Anne VEGA Editions des archives contemporaines Collection "Une pensée d'avance" 2000 |
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Cet ouvrage à plusieurs voix dégage les enjeux quotidiens du soin et l' ambiguïté du travail infirmier dans de grandes structures hospitalières, certes à la pointe de la technologie et de la recherche médicales mais tout autant symboles de lourdeurs hiérarchiques et de dysfonctionnements institutionnels chroniques qui nourrissent des traditions d'évitement et d' étiquetage de tous contre tous. Comment en effet cohabiter avec son voisin, l'aide-soignante, l'infirmière antillaise, ou avec le malade parkinsonien, le grabataire, quand le contact prolongé accentue les émotions et les réactions de repli identitaire ?
L'ethnologie de l'hôpital reste balbutiante en France où il est encore malvenu de s'engager sur un terrain dont, paradoxalement, chacun risque de faire un jour l'expérience. Cet ouvrage prend pourtant le parti de restituer sans fard et avec une acuité remarquable la dynamique du milieu hospitalier, monde extrêmement conflictuel, et, plus largement, contribue à la divulgation auprès d'un large public d'une nouvelle ethnologie en France, au plus près des hommes et de leurs maux.
Anne Vega, spécialisée en anthropologie de la maladie, est chargée de cours à l'université et enseignante auprès des personnels soignants.
Anne Vega
Table des matières
Avant-propos : confessions d'une fille d'infirmière
Introduction : approche anthropologique de l'hôpital
Le service de neurologie et ses soignantes
Lundi les désordres du jour
Mardi entre les basses besognes et le pouvoir médical
Mercredi la dernière roue du carrosse
Jeudi et vendredi les syndromes infirmiers
Samedi la contagion des malades
Dimanche à la vie à la mort !
Conclusion : l'hôpital, tribunal de nos flagrants délits
Extrait de l'ouvrage
(les citations des infirmières et autres personnels soignants sont retranscrites entre guillemets et en italique)
Lundi
Les désordres du jour
Aujourd'hui, il y a trois infirmières dans la première salle et deux aides-soignantes. " C'est le jour des entrants, ils arrivent au compte-gouttes ". L'infirmière Louise réécrit sur une feuille les soins de ses malades, puis se charge des chambres du fond, c'est son " habitude ". L'infirmière parle peu avec le reste de l'équipe. Elle a déjà pris son thé, avec son amie, l'aide-soignante Renée, car elles viennent tous les jours à 6 heures 30, " pour pouvoir mieux s'organiser ". A 47 ans, Louise est plusieurs fois grand-mère. Elle attend la retraite pour pouvoir effectuer du bénévolat en Guadeloupe et s'occuper de son fils, gravement malade.
Les soins de nursing ont débuté à 7 heures précises. Deux par deux, les femmes refont méthodiquement les lits, tout en bavardant à propos de leur week-end. Louise note les pieds gonflés d'une malade. Avec l'aide-soignante, elle masse ses escarres avec du savon et tente de dérider un peu sa voisine de lit, un peu triste ce matin (elle ne veut pas se lever). Véronique vient lui faire sa piqûre, mais met beaucoup de temps à trouver ses veines. La seconde infirmière n'échange pas un mot avec la patiente. A 8 heures 30, les premières toilettes infirmières sont finies. Les deux aides-soignantes continuent seules les nursing, secondées par un agent. Les infirmières sont en train de placer les prélèvements sanguins - qui doivent être analysés par différents laboratoires (aujourd'hui un laboratoire leur a renvoyé un prélèvement mal étiqueté) - dans des pochettes aux étiquettes de couleurs différenciées (virologie, anticoagulants, immunologie, biochimie, numération, bactériologie...). Elles remplissent aussi des papiers administratifs et " les fiches de gammes " pour les remboursements de la sécurité sociale.
Louise prépare déjà ses médicaments mais est obligée d'aller à plusieurs reprises en chercher à la pharmacie, à l'autre extrémité de la salle. Et puis, en chemin, elle s'est aperçu que " la malade du 10 avait encore débranché sa perfusion ". " C'est du chantage, selon Véronique. Elle a un problème neurologique, c'est une dépressive. Elle était déjà excitée comme ça la dernière fois qu'elle est venue dans le service ". (la plupart des malades atteints de sclérose en plaques sont des habitués du service, dans lequel ils reviennent régulièrement " équilibrer leurs traitements "). Alors que Louise la perfuse à nouveau, la malade se confond en excuses. Elle ne l'a " pas fait exprès ", elle est " nerveuse ". La jeune femme ne finit pas toutes ses phrases, visiblement très soucieuse de l'opinion des infirmières à son égard. Son attitude semble démentir les propos de l'infirmière.
A la pause de 10 heures, l'équipe est enfin au complet. La surveillante annonce l'arrivée d'un malade " exigeant, assisté, qui a des rentes ". Après un bref silence, elle hausse les sourcils d'un air entendu. Dans la plupart des services de soins généraux, les nouveaux malades sont souvent présentés avant même leur arrivée dans les salles par les cadres ou leurs secrétaires. Les groupes socio-culturels déjà fortement investis par les médias sont susceptibles d'être abordés comme tels, et de devenir l'objet de classifications très répandues dans les hôpitaux (les " riches ", les " toxicos ", les " alcoolos ", les " clodos ", les " Maghrébins ", les " vieux "), effaçant parfois totalement le caractère pathologique de leurs maux. Une partie de mon travail a consisté à analyser combien ces discours normalisés, rarement neutres, avaient tendance à marquer l'identité du malade au cours de son séjour.
Une ethnologue, fille d'infirmière, qui a fait pendant l'été des stages comme agent hospitalier plus ou moins loin du patient selon les étés, s'est immergée dans un service de neurologie à Paris (AP-HP) aux côtés des soignants, des infirmières.
Le choix du service a été mûrement réfléchi. Les services de chroniques sont situés en bas de l'échelle hiérarchiques des soins infirmiers. Les services phares sont ceux débordant d'activités techniques ou ceux faisant de la recherche.
Le service de neurologie est ainsi déprecié dans la représentation infirmière parce que le rôle technicien de l'infirmière est remplacé par un corps à corps génant mais néanmoins obligé avec le patient. Il est bien évident pourtant que le "corps à corps" est bien plus dur, bien plus impliquant qu'un soin technique. Le corps à corps veut dire de toucher l'autre, d'être dans la zone de l'intime et non plus de se cacher derrière une pompe à machin ou à truc, une seringue électrique ou autre
Corps à corps ou soin de nursing qui font partie du rôle propre infirmier, de celui qui permet l'initiative infirmière, l'originalité, la décision et la personnalisation des soins. Un soin tellement riche, tellement près de l'autre que bien peu de "technicienne" ne veulent s'en encombrer.
L'ouvrage va s'articuler autour de d'axes thématiques tels les catégories de l'autre et du semblable, du propre et du sale, les conceptions du temps et de l'espace, les rapports entretenus entre culture écrite et culture orale, les représentations de la maladie, de la mort.
Le premier chapitre va nous présenter l'organisation d'un hôpital avec une lumière sur les dysfonctionnement chroniques tant au niveau matériel qu'au niveau de la diffusion de l'information et la gestion de l'espace.
La multiplication des supports de travail, de vérification, d'écriture, va obliger les infirmières a passer un temps plus que considérable en "paperasse". (Justifions ce que nous faisons) Une étude devrait être faite sur ce temps passé à écrire, qui permet toutefois que les infirmières parlent entre elles, mais les tâches sont considérées comme du secrétariat administratif et ne réjouissent personne.
L'écrit est pourtant considéré comme un instrucment jugé secondaire malgré que quelques infirmiers en pressante un intérêt stratégique.
Du fait de ces tâches, les infirmiers se détachent du soin au corps et le délaisse à l'aide-soignante.
Ambiguïté ! Quand elles encadrent de jeunes étudiantes qui doivent apprendrent le nursing !
Qui va donc les encadrer ?
On va préférer leur apprendre à faire une IM pour qu'elles ne repartent pas sans avoir appris quelque chose ! Quel mépris pour le soin de nursing !
Vu de l'extérieur le savoir infirmier semble bien confus !!!
(rassurez vous madame Véga, de l'intérieur parfois aussi ) Par contre il est une pratique qui m'étonne c'est le peu de savoir sur les médicaments, sur les protocoles thérapeutiques qu'elles sont chargées d'administrer, alors qu'il faut en même temps pouvoir donner toutes les informations nécessaires au patient !
D'autres part les soignants savent les difficultés que rencontrent certains patients avec des pathologies invalidantes qui les amènent petit à petit à les exclure du travail, de la société, et pourtant ce savoir là ne permet pas de considérer ces patients comme des personnes en souffrance mais plutôt comme des gènes pour le service.
Les infirmiers entretiennent un rapport étroit à l'oralité, la multiplicité des circuits d'information et leur dysfonctionnement nourissent une tradition de commérage, bruit de couloir, pottin, rumeurs, etc. Pratique qui permet notamment de s'éloigner du soin, du patient lui même !!! Mais aussi, les soignants qui se désintéressent des bavardages risque l'exclusion du groupe soignant
"L'hôpital laisse des marques invisibles et insidieuses qui pénètrent l'âme de tout un chacun, simplement parce qu'il le met à nu.
Anne Marie Leyreloup