est jamais rencontré, ce n'est pas faute d'avoir été à Armentières pour former les infirmiers des secteurs, ni d'avoir fréquenté les mêmes colloques…

Continuons avec les leçons, la deuxième est toujours dans l'histoire et la rencontre avec d'autres professionnels, les élus, les patients, les familles, les associations ; la création de nouveaux lieux de soins, de vie. Là, rien de nouveau sous le soleil. Tout les partenaires se retrouvent et s'y retrouvent entre le social, le psychologique et le soin. Quant à l'unité d'hospitalisation et à l'offre de mettre un " vidal " à porté des patients, elle est sympathique certes mais bien insuffisante. Il ne suffit pas de mettre à disposition d'un patient un livre en hébreu pour que celui-ci sache tout sur son traitement. Si c'était aussi simple, ça se saurait… Les portes sont ouvertes si les infirmiers sont en nombre suffisant pour garantir ce fonctionnement ! C'est quoi le nombre suffisant ?

Expérience folle, inventive, géniale que cette rencontre entre l'art et la psychiatrie. Il faut dire que déjà la rencontre avait eu lieu pendant la guerre à St Alban, l'art, la poésie, l'écriture et la psychiatrie avait déjà fait un long chemin ensemble. Cela n'est il pas le cheminement de toutes les utopies, les rêves ? N'est-il donc pas logique que se rencontrent et se côtoient les artistes et les fous ? Les initiatives se multiplient pour mélanger encore plus les couleurs de ces vies. La cité s'en empare, l'utopie en marche soutenue par le ministère de la culture. Un joli moment d'écriture autour de l'image de la folie et du point aveugle du regard.
C'est aussi en 1988 qu'est né à Villeneuve d'Ascq un journal annuel, la première revue scientifique et artistique du premier avril : Le journal des fous ? une folle débandade d'humour. En première page, une citation de Pierre Seghers : l'humour c'est d'y croire encore.

Quatrième leçon ! il faut pour que la psychiatrie citoyenne existe qu'elle fasse de la recherche et qu'elle publie. Et j'ajouterai, il faut qu'elle le fasse en français dans le texte ! c'est à dire qu'elle oublie de jargonner pour que tous, professionnels ou non puissions lire et comprendre. Il faut qu'elle soit accessible !!!
Il faut aussi que chacun puisse avoir un regard citoyen sur la psychiatrie, que chacun puisse avoir accès au recherche du voisin. Qu'on puisse se les approprier, travailler autour, mettre en pratique les résultats de certains travaux…
Ecrire, rendre nos écrits visibles, pour l'heure notre tâche à Serpsy ressemble à s'y méprendre aux vœux des auteurs. Cela fait partie de ce travail d'éducation " populaire " car il semble juste de penser qu'il faudra encore un long chemin pour que les personnes qui ne sont pas touchées par la maladie mentale voient dans la personne soignée en psychiatrie autre chose qu'un fou. Les médias ne nous aident pas beaucoup pour cela.

Qualité et coût contre idéologie et philosophie des soins, la route est encore longue et elle devient beaucoup moins drôle. Où sont donc nos utopies, nos rêves et nos contes.

Désillusions !!
L'hôpital et ses murs qui résistent !
Les pathologies de l'amour qui se psychiatrisent
L'illusion de la remise au travail des fous
L'horreur économique
Le faux consentement aux soins


Quel avenir ???
La psychiatrie citoyenne
L'utopie ou les utopies
La définition réactualisée de par la société de la folie et des fous

Le risque ! un mot citoyen vide de sens qui s'emploie à tout va et qu'on garde en bouche comme d'ailleurs le mot éthique. Même ceux qui ne s'en occupe pas les mettent en bouclier. Une désillusion de plus ?

1970-2002, trente ans de psychiatrie, toujours en mouvement, toujours en cherchant l'amélioration, le dehors, l'harmonie avec la cité, c'est quand même un sacré chemin de parcouru entre les chardons et les ronces. On est pas loin des sentiers mieux balisés (j 'ai surtout pas dit protocolisés….ni bitumés).

Les équipes seront citoyennes ou disparaîtront !

@Marie Leyreloup