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Soigner sans s'épuiser


Lorraine BRISSETTE, Michelle ARCAND, Josiane BONNET

Gaëtan Morin Editeur



Soigner sans s'épuiser

Lorraine Brissette, Michelle Arcand, Josiane Bonnet

Gaëtan Morin Editeur



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Soigner sans s'épuiser

Il peut sembler curieux d'inclure la protection du personnel dans les principaux objectifs d'une structure. En effet nous avons l'habitude de considérer la structure de soins à travers sa mission première soit les soins et le bien-être des malades. Mais en soins infirmiers, une structure ne peut se préoccuper d'augmenter la quantité et la qualité des soins sans se préoccuper dans une même mesure de la santé énergétique de son personnel. Des soignants démoralisés et au bord de l'épuisement ne peuvent contribuer à la poursuite d'un objectif d'amélioration de la qualité des soins. Le soignant n'est-il pas le principal dispensateur de soins ? Dans le savoir être, comment peut-il se vivre, s'il est placé en position de dissonance cognitive quant à ses possibilités de prendre soin de sa santé dans son propre milieu de travail ?

Une structure qui veut prévenir l'épuisement de ses troupes doit réfléchir à ses modes de gestion de façon à développer la hardiesse du personnel et des équipes mais elle doit aussi mettre en place des activités de formation continue qui poursuit le même objectif. ….

Pour terminer, nous pouvons dire qu'une structure qui développe la hardiesse chez ses membres et dans ses équipes a adopté une philosophie et des modes de gestion qui imprègnent tous les niveaux hiérarchiques. Une structure hardie possède aussi une direction hardie qui démontre de l'autonomie et le sens du contrôle dans son propre contexte social, économique et politique. La direction hardie explore toutes les marges de manœuvre possible lui permettant de faire des choix à l'intérieur du cadre institutionnel où elle se situe. En ce sens, elle cherche à augmenter son pouvoir et son autonomie de façon à redonner ce pouvoir et cette autonomie aux équipes de travail et aux soignants. "

Il faudrait que ces lignes soient lues par tous les gestionnaires du soin (cadres-infirmiers supérieurs, infirmiers généraux, directeurs de Service de Soins infirmiers), par tous les gestionnaires hospitaliers.

Une fois n'est pas coutume, j'ai voulu commencer ma promenade critique par les dernières phrases du livre. Je les ai attendues tellement longtemps qu'il me paraît important de vous les livrer d'emblée. Non, ce livre n'est pas un outil pour les directions. Le burn-out (qui n'est pas exactement traduit par épuisement professionnel) n'est pas uniquement une pathologie individuelle, il renvoie également à l'organisation du travail et à la façon dont les équipes sont managées. " Face à des soignants qui travaillent dans des conditions de plus en plus difficiles, qui s'épuisent jusqu'à n'en plus pouvoir, n'y a-t-il pas une provocation des pouvoirs publics à prétendre développer une politique fondée sur l'amélioration de la qualité des soins, quand les préoccupations quotidiennes des décideurs, orientées prioritairement vers la maîtrise des dépenses de santé, portent atteinte en permanence à cette qualité ? "

Je connais bien Josiane Bonnet, je connais son énergie et son courage, je connais son humour, sa pugnacité. J'ai eu l'occasion d'intervenir aux côtés de Lorraine Brissette. J'ai apprécié la combattante, j'ai apprécié l'énergie qu'elle déployait à dénoncer les violences faites aux personnes âgées hospitalisées. J'ai apprécié sa clarté.

Toutes ces qualités se retrouvent dans cet ouvrage dont je ferais tout de même une lecture critique.

L'ouvrage débute par l'historique du concept de " burn-out " réalisé par Josiane Bonnet.

Le terme de burn-out apparaît en tant qu'entité clinique pour la première fois en 1974 dans les écrits de Herbert Freudenberger, psychanalyste américain. Ses premières observations concernent des soignants d'une clinique psychiatrique où lui-même travaillait. Pour parler de cet état particulier de détresse qu'il observe chez certains de ces soignants, il choisit d'utiliser l'expression " burn-out " qui signifie s'user, s'épuiser, brûler jusqu'au bout.

Je me suis rendu compte au cours de mon exercice quotidien que les gens sont parfois victimes d'incendies tout comme les immeubles. Sous l'effet de la tension produite par la vie de notre monde complexe, leurs ressources internes en viennent à se consumer comme sous l'action des flammes, ne laissant qu'un vide immense à l'intérieur même si l'enveloppe externe semble plus ou moins intacte. "

Christina Maslach définit en 1982 le burn-out comme " un syndrome d'épuisement physique et émotionnel, qui conduit au développement d'une image de soi inadéquate, d'attitudes négatives au travail avec perte d'intérêts et de sentiments pour les patients ".

Le syndrome s'articule autour de trois éléments :

Selon une enquête réalisée en France en 1992 auprès de 520 infirmières de deux grands hôpitaux de la région parisienne par Rodary et coll., une infirmière sur quatre présente un épuisement professionnel important sur le plan émotionnel auquel s'associe fréquemment un désinvestissement dans le travail auprès des malades. Je ne serais pas surpris que ce chiffre soit encore plus important en psychiatrie.

Estryn-Behar docteur en ergonomie tend à relier le phénomène aux conditions de travail qui génèrent des facteurs de stress trop importants. De son point de vue le burn-out n'est pas un état constitutionnel, mais il est acquis et doit trouver sa cause et ses remèdes dans la structure même de l'institution.

Les facteurs les plus significatifs dans ce domaine sont :

Les auteures ont choisi de ne pas mettre les hôpitaux à feu et à sang. Elles ont choisi une autre voie que la voie syndicale qui serait évidemment celle qui me paraît être la plus à même de permettre une évolution des conditions de travail; ce n'est malheureusement pas avec les 9 % d'infirmières syndiquées que ces conditions de travail se modifieront. Elles ont donc privilégié une démarche psycho-éducative qui met à contribution le corps, les émotions et la raison. Elles ont choisi de se centrer sur l'individu parce que tel est leur domaine d'expertise et parce que de nombreux travaux en sociologie du travail existaient. Elles ont décrit le parcours qui mènent à l'épuisement professionnel et le parcours qui permet de recouvrer son énergie. Elles s'appuient pour ce faire sur deux modèles théoriques : celui axé sur la communication et le modèle cognitif. De la théorie générale de la communication, elles retiennent trois approches : la thérapie familiale élaborée par Virginia Satir, la programmation neurolinguitique de J. Grinder et R. Bandler, et lanalyse transactionnelle d'E. Berne.

Ces différentes références permettent d'avancer dans un ouvrage écrit d'une manière simple et accessible. " Nous avons voulu avant tout rejoindre un public large et nous adresser au cœur de chacun sans prérequis de connaissances théoriques. Cet ouvrage s'articule sur l'expérience professionnelle des auteurs qui mènent depuis plusieurs années un travail de thérapie auprès de personnes épuisées mais aussi un travail de prévention en formation de personnel social et sanitaire. "

Les différents thèmes s'enchaînent les uns aux autres selon une suite bien définie. Chacun des thèmes développés constitue un préalable permettant d'intégrer d'une part, et de mettre en application d'autre part, les idées centrales du thème suivant.

Le potentiel énergétique, la motivation à s'investir en relation d'aide, la culpabilité et la responsabilité, les besoins, les choix, comment prendre soin de soi pour ne pas s'épuiser, le changement, les répercussions du changement dans la famille et l'équipe professionnelle, la négociation et le contrat avec l'entourage et dans le milieu professionnel constituent autant de jalons de cette réflexion.

Le pari est tenu. L'ouvrage est clair, chaque chapitre s'achève par un résumé. Les théories sont explicitées par des encadrés. Des exercices simples permettent au lecteur de faire le point sur lui-même.

Cette démarche pédagogique est-elle efficace ? Là est une des questions. La psychanalyse nous a montré qu'il ne suffisait pas de lire un ouvrage sur la psychanalyse pour mieux se comprendre. On ne voit que ce qu'on veut bien voir et on ne voit pas ce qui nous crève les yeux. J'ai tendance à penser qu'il en va de même pour le burn-out.

L'introduction des théories psychanalytiques me conduit à me demander si à force de vouloir être simple et clair, on ne finit pas par être simpliste. Les soignants qui sont des professionnels devraient maîtriser a minima les concepts psychanalytiques (notamment en psychiatrie). Les notions d'identification, de Sur-Moi, de Moi idéal et d'Idéal du Moi permettraient également de rendre compte de certains aspects du burn-out. Il est vrai que la formation infirmière est aujourd'hui un tel désastre que tout ce qui est théorique fait a priori mal à la tête.

Je ne sais pas quel est le meilleur choix : vulgariser (ce que l'ouvrage ne fait pas), utiliser des théories accessibles, facilement compréhensibles (même si ce ne sont pas les plus fines cliniquement), ou tenter de montrer la complexité des phénomènes (au risque de perdre de nombreux lecteurs). Les auteures sont pragmatiques. On ne saurait leur reprocher. Même si certains comme moi, resteront sur leur faim.

Quoi qu'il en soit, " Soigner sans s'épuiser " constitue un excellent ouvrage pour l'étudiant en soins infirmiers, pour l'infirmière qui travaille en soins généraux. Je considère même que le thème du burn-out devrait être abordé en formation initiale. Les enseignants trouveront ici de quoi accompagner leurs étudiants tout au long d'un cycle à inventer. Les cadres infirmiers pourront trouver des concepts pertinents qui leur permettront de repérer les signes de burn-out chez leurs collaborateurs et les orienter vers des démarches de recouvrement.

J'ai puisé dans l'ouvrage une idée que je trouve excellente. La dernière rencontre du groupe de thérapie s'achève sur la consigne suivante : " Trouvez deux objets symboliques, l'un représentera les deuils que vous avez faits au cours de ces rencontres et l'autre objet illustrera ce que vous avez acquis, pour vous-mêmes dans cette démarche. Les objets choisis devront illustrer soit une attitude, un comportement, une résolution ou un changement concret que vous avez réalisé ou qui est en voie de réalisation. " La description de cette dernière séance, des objets apportés et des commentaires des membres du groupe est un pur bonheur.

Dominique Friard.




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