Psychiatries L'utopie, le déclin
Yves Buin
érès 99
|
 |
Le commander avec 
Décapant tableau de la pensée unique que nous trace Buin en introduction de son ouvrage, la comparant à la Novlang d'Orwell. L'auteur affirme que la pensée unique n'a pu naître que sur un terrain déserté. Un terrain défriché par le libéralisme à la manière de l'ONF, préparant la désertification. La pensée unique telle que décrite par l'auteur m'évoquait le néant si tant est que l'on puisse se faire une idée du néant, d'un néant qui plus est despotique et totalitaire. En le lisant me venait l'image de ces trous noirs qui dévorent nous dit-on des milliers d'étoiles dans un calme intersidéral vu de chez nous.
Bernard Kouchner se demandait et nous demandait, il y a quelques jours à la remise du rapport de Piel et de Roelandt "Où est l'aspect rebelle de la psychiatrie ?" Ne pourrait-on dire à l'instart d'Arthur Koestler repris par Yves Buin que pour cela il n 'aurait jamais du mettre en couple psychiatre et gestionnaire. L' un pour chercher une vérité qui ne s'encombre pas de la limitation des contingences, l' autre en charge des intérêts communs et du maintien de la normalité. Entre les deux, peu de places pour le négoce!
L'auteur est tout à ses regrets et illusions perdues par rapport à des idéologies qui ont montré combien les bonnes intentions pouvaient amener le pire. Il fait un bilan cinglant de la faillite et de la démission des partis politiques. Il égratigne peu les syndicats, qui comme le rappelait il y a peu Jean Ayme avaient su lier dans les années soixante-dix revendications catégorielles et idéal de soin, posant ainsi les bases d'une évolution de la psychiatrie. Mais où sont-ils aujourd'hui ? La nébuleuse que constitue les syndicats de psychiatres, divisée, atomisée en courants, spécialités etc. est incapable de proposer un projet alternatif au "grand dérangement" (au sens Acadien du terme) organisé par les pouvoirs publiques. Quant aux syndicats de salariés, ils sont trop occupés par leurs luttes de pouvoir pour s'en préoccuper. Ces luttes de pouvoir sont en fait des luttes pour le pouvoir économique à travers la gestion de tel ou tel organisme paritaire, représentant des sommes considérables à gérer par les "partenaires sociaux". Le mariage, ou tout du moins le concubinage déclaré entre la CFDT et la CGT n'est certainement pas une victoire pour le mouvement syndical. Il s'agit plutôt d'un pacte de non-agression après avoir dépouillé FO, qui n'est porteur ni de projet ni de dynamisme ni de la moindre utopie. C'est peut-être dans l'émergence de nouveaux syndicats nés des coordinations des années 80-90, (qui tirent leur légitimité et leur représentativité de leur présence au cœur des services et du terrain) et dans le mouvement associatif que l'on retrouve aujourd'hui des utopies liant progrès social, conditions de travail et propositions plus globales quand à l'organisation des soins.
Il fut un temps où la psychiatrie était politique.
Lors d'une soirée débat où deux auteurs (Guy Baillon et Yves Buin) présentaient leurs ouvrages, j'ai entendu un psychiatre dire qu'il ne pouvait pas soutenir les revendications des personnels qui défendaient l'hôpital comme leur outil de travail. Certes la formulation est sans doute mal faite, mais où était-il pendant ce mouvement là? Comme beaucoup de ses confrères, en rendez-vous à la Direction de ce même hôpital en train de négocier le maintien d'un demi poste de secrétaire médicale ou de deux infirmiers qu'il obtiendrait au détriment du service voisin ? La responsabilité devant l'absence de projets et d'idéologie de soin est collective, mais dans le mot responsabilité il y a responsable, et les médecins chef et surveillants chef ont leur part dans cette démission collective face au toujours plus d'administratif.
Quand dans les services les protocoles remplacent les réunions institutionnelles et les notes de service les réunions cliniques, il ne faut pas s'étonner que chacun reste bien sagement dans sa blouse sans faire trop de vague.
Buin, ose parler d'euthanasie active lorsque la seule considération du prix et du coût dicte les modalités de prise en charge. Plus loin il nous parle de la différence entre la désaliénation (qui à consisté non pas seulement à faire sortir les malades des hôpitaux, mais aussi les soignants, ce qui n'était pas une mince affaire) et " l'externement" qui consiste aujourd'hui à mettre à la rue des malades sans aucune ressource - et pas seulement financière- pour survivre dehors).
Qui osera un jour mener une étude sur le suicide des patients psychotiques ? Evolution de la maladie, se plaît-on à répéter, 'il s'agirait là des sujets les plus lucides, qui soudain conscients de leur maladie ne trouveraient d'autre issue que de mettre fin à leurs jours. Ils participent à la lutte contre le déficit de la sécurité sociale dont on ne cesse de leur battre les oreilles et qu'ils contribuent à creuser de part la chronicité de leur affection. Mais une étude un peu plus poussée ne pointerait-elle pas également le nombre de suicides grandissant semble-t-il de patients qui faute de place, simplement de lit, sont maintenus à l'extérieur par des équipes qui n'en peuvent plus de bricoler des solutions provisoires faute d'avoir les moyens (matériels mais aussi humains) de mettre en place de véritables " prises en soin ".
La psychiatrie dans la cité peut marcher si c'est un choix de tous, équipes, familles, patients, entourage, société civile, voisins, et se sera très difficile si c'est uniquement un choix budgétaire. Il ne faut pas se boucher les yeux. La psychiatrie hors les murs posent des questions fondamentales comme les limites de la tolérance d'une société face à une différence.
Ne connaissez
vous pas des maires, pétris de bons sentiments, refuser au nom de la collectivité, l'ouverture d'un appartement associatif, d'un hôtel thérapeutique voir même d'un C.M.P.
Des fins de non-recevoir, chaque psychiatre qui travaille dans la cité pourrait nous en raconter.
A travers cette fresque de la psychiatrie utopique et combattante, parfois romantique, Buin nous rappelle que l'hospitalocentrisme, contre lequel s'élevaient les héros de la sectorisation fait un retour spectaculaire par le rattachement de la psychiatrie à l'hôpital général. Cependant, on ne peut en rejeter la responsabilité sur les seuls gestionnaires. Des thérapeutes bien intentionnés, persuadés de lutter contre l'asile ont créé dans la cité de véritables forteresses psychiatriques que sont parfois " centres d'accuei l " ou " hôpitaux de jour ", prétendant détenir la vérité du soin, coupés de tout y compris parfois des autres pôles de leur propre secteur. Montrés du doigt pour leur coût et parfois leur redondance, passés à la coupe des PMSI et autres outils dont dispose le gestionnaire, ces asiles citadin doivent apprendre à se remettre en cause L'un des courants qui se dessine part d'un postulat qui semble tout nouveau : finalement, quelque soit la multiplicité de ces " unités fonctionnelles ", au centre de ce dispositif, c'est le patient que l'on retrouve. Il n'est plus alors question de sectoriser le milieu de vie du patient, mais bien de lui offrir une " constellation" de possibilités de rencontres, de soignants, dans des lieux différents qui peuvent l'accueillir à des moments de vie différents. Mais du coup, cette position d'accompagnement du patient citoyen au fil des étapes qu'il traverse, risque d'amener le soignant à interpeller la société qui le charge de garder le fou. Interrogation sur les valeurs de cette société, remise en cause de ses " normes " par ceux qui sont chargé de s'occuper des a-normaux, à qui une nouvelle fois on ne demande plus de soigner mais de garder. Même si garder aujourd'hui consiste non plus à enfermer derrière des murs mais à enfermer dans des aménagements éducatifs dans une illusoire réinsertion. Pour éviter tout risque de contagion d'une position qui porte en elle un germe de révolte, de revendication, la psychiatrie est sommée de s'installer dans le milieu aseptisé de l'hôpital général ou le gestionnaire l'espère, elle apprendra à remettre de l'ordre dans ses prises en charge et les patients dans des cases où l'on pourra plus facilement les évaluer.
Buin replace la psychiatrie face à certaines grandes questions que la société se pose et souvent lui pose notamment autour de la sexualité et de la délinquance sexuelle, de la famille, de la toxicomanie, de la violence. La psychiatrie comme le dit buin "ne doit pas s'accaparer la direction des affaires humaines"
Emmanuel Digonnet
@Marie Leyreloup