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Introduction journée Serpsy 2015

 

« On the cadre again !! »

 

Bonjour à tous et bienvenu à cette cinquième journée organisée par Serpsy qui vous propose de réfléchir cette année sur la notion de cadre, comme un espace à habiter.

 

            J’ai eu la délicate tache d’introduire cette journée en reprenant des éléments théoriques qui permettent de définir la notion de cadre. Sauf qu’en réalité, lorsqu’il a fallut que je m’y attèle, ça n’est pas des éléments théoriques qui me sont venus mais une petite anecdote. J’étais à une soutenance de thèse, et entre deux coupes de champagnes et trois petits fours je discutais avec une amie psychologue avec qui j’ai fait mes études, sur des dispositifs de groupe que je mène avec des patients psychotiques particulièrement chroniques. Avec une légère excitation hypomaniaque (alcool oblige), je lui racontais tous les petits aménagements du cadre thérapeutique que j’avais mis en place. Après m’avoir patiemment écouté elle me dit avec un certain aplomb : « c’est marrant, en te connaissant, je ne t’imagine pas mener tes groupes autrement ». Forcée de constater qu’elle tapait juste : je ne me serais pas vu proposer un cadre de prise en charge psychothérapeutique qui ne me ressemble pas un minimum. Nous pourrions donc commencer cette journée en proposant ceci : dis moi quel est ton cadre et je te dirai qui tu es.

Sauf que cette formule est un peu vaste, car des cadres il y en aurait alors beaucoup : autant que de soignants pour les mettre en place, autant que d’approches ou de prises en charge thérapeutiques. De plus, je suis certaine que vous avez déjà entendu ou même employé les termes de « cadre interne », « cadre externe », ou encore « cadre thérapeutique », « cadre de soin » voir « cadres soignants »… trop de cadres tuent le cadre me direz-vous, effectivement on ne s’y retrouve plus ! Et il y a aussi des personnes qui l’incarnent officiellement : on les appelle « médecins », ou « cadre infirmier » (Sophie Sirere et Vanina Filippi pourront nous en parler), et d’autres qui peuvent l’incarner officieusement, c’est un glissement, Kaës appelle ça une fonction phorique… Bon, par quel bout peut-on prendre tout ça, un cadre c’est quoi, comment ça se définit ?

J’ai d’abord repris le bon vieux larousse A la page 265 de l’édition de 1948, entre les mots cadraturier - qui au passage définit un ouvrier horloger, rassurez-vous, je ne le savais pas non plus - et caduc - qui veut dire vieux - nous trouvons ce jolie mot « cadre » provenant du latin quadrum et signifiant carré. Il peut définir soit l’ensemble de bordures, soutiens, charpentes et autres chassis qui entourent un objet à exposer ou à tenir, soit l’ensemble des officiers et des gradés d’une troupe militaire. Mais il a aussi un autre sens. En tauromachie, le mot « cadre » renvoit à l’immobilisation de l’animal par un ensemble de passes avant de l’estoquer, c’est-à-dire lui donner le coup de grâce… Olé… Malgré l’apparente morbidité de la définition, peut être pouvons nous repérer ici que le mot cadre est avant tout un moyen pour atteindre un objectif, que se soit pour exposer ou tenir quelque chose, pour mener une bataille ou pour gagner un violent face à face : dans tous les cas il est question d’ordre et de maîtrise. Bref, le cadre s’inscrit donc toujours dans un certain mouvement et dans une certaine dualité : il se caractérise à la fois par ce qu’il est mais aussi parce qu’il permet de faire.

Ensuite je me suis un peu tournée du côté de nos ancêtres les psychanalystes.

Papy Winnicott, en 1956, parle de Setting pour définir la notion de cadre. Il entend par Setting l’ensemble de tous les détails concernant la conduite du thérapeute ainsi que de l’aménagement du dispositif (c’est-à-dire le nombre et la durée des séances, leurs coûts etc…). Le cadre permet alors la création d’une aire intermédiaire, un espace entre deux où patient et soignant vont pouvoir se rencontrer. Un espace où le patient va pouvoir se retrouver, voir dans certains cas se rassembler : Marie-Claude Prindel et Anne Séverine Delay y reviendront à travers leur expérience d’art-thérapeutes à l’hôpital.

Tonton Green a reconnu lui en 1995 que le cadre pouvait désigner pleins de choses, il parle alors de « condensation polysémique ». Il reconnaît aussi sa dualité. Le cadre se compose de deux parties, une partie dite matricielle formée par le couple thérapeute/ patient qui contient une partie dite écrin qui va être le lieu du transfert, en d’autres termes là où la rencontre va pouvoir être possible. Seulement, j’ai été assez surprise par l’absence de prise en compte du contexte dans lequel la partie couple thérapeute/patient va se créer. Ainsi pour détourner un peu la formule de Winnicott (car il faut bien faire quelque chose avec l’héritage familiale) : un cadre seul, ça n’existe pas. Il semble toujours et nécessairement se construire et s’instaurer dans une prise en charge spécifique, dans une institution, dans une dynamique d’équipe. Nous verrons cela cette après midi avec l’intervention de l’équipe de Brignoles sur l’aménagement d’un espace de soin au sein de la justice.

Et puis, dans mes recherches j’ai trouvé un vague cousin lointain, un certain José Bleger qui a proposé une analyse un peu particulière du cadre. Il le voit plutôt comme une institution, à l’intérieure de laquelle se produit un certain nombre de comportements. Ce cadre, on ne peut pas le percevoir, ou sauf lorsqu’il se modifie ou se casse, provoquant alors selon Fustier une « angoisse catastrophique ». L’expérience de Claire Laboucarie en tant qu’infirmière de nuit nous en donnera un exemple cette après-midi. C’est l’implicite dont dépend l’explicite, Bleger évoque alors pour le nommer les notions de « monde fantôme » ou de « méta-comportement ».  Le cadre se compose d’un certain nombre de constantes. Tout d’abords de repères spatio-temporels (c’est l’aménagement du dispositif de Winnicott, en l’occurrence dans la cure type le nombre et le temps des séances, leurs tarifs etc…) mais également d’une partie de la personnalité du patient et de son thérapeute (donc la on revient un peu à dis moi quel est ton cadre et je te dirai qui tu es).  Concrètement cela veut dire qu’il y a dans le cadre à la fois des éléments qui ont été consciemment pensé à l’avance et d’autres qui sont complètements inconscients et qui varient selon les rencontres et les personnalités de chacun (certains patients à qui l’ont va systématiquement serrer la main et d’autres non, sans vraiment savoir pourquoi et instinctivement par exemple).

Cette partie de la personnalité correspond selon notre lointain cousin à la partie la plus primitive, la plus régressée de notre personnalité celle qui fonctionne encore sur les modalités de la symbiose mère-bébé, l’arrière-grand-père Bion parlait en son temps de « partie psychotique de la personnalité ». C’est parce que le cadre accueille et se constitue partiellement de cette personnalité que le patient (psychotique ou non) va pouvoir explorer et permettre un développement différent de sa personnalité, de ce qu’il est, de son Moi.

Seulement, Bleger nous met en garde. Il arrive parfois que se fond devienne la forme elle-même du cadre, que les comportements deviennent ce méta-comportement, ou s’incarne là où était censé être le monde fantôme. Dans ce cas, le cadre devient une accoutumance, une addiction s’il n’est pas analysé (paiement symbolique avec un patient, payé avec des boîtes). Donc, pour suivre les prérogatives de notre cher cousin, et parce que nous sommes encore loin d’avoir fait le tour de la question du cadre, allez hop amis serpsyens et amies serpsyennes, en scelle pour cette journée, on the cadre again !