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EN SOIGNANT, EN ECRIVANT

Martin Winckler
Indigène Editions
Mars 2000




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En soignant, en écrivant

Martin Winckler


Ce week-end, j'ai découvert mon frère en soin, mon frère en écriture. Une telle rencontre vaut la peine d'être relaté.

Je n'avais pas aimé " La maladie de Sachs ". Quelque chose dans le style m'avait heurté. Une certaine indifférenciation. Un je ne sais quoi d'hostile. Pourtant, c'était un livre cadeau de Noël. Mais je n'aime pas Noël. Et puis ce Noël là, quelque chose d'une amitié finissait. Ma vie était en train de bifurquer. Et le livre était relié aux oripeaux de l'ancienne vie. Je n'ai pas aimé les trente pages que j'ai lues. Et puis ma mère, aide-soignante est morte le jour de Noël. Qu'importe les raisons, je n'avais pas aimé ce que j'avais lu.

Ma main n'aurait donc pas dû être attirée par le dernier livre de Martin Winckler. " En soignant, en écrivant " tout cela me rappelait Julien Gracq et son " En lisant, en écrivant ". Je sentais là, une réflexion étayée, arc-boutée sur le soin. Tout pour me séduire.

Et puis, le soleil, la découverte d'Embrun, le petit Nice des Hautes-Alpes. Le sourire de ma compagne. J'étais moins vigilant.

Je n'ai pas été déçu.

" Pour garder la trace de ce qu'ils font, les médecins doivent conserver des signes écrits. Et j'ai compris au fil des années, que chaque texte, ne fut-il qu'une pochade, contient en germe un texte ultérieur ".

Quoi ? Un recueil de texte écrit par un médecin ? Et puis quoi encore ? Un texte de mandarin qui nous explique combien son service est bien organisé, et combien il est un bon médecin ? Un livre de spécialiste de la bioéthique qui ne parle pas à " ses " infirmières ? Une soupe théorique imbuvable ? Pas du tout. Pas du tout.

C'est un médecin généraliste qui écrit. Un médecin généraliste amoureux de la langue et des gens.

Quelqu'un qui ne confond pas " soin " et " thérapeutique ". Quelqu'un qui proclame haut et fort qu'il n'est pas un démiurge, un réparateur, mais un soignant, un simple soignant confronté aux difficultés du soin.

" J'avais été embauché comme agent de service pour le mois de juillet.

Il faisait nuit quand je suis arrivé, puisqu'on commençait à six heures. Je revois le grand chariot à linge dans le couloir, la première chambre et la première malade. C'était une énorme femme couchée dans un lit bordé de barreaux. Je l'avais regardé, lui avais dit timidement bonjour et lui avais tendu le thermomètre d'un geste maladroit en baragouinant quelque chose comme " il faut prendre votre température ".

Mme L., l'autre agente qui, à ce moment là, levait le store de la fenêtre, s'était retournée et m'avait lancé d'une voix glaciale : " Elle ne la prendra pas toute seule. "

Je me souviens de ma honte. La malade était hémiplégique et aphasique.

Il nous fallait des efforts inouïs pour la tourner dans son lit, pour changer les draps mouillés, ou pour la savonner, ou pour frictionner sa peau autour des escarres sacrées. On mettait beaucoup de temps pour la faire manger. Elle mangeait presque tout ce qu'on lui proposait. Je revois précisément la façon dont elle me regardait quand j'entrais dans la chambre et chaque fois que je faisais quoi que ce soit près d'elle ou pour elle. Lui donner à boire, passer la serpillière, retaper ses oreillers, baisser le store quand il faisait trop chaud, soulever ses draps à la moindre occasion tant je redoutais de la laisser baigner dans ses excréments ne fût-ce que deux minutes.

Je me souviens m'être demandé sans arrêt ce qu'elle ressentait, ce qui pouvait se passer dans sa tête. Il m'était difficile de lui parler, et en même temps, j'attendais qu'elle me fasse un signe, le plus petit signe pour m'indiquer qu'elle avait soif ou que, non, elle n'avait besoin de rien, enfin n'importe quoi qui me dise que ce que je faisais servait à quelque chose.

Elle n'était sûrement pas la seule dans le service ce mois-là, il y avait trente lits et beaucoup étaient occupés par des pensionnaires de l'hospice voisin. Pourtant, je ne me souviens que d'elle. C'est la première personne pour qui j'ai été soignant. "

Cette première fois, le Dr. Marc Zaffran (son vrai nom), ne l'oubliera jamais. Elle conditionnera avec l'enseignement de son père, lui-même médecin, toute sa carrière de généraliste.

Les textes sont semés comme autant de petits cailloux blancs. Vous cheminez avec ce médecin de famille, vous partagez ses révoltes, ses colères, ses approximations. A la lecture vous comprendrez mieux votre médecin-chef, ses collègues, cette caste médicale qui s'autoreproduit d'une génération sur l'autre. Vous aurez envie vous aussi d'être un iconoclaste. Vous partagerez sa tendresse pour les habitants de son bourg de province, son écoute des femmes douloureuses qui veulent avorter.

J'ai lu les textes courts qui composent l'ouvrage d'une traite. Vous n'êtes pas obligés de suivre mon exemple. Vous pouvez vous promener dans le livre, le butiner, le poser pour réfléchir, y revenir. C'est un enchantement. J'aime la façon qu'a Marc de poser sa main sur le ventre de son patient. J'aime sa façon d'affirmer qu'il soigne essentiellement des biens portants, j'aime son éloge des groupes Balint. J'aime cette façon d'exercer la médecine, tellement proche de ma façon d'être infirmier. J'aime sa façon d'aborder la question de l'observance au traitement, beaucoup devrait s'en inspirer. J'aime cette attention portée à l'infirme, au presque rien.

Médecin généraliste, infirmier nous sommes frères en soin, en écriture. A tel point que je suggère à nos webmasters de créer sur ce site une rubrique " médecine générale ".

A lire, relire et faire lire.

Dominique Friard.

P.S. Martin, tes problèmes tensionnels sont liés selon moi à un problème d'orthographe, il faut écrire " l'attention artérielle " pour que tout passe. Ainsi le chiffre d'attention peut baisser ou augmenter sans que cela ne soit inquiétant.

- La maladie de Sachs du même auteur.


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