JOURNEE
SERPSY PACA – 6 Février 2015
« LE
CADRE, UN ESPACE A HABITER ? »
ACCUEILLIR
L’INATTENDU…
Marie-Claude Prinder &
Anne-Séverine Delaye
Il
était une fois l’univers…
Nous
pouvons percevoir une sensation vertigineuse d’infini, d’inaccessible profondeur
de l’immensité. Un univers parsemé d’étoiles, d’amas, de corps célestes, de
galaxies … de trous noirs.
Cet
infiniment grand, nous pouvons le contempler à partir d’une place : la
notre. Nous le contemplons avec nos yeux, les fenêtres de notre corps qui
projettent dans notre cerveau notre conscience une image si parfaite du monde
qui nous entoure. Si parfaite et si subjective … notre regard…
Aller
à la rencontre de l’autre ne peut s’envisager sans aller vers ce qui nous
constitue… C’est aller d’abord à la rencontre de soi. De notre fragilité –
notre histoire – nos côtés sombres et lumineux – notre propre cadre psychique –
nos propres fondations et y assumer peu à peu notre réalité globale :
notre moi corporel et psychique.
Ainsi,
après avoir envisagé notre cadre interne sommes-nous plus à même d’aller à la
rencontre de l’autre, de l’accueillir … Car, de l’autre côté de notre univers,
il y a l’horizon du monde de l’autre – l’univers de l’autre.
Maldiney
dit : « la réalité, ce à quoi nous ne nous attendons jamais »,
cet autre en souffrance, que nous recevons dans nos structures de soins, qui
est dans une angoisse existentielle quotidienne, un autre dont le monde est
effracté, dissocié, débordé.
Quel
cadre de soin en art-thérapie ? Comment parfois programmer
l’aléatoire ? Quel paradoxe n’est ce pas ?
Nous
travaillons sur des lieux différents et notre pratique d’art-thérapie nous est
propre.
L’art
est une terre fertile sur laquelle chacun peut se retrouver, avoir sa place où
exprimer le tout et son contraire, le singulier et l’universel. Avec l’art peut
s’aborder quelque chose de plus « primitif », de non symbolisable.
Nous
sommes artistes, soignantes et nous utilisons la peinture, la sculpture, la
musique, l’écriture, la vidéo etc …
Médier,
c’est « chercher à atteindre un accord », c’est aussi transmettre.
Mettre à disposition.
Notre
cadre de travail, notre pratique, c’est ce que nous souhaitons partager et
mettre en questions ici.
Il
y a une polémique autour du vocable art-thérapie, mettant
en contradiction l’art : expression hors norme et la thérapie qui serait
normative.
Hans
Prinzhorn, un des précurseurs de l’art-thérapie, reconnaît dans les productions
des patients, ce qu’il nomme un pouvoir de Gestaltung[1] :
de mise en forme originaire, sorte de poussée vitale vers l’expression.
Prinzhorn
s’est démarqué de soignants qui cherchaient dans les œuvres des malades
mentaux, des signes, des symptômes référés à la pathologie comme référencée
dans le DSM. Lui, s’est intéressé à la création des formes et à son processus.
L’importance
d’un cadre, d’un accueil, d’une rencontre, d’un espace, d’un temps délimité, de
matériaux proposés permettront de favoriser l’expression (idées,
représentations, émotions…), ce qui ne peut s’énoncer, la traduction d’un mal
être, d’une expression dans la prise en
compte du transfert dans le cadre d’un atelier individuel ou groupal.
Tout
cela en précisant que dans notre pratique, nous avons à rester extrêmement
prudents et toujours respectueux de l’expression de l’autre et des processus à
l’œuvre.
Une
thérapie pensée non comme une réadaptation mais comme un soutien, une mise en
œuvre de processus afin d’accompagner la personne à retrouver un mieux être
vers un équilibre qui lui correspond.
L’œuvre
va permettre la triangulation. Un partage possible qui va faire que l’on va
solliciter la personne non dans une position de patient, avec l’immobilité et la stigmatisation que ce terme peut
véhiculer, mais dans une position de sujet qui va s’exprimer, se reconnaître
par un style.
Ainsi,
une dimension essentielle du dispositif est
de pouvoir assurer à la personne accueillie un lieu où ses projections pourront
se déployer.
Pour
organiser cela, nous relevons différents cadres :
Notre
cadre interne : le cadre du thérapeute, nous l’avons vu, le cadre
théorique sur lequel nous nous appuyons, en tant qu’il peut faire référence,
bordant notre subjectivité à l’œuvre dans nos pratiques, incarnant en quelque
sorte un système de croyances commun avec lequel nous pouvons bricoler. Jean Oury en parlait comme
d’un « dispositif théorico-pratique à sa main ».
Notre
outil à nous, nous l’avons imaginé avec la création d’un Collectif : Le collectif des Art-thérapotes, réunissant
des professionnels de la santé, des artistes, des art-thérapeutes bien évidemment.
Un espace de rencontres où théorie et pratique s’envisagent, se questionnent,
s’inventent. Un lieu d’échanges : laboratoire de créations,
d’expérimentations, d’innovations. Avec la mise en place de supervisions et
d’analyse des pratiques.
Donc,
après cadre interne, cadre théorique, il y a : Le cadre institutionnel. Il
représente en quelque sorte, un port
d’attache : petit clin d’oeil aux interventions SERPSY, l’an dernier
sur le thème de l’équipe, un port
d’attache, où se joue différentes interactions des liens entre
l’institution et le groupe, entre les soignants et les soignés.
Il
précise la fonction et la place de chacun. Il permet le projet de soins
réfléchi, élaboré, interrogé en équipe.
René
Kaës qualifie cette articulation entre les différents cadres
« d’emboîtements des cadres ».
Ainsi,
l’institution met en œuvre un dispositif particulier pour assumer sa fonction,
avec ce que nous connaissons dans nos services : dans une dimension de
délimitation de temps, des espaces, la
mise en place de réunions institutionnelles…
Un
ensemble de règles, un « emboîtement de cadres » que nous avons
introjecté et qui nous permet ce petit
pas de côté dans la relation à l’autre, petit pas qui ouvre un espace,
celui du soin et de l’accueil dans le respect de la singularité de chacun.
(Anne-Séverine
Delaye) :
Je
travaille au Centre Hospitalier Valvert, en Sociothérapie et fais partie d’une
équipe composée de quatre infirmiers et infirmières, de deux ASH (Agent de
Service Hospitalier), d’un cadre infirmier, d’une cadre sup, et d’un médecin
chef de service. Et nous accueillons actuellement une stagiaire en
art-thérapie.
La
sociothérapie accueille les patients suivis dans les différentes unités de soin
au sein de la cafétéria et des différentes activités thérapeutiques.
C’est
un lieu d’échanges et de rencontres entre patients et soignants, entre les
patients eux-mêmes ; un lieu où les patients peuvent également recevoir la
visite de leur famille.
L’atelier
d’art-thérapie est un atelier de groupe ouvert. Il a lieu sur trois
demi-journées par semaine : le lundi après-midi – il s’agit d’un
atelier peinture, de libre expression, et le mercredi – où je propose
généralement un thème, une technique, un support sur lequel s’appuyer, qui va
changer environ chaque mois, avec l’idée de quelque chose de commun au groupe,
dont chacun pourra se servir pour s’exprimer à sa façon, en production
individuelle ou collective.
Lorsqu’on
entre dans l’atelier, le cadre est posé :
On
peut y voir de la couleur, des matières, de la lumière, un grand mur à peindre,
une palette en bois aux 18 couleurs, une grande table avec tout autour des
chaises, et puis des pinceaux, des crayons, différents outils disposés. A
l’entrée, des tabliers blancs, peinturlurés. Des livres d’arts, des classeurs
d’images. Au mur, différentes réalisations en peinture, dessin ou collage, et
sur les étagères des réalisations en modelage ou mosaïque. On peut y voir que
chacun est libre de s’exprimer, avec son style, sa façon d’être et de faire. On
peut y sentir des odeurs, ressentir une
ambiance… y entendre de la musique.
C’est
un lieu que je souhaite accueillant, vivant, apaisant.
Un
lieu où l’on peut passer, (juste pour dire
bonjour parfois), se poser… un petit temps ou tout le long de la séance.
Ce
peut être une pause dans la vie des patients, une rupture avec un temps
circulaire, un lieu où quelque chose de dynamique peut se passer et s’inscrire
dans un temps donné (ce qui s’est passé la dernière fois pourra se
poursuivre…et se transformer encore la fois d’après).
Les
patients se présentent directement à moi dans l’atelier, accompagné parfois
d’un soignant, d’un étudiant infirmier, ou alors d’un autre patient qui l’aura
invité à venir – mais le plus souvent les patients viennent d’eux-mêmes.
Ils
peuvent entrer par l’intérieur du bâtiment, en passant par la cafétéria, ou par
l’extérieur, par une porte vitrée donnant directement sur l’atelier.
Il
est important que chacun se sente accueilli
dans ce lieu – qu’il se sente en sécurité, en confiance, pour s’exprimer, que
ce soit par le langage verbal ou le langage artistique.
Il
s’agira, au sein de l’atelier de « rendre possible la possibilité »[2], que du jeu, du mouvement « s’inscrivent là où l’expérience psychotique se
présente comme une volonté que rien n’advienne »[3]. « Là où le délire
enferme le sujet en lui-même, l’isole,(…) la création artistique (va ouvrir) à
de nouveaux horizons »[4], à d’autres formes
d’expression, de communication et de relation.
Quelque
chose peut y être déposé. Les patients peuvent choisir d’emporter ou de laisser
leurs réalisations dans l’atelier. La plupart sont déposées là, et sont rangés
dans une chemise cartonnée, à l’intérieur d’une pochette à leurs noms.
Une
fois par an, est organisée une exposition des travaux réalisés en atelier, préparée
en amont avec les patients - ceux qui souhaitent y participer - avec un thème
décidé ensemble. Tous les patients, leur
famille éventuellement ainsi que le personnel soignant et administratif de
l’hôpital y sont conviés. Bien que ces expositions ne montrent que l’étape
finale d’un long processus créatif, j’ai pu remarquer, par des témoignages à
quel point ce moment pouvait être important et valorisant pour les patients qui
choisissent d’exposer, comme pour ceux qui viennent regarder, contempler…
Des
sorties exposition musées, souvent en visite guidée sont proposées aux patients
participant à l’atelier et à tout autre patient suivi en intra ou en
extra-hospitalier (sauf avis médical contraire). Elles permettent d’amener les
patients vers des espaces d’échanges culturels, à l’extérieur de l’hôpital, de
stimuler leur intérêt, leur curiosité, leur envie, de faire lien avec des
œuvres réalisées en atelier. Elles permettent aussi des échanges avec des
soignants des différentes unités de soin venus accompagner les patients.
L’art,
au service du soin va permettre de se rencontrer autrement… de rencontrer
l’autre, de se rencontrer soi-même.
J’ai
choisi de vous parler d’un moment de
l’atelier…
Un
lundi après-midi, jour de l’atelier peinture.
Un
jeune homme, que je ne connais pas entre. Il interpelle Paul, un autre monsieur
venu pour la première fois lui aussi dans l’atelier ce même jour et qui vient
de peindre un paysage, à son grand étonnement, lui qui n’avait pas peint,
m’avait-il confié depuis qu’il était enfant.
Le
jeune homme lui lance : « Hé ! Gepetto ! » Paul
rétorque : « Hé ! Pinocchio ! »
Je
me dis, sans nul doute, que ces deux-là se connaissent.
S’en
suit un échange autour de la peinture que Paul vient de réaliser. Karim y voit
un pélican, ou peut-être une cigogne, celle qui « emmène les
enfants ? »
Pour
Paul, il s’agit d’un canard !
Karim
semble peu confiant en ses capacités, et n’a pas l’habitude non plus de peindre
ou de dessiner. Mais il a l’envie, là, dans l’atelier, de montrer quelque chose
à Paul. Il me demande alors de l’aider et d’écrire à sa place parce qu’il est « sous medocs » et qu’il ne
peut pas y arriver.
J’entends
sa demande ; je vais tenter de
l’accompagner, d’être suffisamment présente à ses côtés et de lui proposer des
outils pour faciliter son geste, pour qu’il le fasse de lui-même.
Je
l’invite à utiliser des lettres tampons. Il se prend alors au jeu ; Il
dessine une pipe et écrit en dessous avec les lettres : « Ceci n’est
pas une pipe ». Je note que le dernier mot est finalement écrit à la main.
Il montre son dessin à Paul et lui précise que ce n’est pas une pipe mais le dessin d’une pipe !
C’est
alors qu’il remarque le mur à peindre
dans l’atelier, en affirmant que « c’est plus beau que n’importe quelle
œuvre » !
Ce
mur sert de support pour les participants à l’atelier qui peuvent y poser leur
feuille et peindre debout, face à une grande palette de couleurs en bois. Il
s’agit d’une installation Arno Stern qui est là depuis plusieurs années.
Comme
une grande fresque collective, il est composé d’une multitude de cadres de
différentes couleurs, plus ou moins de la même taille, superposés, enchevêtrés,
mêlés les uns aux autres. Résultats des « débordements », de la
couleur qui a dépassé de la feuille, de la peinture qui a coulé… autant de
traces déposées là par tous ceux qui s’y sont exprimés.
Ce
mur est souvent l’objet de beaucoup d’attention, de questionnements, il fait
lien dans la rencontre à l’autre. Et c’est une bonne entrée en matière !
Puisque c’est de ça dont il s’agit justement. Rencontrer l’autre par le médium
artistique, en l’occurrence ici, la peinture, la couleur…
J’invite
alors Karim à s’en inspirer, lui propose un outil, le rouleau… c’est lui qui
choisira les couleurs, et qui fera trace, d’abord un peu comme ça, de façon
spontanée, puis de façon plus choisie, en fonction des effets qu’il observe au
fur et à mesure sur sa feuille. Il fait monter puis descendre le rouleau,
s’arrêtant à chaque fois aux limites de la feuille, laissant apparaître un
tracé en zig-zag.
Il
me dira, au sujet de son tracé particulier, que ça lui fait penser, « aux
moments où (il) est en phase maniaque et
aux moments où (il) est en phase dépressive ».
Paul
observe ce que vient de réaliser Karim et lui en parle, lui faisant remarquer
les différentes traces.
Ensemble,
nous échangeons sur la façon d’utiliser l’espace de la feuille, son tracé, les
différents effets obtenus de la couleur, un aspect tantôt flou tantôt plus net,
plus marqué de sa peinture.
Par
la suite, il poursuivra son œuvre, la signera en choisissant de placer ses
initiales - avec les lettres tampons -
dans les espaces laissés libres. Il reviendra la semaine suivante avec l’envie
de l’afficher au mur, puis de fabriquer un cadre peint et décoré.
Malgré
ce qu’il nomme « ses impatiences », il laissera un moment sécher sa
peinture, puis choisira un peu plus tard d’y ajouter des pois d’une autre
couleur.
Après
un temps d’observation, il me dira une nouvelle fois que « c’est son humeur, dans les phases maniaques
et dépressives ».
Puis
il demandera à d’autres personnes ce qu’elles pensent de sa peinture. Un jeune
homme commentera alors ces nouveaux motifs apparus sur le cadre, les couleurs
utilisées… Ils parleront de ce vert, de ce bleu plus clair, autour de la
palette de bois aux dix-huit couleurs.
Il
laissera sa peinture affichée dans l’atelier… jusqu’à une – éventuelle-
prochaine fois.
(Marie-Claude
Prinder ) :
Je
travaille en CATTP au centre hospitalier Edouard Toulouse dans le service du Dr
Abrieu. Le CATTP est un des moyens du dispositif de santé mentale mis à la
disposition de la population dans le cadre de la sectorisation.
L’arrêté
du 14 mars 1986 stipule : « les professionnels proposent aux patients
des actions de soutien et de thérapeutique de groupe visant à favoriser une existence
autonome ».
Nous
avons encore la chance dans notre service, de travailler avec l’appui des
médecins car le projet de psychothérapie institutionnelle est le projet
d’accueil psychothérapeutique, psychanalytique de la psychose.
Cela
laisse un espace libre où peut s’inaugurer un travail de réflexion dans lequel
s’envisage le soin par les ateliers en majorité artistique.
J’ai
créé un atelier d’expressions chant/musique sur un centre socio culturel dans
un quartier de Marseille. Cet atelier chant/musique, je l’ai désiré ouvert pour
accueillir des personnes du quartier et des personnes en soins de différents
secteurs. On y travaille la voix, le timbre de la voix, l’intensité, les
modulations, les notes, les silences, les scansions.
La
musique, reposant sur un rythme qui fait écho au cœur qui bat, aux mouvements
de la respiration avec l’inspiration et l’expiration … faisant participer le corps.
La
musique, les chansons ont une certaine rigueur, un cadre, une limite dans
laquelle l’expression va cheminer, toujours bordée.
De l’espace musical extérieur à l’espace
musical intérieur, vient se structurer, s’organiser, le chaos psychique afin
qu’il puisse s’articuler et s’exprimer à l’extérieur sous une forme plus
apaisée.
Dominique
était l’incarnation au CATTP du hors cadre. Cela dit, le cadre, elle le faisait
constituer par son tourbillon psychique. Elle n’entrait pas au CATTP, elle
surgissait, elle faisait irruption dans l’espace de l’autre. Et penser une
prise en charge groupale avec elle relevait de la croyance mystique. Quelle
lecture pouvions nous faire de cette nécessité qui semblait être la sienne ou
par devant elle, d’occuper tout l’espace si ce n’était par son corps : en
effectuant des déplacements incessants dans la salle commune que par sa voix
qu’elle portait haute et puissante.
Comment
l’accompagner dans la dynamique des soins. Nous étions débordés :
soignants et soignés, épuisés par sa vitalité inépuisable. Son flot d’énergie.
Et
si nous étions débordés, elle, était submergée : elle éjectait ses mots
comme des objets pulsionnels, signaux aiguisés d’un délitement de son cadre
interne. Une «frontière» fluctuante entre son moi et le monde où les
évènements sociaux, politique l’affectaient directement. Elle ne pouvait
obtenir réparation de quelque chose d’irréparable. Elle décrivait un
environnement comme hors sens, un monde de chaos, sans justice. Elle tenait des
propos que l’on pourrait qualifier de racistes, mais qui révélaient surtout une
souffrance en relation à ses origines, le : « moi, je suis Française ! »
comme trait d’identification qu’elle tentait désespérément de faire consister.
Le monde était menaçant et elle se faisait menaçante.
Un
jour d’éclats de voix plus percutants que d’habitude, m’est venue l’idée qu’il
serait peut être envisageable d’entreprendre un atelier chant/musique en
individuel. Roussillon souligne la « différence entre le passage à l’acte
et le passage par l’acte comme actualisation permettant la
symbolisation. »
J’en
parlais à l’équipe qui considérait à ce moment là que soit : j’avais perdu
momentanément la raison, soit j’étais
telle mère Theresa ou encore Wonder Woman. Finalement, après avoir
réfléchi ensemble, on s’est dit qu’il était important de tenter quelque chose
et nous en avons parlé à son médecin psychiatre qui a donné le feu vert. J’ai
donc attendu le moment qui m’a semblé propice pour lui en faire la proposition
et lui donnait le rendez-vous : le jeudi après-midi de 14h 30 à 16 h.
Je
lui demandais de penser à une chanson qui lui plaisait et qu’elle souhaiterait interpréter.
La
chanson en question fut : « Parler à mon père » chantée par
Céline Dion. Et comme je cultive un amour immodéré non seulement pour ce style
de chansons mais aussi pour cette chanteuse, quelle n’était pas ma
joie !!! Justement !!! Je me suis sentie effectivement à ce moment là
comme étant l’incarnation même de mère
Theresa et Wonder Woman réunies
dans un même corps.
Nous
avons donc commencé l’atelier au sous sol. Non, non, il n’y a pas de rapport
avec le choix de la chanson…
Il
y avait quelque chose d’important dans ce déplacement : il faut
s’imaginer : c’est un couloir étroit, avec des escaliers assez raides qui
mène à une salle assez vaste et comme cette pièce est en grande partie sous
terre, des petites lucarnes en hauteur laissent passer du jour, mais il est
nécessaire d’avoir la lumière électrique. Donc, nous avons aussi, un éclairage
particulier. On change d’espace. On est ailleurs.
Nous
nous installons, pas tout à fait face à face, en laissant un champ possible au regard devant soi. Il y a un
micro, un ampli, un lecteur CD.
Nous
faisons des vocalises et entre celles-ci, Dominique parle de l’envahissement du
monde. Je peux observer son corps qui est tendu, j’ai l’impression d’un bloc,
d’une masse compacte. Nous avons écouté
la chanson, les paroles, puis elle commence à « chanter » ou grogner, je
ne saurais qualifier, mais c’était hors structure musicale.
Après
cette 1ère approche, j’ai «confectionné» l’atelier musique en
rapport à ce que j’avais pu relever : Une expérience commune dans un
espace partagé, la nécessaire
circulation entre sphères qui résonnent entre elles et qui sont
différentes : un ajustement corps / voix / monde intérieur / monde
extérieur.
Exister
dans une temporalité : le jeudi après-midi, s’inscrire dans un espace-temps
proposé, une inscription qui assure un avenir, une histoire, un passé, qui la
fait exister dans mon espace psychique à moi : elle est attendue.
Heidegger dit : « être, c’est être présent à… ».
L’espace
relationnel se construit et le lien s’établit. J’organise des déplacements dans
l’espace. Nous marchons, nous nous arrêtons, nous reprenons. Je tente d’amener
des scansions dans son agitation motrice habituelle. J’utilise des exercices de
CI GONG : il y a un positionnement particulier du corps. Nous sommes
debout, genoux légèrement repliés et pratiquons des petites percussions sur
chaque partie du corps : une réappropriation de sa forme, de ses limites
corporelles, de son enveloppe, son poids, sa tonicité. Le travail musculaire
permet une présence active de la personne. Elle nécessite une tension à être. A
se placer. A s’articuler à soi. L’investissement de cet espace crée une
projection imaginaire, crée du Sujet, de soi et de l’autre, peut se représenter comme schéma corporel.
Nous
nous asseyons et nous activons notre enveloppe vibratoire : nous émettons
des sons. De l’inarticulé. Des cris. Des bruits vocaux, gutturaux.
Puis,
dans un 2ème temps, nous nous ajustons dans un jeu sonore, écholalies,
imitations de sons, comme une identification à l’autre, un jeu de miroir. Puis,
vient un langage inarticulé mais avec une intention. Un dialogue désarticulé,
une conversation où tout peut se dire sans s’énoncer. Un langage pré-verbal
sans risque, qui invite à la création, au jeu, à évoquer quelque chose
d’informulable. Puis le langage va se structurer, d’abord par syllabes, il va
s’organiser, avec des notes dans une structure musicale. On va s’ajuster et se
séparer dans un jeu sonore commun. Puis, nous avons pu aborder la
chanson : « Parler à mon père » et la voix, la tonalité au fil
des séances se sont ajustées, se sont harmonisées.
Il
y a eu des rires et il y a eu des larmes. Et Il y a eu un moment, où Dominique
a raconté comment son père venait dans sa chambre la nuit quand elle était
enfant. Sa peur pour sa sœur. Elle a pu aussi en parler en entretien au CMP et
faire tout un travail avec son infirmière référente : rassembler les bouts
de son histoire familiale. Les organiser.
Elle
m’a dit : « Si on prenait une autre chanson ? Je ne veux plus
parler DE mon père ! ».
Le
maintien du cadre, l’organisation de la séance pose des limites qui peuvent
contenir, être « attaquées » sans risque de délitement du monde.
Garant d’une stabilité et d’une loi. Il permet d’envelopper les excitations et
de limiter les débordements pulsionnels, d’énoncer, de verbaliser, d’un lieu
retrouvé, d’une place en tant que Sujet. De développer ses capacités de
socialisation, de créer un Objet artistique et de se positionner comme
« apprenti artiste ». Après chaque atelier, nous rejoignions les autres :
nous faisions donc une ascension et partagions le gâteau fait par le groupe
pâtisserie!
L’art
et la culture comme facteurs de liens sociaux, nous le mettons en œuvre aussi
par l’organisation d’un festival : « Le théâtre Toursky et Lou Blaï
présentent : Toursky, les journées folles, entre folie artistique et
artistique folie ». L’équipe organiz’artistes (patients et soignants) se
propose de rassembler sur une même scène des artistes connus régionaux et
nationaux et des artistes dit handicapés ou exclus.
Il
est temps de conclure notre intervention qui était délimitée par un cadre
espace/temps Serpsyien ?
Serpsyssien ? Serpsynotre !
Nous
avons choisi d’introduire nos propos en musique : vous avez pu reconnaître
2001 Odyssée de l’espace.
2001,
une ère futuriste passée toujours présente. Une odyssée entre conscience,
raison, esprit, une traversée dans nos pratiques artistiques soignantes, un
voyage entre soi et les autres, les mondes intérieurs et extérieurs, un
au-delà : la création.
[1] Hans Prinzhorn, Expressions de la folie, dessins, peintures, sculptures d’asile. Connaissance de l’inconscient, Editions Gallimard, 1984.
[2] Salomon Resnik, Espace mental, Sept leçons à l’Université, Collection Des travaux et des Jours, Edition Erès, Toulouse, 1994, p.13.
[3] Ibid.
[4] Yves Bibrowski, La créativité, quelques repères historiques.