Tous les terrains d'observation témoignent que la communication est indispensable à la plupart des activités de travail, parfois même elle la constitue. L'action ne se limite pas à appliquer un programme établi mais exige d'interpréter la situation et de réagir aux circonstances. Il faut que chacun confronte sa vision du travail pour la compléter, la nuancer à celles des autres. Les métiers ont plusieurs facettes ou rôles qui vont devoir s'ajuster et coexister. Agir en commun est une raison supplémentaire de communiquer. De nombreuses études permettent de cerner les multiples coopérations, en co-présence, à distance ou en réseau.
A un niveau supérieur de complexité, le travail exige de faire converger l'activité de plusieurs personnes, plusieurs équipes, la coordination entre les agents est un niveau d'organisation plus sensible aux dysfonctionnements, incidents et problèmes.
Les communications de travail sont faites du langage verbal, de l'écriture sous différentes formes. Il faut pour les comprendre prendre en compte le secteur d'activité de l'entreprise, sa culture professionnelle, son mode d'organisation, ses contraintes technologiques et le contenu du travail.
La communication ne se réduit pas à ce rôle de servante de l'action, parfois elle est l'action. Les actes de langage constituent alors les actes de base du travail.
On peut observer l'accroissement des outils informationnels comme par exemple à l'hôpital avec l'apparition du dossier de soin lié à l'affirmation des professions de soins face aux professions médicales. Cette fonction de support de professionnalité doit être concilié avec une fonction organisationnelle collective car c'est aussi un outil de coordination de l'action des équipes.
Dans une vie de travail on trouve également des conversations en marge des tâches officielles, des échanges interstitiels, des relations informelles qui permettent de ressouder un collectif menacé par les tensions du travail.
La communication est aussi le lieu d'expression des clivages sociaux, d'antagonismes professionnels, de rapports de domination et d'élaboration de compromis.
On ne peut pas travailler sans communiquer, mais il faut aussi organiser la communication par des supports, des outils, des règles, des réunions… car communiquer ne va pas de soi.
Chapitre 2 : Le travail et sa sociologie à l'épreuve du langage.
L'objet de ce chapitre est la part langagière du travail, celle qui dit, qui accompagne ou accomplit l'activité.
Trois verbes qui ne sont pas équivalent et qualifient des degrés différents de chevauchement entre le dire et le faire.
La science du langage ne se résume pas à la linguistique, mais en font désormais partie d'autres disciplines plus jeunes et moins stabilisées. (Sociolinguistique, l'analyse du discours, la pragmatique, l'ethnographie de la communication, etc.). Ces disciplines ont une posture critique à l'égard d'une conception instrumentaliste du langage mais aussi du langage miroir et du langage transparent.
Chapitre 3 : Une linguistique du travail.
Lorsque l'on étudie les objets langagiers du travail, on est au prise avec des faits linguistiques fort différents. Les linguistes du " travail " confrontés avec des situations de travail ont modifié les méthodes existantes, interrogé la pertinence de certains concepts ou notions, développé des questions théoriques. Pour rendre compte du terrain nouveau qu'est le travail, les linguistes ont développé de nouveaux domaines.
L'analyse du discours a investi le champ du discours politique. Le discours selon Foucault (M) n'est pas seulement ce qui traduit les luttes mais aussi ce par quoi on lutte, ce pour quoi on lutte, le pouvoir dont on cherche à s'emparer.
La sociolinguistique qui s'entend comme l'étude des pratiques des langues dans les situations sociales de communication.
En situation de travail, le langage est tendu vers une finalité, vers une action à accomplir, une solution à trouver. La question de l'établissement des corpus selon des critères d'homogénéité et d'autonomie des données par rapport au contexte et à la situation se pose alors. Cette question se voit ainsi replacée dans une problématique plus générale de l'enquête.
Les pratiques langagières du travail présentent un rapport étroit à l'activité de transformation productive inhérente, au travail humain mais aussi une intrication entre sémiotiques, un déploiement du langage dans l'ensemble de ses dimensions anthropologiques.
Les situations de travail apparaissent comme de véritables laboratoires de langage. Ces discours de travail ne peuvent être isolés de l'ensemble des activités non langagières qui structurent le travail humain.
Chapitre 4 : La résistible ascension de l'écrit au travail
Les écrits au travail sont l'ensemble des documents émanant de toute organisation productive publique ou privée.
Deux événements ont influé sur le développement des recherches sur les " écrits au travail ", la mise en route de la démarche qualité et l'informatisation du travail. Deux logiques différentes qui ont stimulé et modèlent les recherches.
Le nombre d'enquête réalisées ces dernières années traitant de l'écrit dans le monde du travail est très important. Dans tous les pays on note que les pratiques de lecture et d'écriture varient selon les secteurs d'activité, mais à l'intérieur de ce cadre commun, les variations sont grandes. Il y aurait donc des cultures du travail plus ou moins lettrées selon les pays.
Les recherches ont révélé une pluralité de niveaux de relations entre écriture et action, l'écrit sert constamment de ressources.
Chapitre 5 : Verbal et non-verbal dans le langage au travail
L'analyse des interactions de travail nous confronte à des composantes non langagières interférant constamment avec les interactions verbales proprement dites. (composantes sémiotiques non verbales, non sémiotiques liées à l'environnement du travail et à l'action elle-même) Il va donc falloir prendre en considération ces éléments hétérogènes intriqués pour déterminer le sens des échanges et pouvoir analyser l'activité de travail dans ces différentes composantes.
Chapitre 6 : La théorie des organisations et la question du langage
La théorie des organisations hérite de trois traditions différentes (économiste avec Adam Smith, Marx, Marshall, sociologue avec Max Weber, Elton Mayo, Crozier, ingénieur-organisateur ave Taylor, Fayol, Babbage) ce qui ne rend pas simple une présentation cohérente. Toutefois ces traditions n'ont jamais cessé de dialoguer entre elles et de s'enrichir mutuellement. Actuellement nous serions dans une crise de cette théorie. L'hypothèse pour une sortie de la crise serait une place centrale à une réflexion sur le langage.
La fonction cognitive du langage, au travers de mécanisme d'explicitation et de combinaison, est aussi importante que sa fonction de communication. Une théorie élémentaire de la signification se dégage mettant en jeu une série d'éléments (la langue, la situation, le cadrage, le contexte).
Les organisations sont le lieu de production et de transformation de tous ces éléments.
La question du langage permet de distinguer plusieurs sortes d'organisations suivant la manière dont celles-ci mettent en œuvre la langage comme une ressource spécifique parmi toutes les autres dont elles disposent.
Seconde partie : Terrains, Objets, Pratiques
Chapitre 7 : Les mots du travail
De la même manière qu'il n'existe pas de " langue des jeunes ", il n'existe pas de " langue des métiers " car le système phonologique, la morphologie et la syntaxe sont celle du français commun.
Au travail se confrontent trois ensemble lexicaux, celui commun, conventionnel (toutes personnes qui parlent le français), celui spécialisé ou technique (prescrit par la direction, l'organisme de formation), celui des salariés eux mêmes. Les mots du travail sont transformés dans un vrai travail de nature esthétique sur la langue parlée.
L'inventivité lexicale revient à construire des points de vue distincts sur le monde, à énoncer des jugements de valeur propres et à modifier les évaluations sociales. Il s'agit de changements explicites de dénominations portés par le groupe.
La question centrale pour un sociolinguiste qui analyse la part langagière du travail est celle du sens que prend pour les agents cette activité lexicale de re-nomination alors que des mots techniques sont connus.
Ces mots, cette façon officieuse de parler, ce vocabulaire des métiers fonctionnent comme un des éléments de construction du groupe de travail, du collectif. Cela délimite les frontières au même titre que d'autres pratiques sociales.
Chapitre 8 : l'information des voyageurs en gare du Nord
Cette recherche devait se pencher sur les situations dites d'urgence ordinaire auxquelles les voyageurs ont affaire quotidiennement. L'objectif était de recentrer les formes de régulation de ces urgences. Deux expériences côté voyageurs étaient proposées : l'accessibilité à l'épreuve d'un parcours et l'accessibilité à l'épreuve du travail de guichet. Une autre expérience était proposée du côté des professionnelles avec un regard sur la production de l'information en situation perturbée (salle de régulation, poste d'aiguillage, annonces aux usagers).
Le matériel langagier étudié est le suivant soliloque provoqué, traces écrites et iconographiques, conversations de guichet, communication fonctionnelles et opératoires, annonces sonores, micro-trottoirs, entretiens d'autoconfrontation.
De cet étude a été mis en perspective trois types d'usagers : l'interlocuteur des agents d'accueil et de vente, le non habitué et désorienté et l'habitué , mais a également permis de voir que l'information des voyageurs était conçue dans une logique hiérarchique qui ne convenait pas à l'usager.
Chapitre 9 : Enquêter sur les écrits dans l'organisation
Les premiers travaux menés par des linguistes en milieu du travail sont ceux du CEPI à Paris V dont l'objectif était de décrire les univers d'écrits et les pratiques d'écriture et de lecture des salariés peu qualifié.
En matière d'écrits au travail, beaucoup reste à faire, aussi nous trouvons dans ce chapitre un programme de travail minimal pour une enquête.
Des impératifs techniques, administratifs, légaux confèrent aux écrits de travail un certain juridisme.
L'hôpital est un lieu où les écrits structurent et soutiennent l'action. On y produit, utilise et archive une grande quantité d'écrits manuscrits.
La plupart des écrits ont pour fonction de faire faire, de faire savoir et de faire preuve. Nous sommes également en présence d'écritures opératives qui permettent un gain de temps grâce aux informations qu'elles abrègent. Il faut relever aussi l'importance de la mise en espace des énoncés. Les écrits d'action sont souvent asyntactiques, non textuels.
Chapitre 10 : Genres d'activité et style de conduite
Ce chapitre pose des jalons d'une activité de recherche visant la transformation d'activité de travails spécifiques ou l'accompagnement de ces transformations. La dimension collective du travail produit des outils langagiers et symboliques, des normes locales et les modalités de recours à celle-ci en même temps que les conditions de leur transgression.
Les genres de l'activité seraient les implicites, les manières de penser et d'agir dans le milieu du travail et forgée par lui qui viennent en surimpression des normes et règles prescriptives.
Le style de conduite serait de se détacher de son expérience pour qu'elle devienne le moyen de faire d'autres expériences. Le langage fonctionne comme auxiliaire de la mémoire des savoirs, des conduites et des actions passées.
Chapitre 11 : Vérité, justice et relations. La question du cadrage dans une situation de service à EDF
Il s'agit d'une analyse de données tirés d'une étude sur la relation de service à EDF. C'est l'enregistrement de quatre conversations téléphoniques successives avec un client mécontent car le courant n'a pas été rétabli dans son magasin. Si la solution du problème peut être technique, le service est presque purement verbal. C'est un exemple d'échec car " quelque chose " n'a pu être mis en place alors que cela méritait un examen. Pour ce travail, on verra plus particulièrement la notion de cadre : comment on désigne ou on détermine un cadre, comment on passe d'un cadre à l'autre et comment on " recadre " dans le cours de l'interaction.
Chapitre 12 : Les agencements langagiers de la Qualité
La mise en place des systèmes qualité dans l'industrie et les services est une transformation récente qui sollicite de nombreux observateurs. Chaque acteur, dans l'interaction se constitue en auteur de petits changements et projette sa vision d'une meilleure organisation. L'étude porte l'observation de l'activité pendant quatre mois dans une agence commercialisant l'acier sous différentes formes.
L'observation des échanges oraux et écrits montre les ajustements personnels de la qualité. Les mots de la qualité apporte un régime de contrainte et d'évaluation qui imposent des accords, des collaborations, des dépendances.
Un intérêt souligné de la qualité serait la gestion des connaissances, l'écriture de la pratique serait le recensement des savoirs, mais la mise en conformité du faire et du dire sur le faire est probablement un rêve. On peut schématiser facilement les événements du travail productif mais on ne sait rien du savoir original, celui qui a de la valeur.
Chapitre 13 : Quand communiquer c'est coordonner. Communication à l'hôpital et coordination des équipes.
De nombreuses activités de travail sont accomplies à deux ou plusieurs, dans des équipes stables ou provisoires et requièrent un partage d'intelligibilité, une répartition des tâches, une négociation des rôles, un aménagement commun du contexte. Les évolutions font de la coordination un problème crucial pour l'hôpital. La coordination relève d'un double engagement, l'un informel et de tous moments, l'autre organisé autour de réunions. Les interactions brèves entre deux agents dans un couloir ou de passage dans un poste de soins participent à la coordination. Une partie de la coordination organisée se voit complétée par le moment des relèves qui sont ciblées sur la coordination des soins de chaque malade. Oral et écrit ont des rôles distincts et complémentaires. L'analyse des pratiques montre que les transmissions orales sont aussi un moment de discussion, confrontation, élaboration d'expérience, interrogation sur les soins et leur décision.
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Une grande partie des travaux porte sur des questions cognitives. Ils ont montré comment l'activité intellectuelle se réalisait dans des opérations mentales mais aussi grâce au travail coopératif et au langage. Ces recherches font partie de ce débat ouvert autour des sciences cognitives.
Il ne reste pas moins qu'une grande partie de l'intelligence des agents, leur innovation, leur création ne soit pas écrite. Ce savoir faire basé sur le vécu se fait sans discours, ce qui est d'ailleurs le cas pour les infirmiers en psychiatrie. Une grande partie du savoir qu'ils ont construit tout au long de leur vie professionnelle s'éteindra avec leur départ en retraite. La transmission de ce savoir ne peut se faire que par imprégnation. Le nouveau professionnel qui vient d'être diplômé a un savoir livresque acquis en trois année de formation, une fois nommé dans un service, il se trouve devant un professionnel aguerri qui l'encadre dans ses premiers pas de travailleur. La transmission se fait alors par le voir et l'agir. " Regarde comment je fais ". La modification des études d'infirmier, le manque de formation sur la psychiatrie et un besoin de qualité font naître des pratiques de routines. Routines langagières de salutation, de réponse au téléphone, conduites à tenir devant une situation, protocole de soins veulent remplacer le savoir basé sur l'expérience.
La notion juridique prend une place grandissante dans les écrits infirmiers. Dans le cadre de son décret de compétence, l'infirmier se doit de tenir un dossier de soin infirmier. Ecrire sous la contrainte n'est pas chose aisée pour la plupart des professionnels. Une autre question qui reste pour l'instant sans réponse est : le lecteur trouve-t-il le temps de lire quand on sait le nombre inouï d'objet écrit ou d'objet graphique dans un service de soin ?