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JOURNEE SERPSY PACA – 6 Février 2015

 

« LE CADRE, UN ESPACE A HABITER ? »

 

ACCUEILLIR L’INATTENDU…

 

Marie-Claude Prinder & Anne-Séverine Delaye

 

 

Il était une fois l’univers…

 

Nous pouvons percevoir une sensation vertigineuse d’infini, d’inaccessible profondeur de l’immensité. Un univers parsemé d’étoiles, d’amas, de corps célestes, de galaxies … de trous noirs.

Cet infiniment grand, nous pouvons le contempler à partir d’une place : la notre. Nous le contemplons avec nos yeux, les fenêtres de notre corps qui projettent dans notre cerveau notre conscience une image si parfaite du monde qui nous entoure. Si parfaite et si subjective … notre regard…

 

Aller à la rencontre de l’autre ne peut s’envisager sans aller vers ce qui nous constitue… C’est aller d’abord à la rencontre de soi. De notre fragilité – notre histoire – nos côtés sombres et lumineux – notre propre cadre psychique – nos propres fondations et y assumer peu à peu notre réalité globale : notre moi corporel et psychique.

Ainsi, après avoir envisagé notre cadre interne sommes-nous plus à même d’aller à la rencontre de l’autre, de l’accueillir … Car, de l’autre côté de notre univers, il y a l’horizon du monde de l’autre – l’univers de l’autre.

Maldiney dit : « la réalité, ce à quoi nous ne nous attendons jamais », cet autre en souffrance, que nous recevons dans nos structures de soins, qui est dans une angoisse existentielle quotidienne, un autre dont le monde est effracté, dissocié, débordé.

 

Quel cadre de soin en art-thérapie ? Comment parfois programmer l’aléatoire ? Quel paradoxe n’est ce pas ?

 

Nous travaillons sur des lieux différents et notre pratique d’art-thérapie nous est propre.

 

L’art est une terre fertile sur laquelle chacun peut se retrouver, avoir sa place où exprimer le tout et son contraire, le singulier et l’universel. Avec l’art peut s’aborder quelque chose de plus « primitif », de non symbolisable.

Nous sommes artistes, soignantes et nous utilisons la peinture, la sculpture, la musique, l’écriture, la vidéo etc …

Médier, c’est « chercher à atteindre un accord », c’est aussi transmettre. Mettre à disposition.

Notre cadre de travail, notre pratique, c’est ce que nous souhaitons partager et mettre en questions ici.

 

Il y a une polémique autour du vocable art-thérapie, mettant en contradiction l’art : expression hors norme et la thérapie qui serait normative.

 

Hans Prinzhorn, un des précurseurs de l’art-thérapie, reconnaît dans les productions des patients, ce qu’il nomme un pouvoir de Gestaltung[1] : de mise en forme originaire, sorte de poussée vitale vers l’expression.

Prinzhorn s’est démarqué de soignants qui cherchaient dans les œuvres des malades mentaux, des signes, des symptômes référés à la pathologie comme référencée dans le DSM. Lui, s’est intéressé à la création des formes et à son processus.

L’importance d’un cadre, d’un accueil, d’une rencontre, d’un espace, d’un temps délimité, de matériaux proposés permettront de favoriser l’expression (idées, représentations, émotions…), ce qui ne peut s’énoncer, la traduction d’un mal être,  d’une expression dans la prise en compte du transfert dans le cadre d’un atelier individuel ou groupal.

Tout cela en précisant que dans notre pratique, nous avons à rester extrêmement prudents et toujours respectueux de l’expression de l’autre et des processus à l’œuvre.

 

Une thérapie pensée non comme une réadaptation mais comme un soutien, une mise en œuvre de processus afin d’accompagner la personne à retrouver un mieux être vers un équilibre qui lui correspond.

L’œuvre va permettre la triangulation. Un partage possible qui va faire que l’on va solliciter la personne non dans une position de patient, avec l’immobilité et la stigmatisation que ce terme peut véhiculer, mais dans une position de sujet qui va s’exprimer, se reconnaître par un style.

Ainsi, une dimension essentielle du dispositif est de pouvoir assurer à la personne accueillie un lieu où ses projections pourront se déployer. 

 

Pour organiser cela, nous relevons différents cadres :

 

Notre cadre interne : le cadre du thérapeute, nous l’avons vu, le cadre théorique sur lequel nous nous appuyons, en tant qu’il peut faire référence, bordant notre subjectivité à l’œuvre dans nos pratiques, incarnant en quelque sorte un système de croyances commun avec lequel nous pouvons bricoler. Jean Oury en parlait comme d’un « dispositif théorico-pratique à sa main ».

 

Notre outil à nous, nous l’avons imaginé avec la création d’un Collectif : Le collectif des Art-thérapotes, réunissant des professionnels de la santé, des artistes, des art-thérapeutes bien évidemment. Un espace de rencontres où théorie et pratique s’envisagent, se questionnent, s’inventent. Un lieu d’échanges : laboratoire de créations, d’expérimentations, d’innovations. Avec la mise en place de supervisions et d’analyse des pratiques.

Donc, après cadre interne, cadre théorique, il y a : Le cadre institutionnel. Il représente en quelque sorte, un port d’attache : petit clin d’oeil aux interventions SERPSY, l’an dernier sur le thème de l’équipe, un port d’attache, où se joue différentes interactions des liens entre l’institution et le groupe, entre les soignants et les soignés.

Il précise la fonction et la place de chacun. Il permet le projet de soins réfléchi, élaboré, interrogé en équipe.

René Kaës qualifie cette articulation entre les différents cadres « d’emboîtements des cadres ».

Ainsi, l’institution met en œuvre un dispositif particulier pour assumer sa fonction, avec ce que nous connaissons dans nos services : dans une dimension de délimitation de temps,  des espaces, la mise en place de réunions institutionnelles…

Un ensemble de règles, un « emboîtement de cadres » que nous avons introjecté et qui nous permet ce petit pas de côté dans la relation à l’autre, petit pas qui ouvre un espace, celui du soin et de l’accueil dans le respect de la singularité de chacun.

 

(Anne-Séverine Delaye) :

 

Je travaille au Centre Hospitalier Valvert, en Sociothérapie et fais partie d’une équipe composée de quatre infirmiers et infirmières, de deux ASH (Agent de Service Hospitalier), d’un cadre infirmier, d’une cadre sup, et d’un médecin chef de service. Et nous accueillons actuellement une stagiaire en art-thérapie.

La sociothérapie accueille les patients suivis dans les différentes unités de soin au sein de la cafétéria et des différentes activités thérapeutiques.

C’est un lieu d’échanges et de rencontres entre patients et soignants, entre les patients eux-mêmes ; un lieu où les patients peuvent également recevoir la visite de leur famille.

 

L’atelier d’art-thérapie est un atelier de groupe ouvert. Il a lieu sur trois demi-journées par semaine : le lundi après-midi – il s’agit d’un atelier peinture, de libre expression, et le mercredi – où je propose généralement un thème, une technique, un support sur lequel s’appuyer, qui va changer environ chaque mois, avec l’idée de quelque chose de commun au groupe, dont chacun pourra se servir pour s’exprimer à sa façon, en production individuelle ou collective.

 

Lorsqu’on entre dans l’atelier, le cadre est posé :

On peut y voir de la couleur, des matières, de la lumière, un grand mur à peindre, une palette en bois aux 18 couleurs, une grande table avec tout autour des chaises, et puis des pinceaux, des crayons, différents outils disposés. A l’entrée, des tabliers blancs, peinturlurés. Des livres d’arts, des classeurs d’images. Au mur, différentes réalisations en peinture, dessin ou collage, et sur les étagères des réalisations en modelage ou mosaïque. On peut y voir que chacun est libre de s’exprimer, avec son style, sa façon d’être et de faire. On peut y sentir des odeurs,  ressentir une ambiance… y entendre de la musique.

 

C’est un lieu que je souhaite accueillant, vivant, apaisant.

 

Un lieu où l’on peut passer, (juste pour dire bonjour parfois), se poser… un petit temps ou tout le long de la séance.

 

Ce peut être une pause dans la vie des patients, une rupture avec un temps circulaire, un lieu où quelque chose de dynamique peut se passer et s’inscrire dans un temps donné (ce qui s’est passé la dernière fois pourra se poursuivre…et se transformer encore la fois d’après). 

Les patients se présentent directement à moi dans l’atelier, accompagné parfois d’un soignant, d’un étudiant infirmier, ou alors d’un autre patient qui l’aura invité à venir – mais le plus souvent les patients viennent d’eux-mêmes.

Ils peuvent entrer par l’intérieur du bâtiment, en passant par la cafétéria, ou par l’extérieur, par une porte vitrée donnant directement sur l’atelier.

Il est important que chacun se sente accueilli dans ce lieu – qu’il se sente en sécurité, en confiance, pour s’exprimer, que ce soit par le langage verbal ou le langage artistique.

Il s’agira, au sein de l’atelier de « rendre possible la possibilité »[2], que du jeu, du mouvement « s’inscrivent là où l’expérience psychotique se présente comme une volonté que rien n’advienne »[3]. « Là où le délire enferme le sujet en lui-même, l’isole,(…) la création artistique (va ouvrir) à de nouveaux horizons »[4], à d’autres formes d’expression, de communication et de relation.

Quelque chose peut y être déposé. Les patients peuvent choisir d’emporter ou de laisser leurs réalisations dans l’atelier. La plupart sont déposées là, et sont rangés dans une chemise cartonnée, à l’intérieur d’une pochette à leurs noms.

 

Une fois par an, est organisée une exposition des travaux réalisés en atelier, préparée en amont avec les patients - ceux qui souhaitent y participer - avec un thème décidé ensemble.  Tous les patients, leur famille éventuellement ainsi que le personnel soignant et administratif de l’hôpital y sont conviés. Bien que ces expositions ne montrent que l’étape finale d’un long processus créatif, j’ai pu remarquer, par des témoignages à quel point ce moment pouvait être important et valorisant pour les patients qui choisissent d’exposer, comme pour ceux qui viennent regarder, contempler…

Des sorties exposition musées, souvent en visite guidée sont proposées aux patients participant à l’atelier et à tout autre patient suivi en intra ou en extra-hospitalier (sauf avis médical contraire). Elles permettent d’amener les patients vers des espaces d’échanges culturels, à l’extérieur de l’hôpital, de stimuler leur intérêt, leur curiosité, leur envie, de faire lien avec des œuvres réalisées en atelier. Elles permettent aussi des échanges avec des soignants des différentes unités de soin venus accompagner les patients.

 

L’art, au service du soin va permettre de se rencontrer autrement… de rencontrer l’autre, de se rencontrer soi-même.

 

J’ai choisi de vous parler d’un moment de l’atelier…

 

Un lundi après-midi, jour de l’atelier peinture.

Un jeune homme, que je ne connais pas entre. Il interpelle Paul, un autre monsieur venu pour la première fois lui aussi dans l’atelier ce même jour et qui vient de peindre un paysage, à son grand étonnement, lui qui n’avait pas peint, m’avait-il confié depuis qu’il était enfant.

Le jeune homme lui lance : « Hé ! Gepetto ! » Paul rétorque : « Hé ! Pinocchio ! »

Je me dis, sans nul doute, que ces deux-là se connaissent.

S’en suit un échange autour de la peinture que Paul vient de réaliser. Karim y voit un pélican, ou peut-être une cigogne, celle qui « emmène les enfants ? »

Pour Paul, il s’agit d’un canard !

Karim semble peu confiant en ses capacités, et n’a pas l’habitude non plus de peindre ou de dessiner. Mais il a l’envie, là, dans l’atelier, de montrer quelque chose à Paul. Il me demande alors de l’aider et d’écrire à sa place parce qu’il est « sous medocs » et qu’il ne peut pas y arriver.

J’entends sa demande ;  je vais tenter de l’accompagner, d’être suffisamment présente à ses côtés et de lui proposer des outils pour faciliter son geste, pour qu’il le fasse de lui-même.

Je l’invite à utiliser des lettres tampons. Il se prend alors au jeu ; Il dessine une pipe et écrit en dessous avec les lettres : « Ceci n’est pas une pipe ». Je note que le dernier mot est finalement écrit à la main. Il montre son dessin à Paul et lui précise que ce n’est pas une pipe mais le dessin d’une pipe !

 

C’est alors qu’il remarque le mur à peindre dans l’atelier, en affirmant que « c’est plus beau que n’importe quelle œuvre » ! 

Ce mur sert de support pour les participants à l’atelier qui peuvent y poser leur feuille et peindre debout, face à une grande palette de couleurs en bois. Il s’agit d’une installation Arno Stern qui est là depuis plusieurs années.

Comme une grande fresque collective, il est composé d’une multitude de cadres de différentes couleurs, plus ou moins de la même taille, superposés, enchevêtrés, mêlés les uns aux autres. Résultats des « débordements », de la couleur qui a dépassé de la feuille, de la peinture qui a coulé… autant de traces déposées là par tous ceux qui s’y sont exprimés.

Ce mur est souvent l’objet de beaucoup d’attention, de questionnements, il fait lien dans la rencontre à l’autre. Et c’est une bonne entrée en matière ! Puisque c’est de ça dont il s’agit justement. Rencontrer l’autre par le médium artistique, en l’occurrence ici, la peinture, la couleur…

 

J’invite alors Karim à s’en inspirer, lui propose un outil, le rouleau… c’est lui qui choisira les couleurs, et qui fera trace, d’abord un peu comme ça, de façon spontanée, puis de façon plus choisie, en fonction des effets qu’il observe au fur et à mesure sur sa feuille. Il fait monter puis descendre le rouleau, s’arrêtant à chaque fois aux limites de la feuille, laissant apparaître un tracé en zig-zag.

Il me dira, au sujet de son tracé particulier, que ça lui fait penser, « aux moments où (il) est en  phase maniaque et aux moments où (il) est en phase dépressive ».

Paul observe ce que vient de réaliser Karim et lui en parle, lui faisant remarquer les différentes traces.

Ensemble, nous échangeons sur la façon d’utiliser l’espace de la feuille, son tracé, les différents effets obtenus de la couleur, un aspect tantôt flou tantôt plus net, plus marqué de sa peinture.

Par la suite, il poursuivra son œuvre, la signera en choisissant de placer ses initiales - avec les  lettres tampons - dans les espaces laissés libres. Il reviendra la semaine suivante avec l’envie de l’afficher au mur, puis de fabriquer un cadre peint et décoré.

Malgré ce qu’il nomme « ses impatiences », il laissera un moment sécher sa peinture, puis choisira un peu plus tard d’y ajouter des pois d’une autre couleur.

Après un temps d’observation, il me dira une nouvelle fois que « c’est son humeur, dans les phases maniaques et dépressives ».

Puis il demandera à d’autres personnes ce qu’elles pensent de sa peinture. Un jeune homme commentera alors ces nouveaux motifs apparus sur le cadre, les couleurs utilisées… Ils parleront de ce vert, de ce bleu plus clair, autour de la palette de bois aux dix-huit couleurs.

Il laissera sa peinture affichée dans l’atelier… jusqu’à une – éventuelle- prochaine fois.

 

 

(Marie-Claude Prinder ) :

 

Je travaille en CATTP au centre hospitalier Edouard Toulouse dans le service du Dr Abrieu. Le CATTP est un des moyens du dispositif de santé mentale mis à la disposition de la population dans le cadre de la sectorisation.

L’arrêté du 14 mars 1986 stipule : « les professionnels proposent aux patients des actions de soutien et de thérapeutique de groupe visant à favoriser une existence autonome ».

Nous avons encore la chance dans notre service, de travailler avec l’appui des médecins car le projet de psychothérapie institutionnelle est le projet d’accueil psychothérapeutique, psychanalytique de la psychose.

Cela laisse un espace libre où peut s’inaugurer un travail de réflexion dans lequel s’envisage le soin par les ateliers en majorité artistique.

J’ai créé un atelier d’expressions chant/musique sur un centre socio culturel dans un quartier de Marseille. Cet atelier chant/musique, je l’ai désiré ouvert pour accueillir des personnes du quartier et des personnes en soins de différents secteurs. On y travaille la voix, le timbre de la voix, l’intensité, les modulations, les notes, les silences, les scansions.

La musique, reposant sur un rythme qui fait écho au cœur qui bat, aux mouvements de la respiration avec l’inspiration et l’expiration  … faisant participer le corps.

La musique, les chansons ont une certaine rigueur, un cadre, une limite dans laquelle l’expression va cheminer, toujours bordée.

 De l’espace musical extérieur à l’espace musical intérieur, vient se structurer, s’organiser, le chaos psychique afin qu’il puisse s’articuler et s’exprimer à l’extérieur sous une forme plus apaisée.

 

Dominique était l’incarnation au CATTP du hors cadre. Cela dit, le cadre, elle le faisait constituer par son tourbillon psychique. Elle n’entrait pas au CATTP, elle surgissait, elle faisait irruption dans l’espace de l’autre. Et penser une prise en charge groupale avec elle relevait de la croyance mystique. Quelle lecture pouvions nous faire de cette nécessité qui semblait être la sienne ou par devant elle, d’occuper tout l’espace si ce n’était par son corps : en effectuant des déplacements incessants dans la salle commune que par sa voix qu’elle portait haute et puissante.

Comment l’accompagner dans la dynamique des soins. Nous étions débordés : soignants et soignés, épuisés par sa vitalité inépuisable. Son flot d’énergie.

Et si nous étions débordés, elle, était submergée : elle éjectait ses mots comme des objets pulsionnels, signaux aiguisés d’un délitement de son cadre interne. Une «frontière» fluctuante entre son moi et le monde où les évènements sociaux, politique l’affectaient directement. Elle ne pouvait obtenir réparation de quelque chose d’irréparable. Elle décrivait un environnement comme hors sens, un monde de chaos, sans justice. Elle tenait des propos que l’on pourrait qualifier de racistes, mais qui révélaient surtout une souffrance en relation à ses origines, le : « moi, je suis Française ! » comme trait d’identification qu’elle tentait désespérément de faire consister. Le monde était menaçant et elle se faisait menaçante.

Un jour d’éclats de voix plus percutants que d’habitude, m’est venue l’idée qu’il serait peut être envisageable d’entreprendre un atelier chant/musique en individuel. Roussillon souligne la « différence entre le passage à l’acte et le passage par l’acte comme actualisation permettant la symbolisation. »

J’en parlais à l’équipe qui considérait à ce moment là que soit : j’avais perdu momentanément la raison,  soit j’étais telle mère Theresa ou encore Wonder Woman. Finalement, après avoir réfléchi ensemble, on s’est dit qu’il était important de tenter quelque chose et nous en avons parlé à son médecin psychiatre qui a donné le feu vert. J’ai donc attendu le moment qui m’a semblé propice pour lui en faire la proposition et lui donnait le rendez-vous : le jeudi après-midi de 14h 30 à 16 h.

Je lui demandais de penser à une chanson qui lui plaisait et qu’elle  souhaiterait interpréter.

La chanson en question fut : « Parler à mon père » chantée par Céline Dion. Et comme je cultive un amour immodéré non seulement pour ce style de chansons mais aussi pour cette chanteuse, quelle n’était pas ma joie !!! Justement !!! Je me suis sentie effectivement à ce moment là comme étant l’incarnation même de mère Theresa et Wonder Woman réunies dans un même corps.

Nous avons donc commencé l’atelier au sous sol. Non, non, il n’y a pas de rapport avec le choix de la chanson…

Il y avait quelque chose d’important dans ce déplacement : il faut s’imaginer : c’est un couloir étroit, avec des escaliers assez raides qui mène à une salle assez vaste et comme cette pièce est en grande partie sous terre, des petites lucarnes en hauteur laissent passer du jour, mais il est nécessaire d’avoir la lumière électrique. Donc, nous avons aussi, un éclairage particulier. On change d’espace. On est ailleurs.

Nous nous installons, pas tout à fait face à face, en laissant un champ  possible au regard devant soi. Il y a un micro, un ampli, un lecteur CD.

Nous faisons des vocalises et entre celles-ci, Dominique parle de l’envahissement du monde. Je peux observer son corps qui est tendu, j’ai l’impression d’un bloc, d’une masse  compacte. Nous avons écouté la chanson, les paroles, puis elle commence à « chanter » ou grogner, je ne saurais qualifier, mais c’était hors structure musicale.

Après cette 1ère approche, j’ai «confectionné» l’atelier musique en rapport à ce que j’avais pu relever : Une expérience commune dans un espace partagé,  la nécessaire circulation entre sphères qui résonnent entre elles et qui sont différentes : un ajustement corps / voix / monde intérieur / monde extérieur.

Exister dans une temporalité : le jeudi après-midi, s’inscrire dans un espace-temps proposé, une inscription qui assure un avenir, une histoire, un passé, qui la fait exister dans mon espace psychique à moi : elle est attendue. Heidegger dit : « être, c’est être présent à… ».

L’espace relationnel se construit et le lien s’établit. J’organise des déplacements dans l’espace. Nous marchons, nous nous arrêtons, nous reprenons. Je tente d’amener des scansions dans son agitation motrice habituelle. J’utilise des exercices de CI GONG : il y a un positionnement particulier du corps. Nous sommes debout, genoux légèrement repliés et pratiquons des petites percussions sur chaque partie du corps : une réappropriation de sa forme, de ses limites corporelles, de son enveloppe, son poids, sa tonicité. Le travail musculaire permet une présence active de la personne. Elle nécessite une tension à être. A se placer. A s’articuler à soi. L’investissement de cet espace crée une projection imaginaire, crée du Sujet, de soi et de l’autre,  peut se représenter comme schéma corporel.

Nous nous asseyons et nous activons notre enveloppe vibratoire : nous émettons des sons. De l’inarticulé. Des cris. Des bruits vocaux, gutturaux.

Puis, dans un 2ème temps, nous nous ajustons dans un jeu sonore, écholalies, imitations de sons, comme une identification à l’autre, un jeu de miroir. Puis, vient un langage inarticulé mais avec une intention. Un dialogue désarticulé, une conversation où tout peut se dire sans s’énoncer. Un langage pré-verbal sans risque, qui invite à la création, au jeu, à évoquer quelque chose d’informulable. Puis le langage va se structurer, d’abord par syllabes, il va s’organiser, avec des notes dans une structure musicale. On va s’ajuster et se séparer dans un jeu sonore commun. Puis, nous avons pu aborder la chanson : « Parler à mon père » et la voix, la tonalité au fil des séances se sont ajustées, se sont harmonisées.

Il y a eu des rires et il y a eu des larmes. Et Il y a eu un moment, où Dominique a raconté comment son père venait dans sa chambre la nuit quand elle était enfant. Sa peur pour sa sœur. Elle a pu aussi en parler en entretien au CMP et faire tout un travail avec son infirmière référente : rassembler les bouts de son histoire familiale. Les organiser.

Elle m’a dit : « Si on prenait une autre chanson ? Je ne veux plus parler DE mon père ! ». 

Le maintien du cadre, l’organisation de la séance pose des limites qui peuvent contenir, être « attaquées » sans risque de délitement du monde. Garant d’une stabilité et d’une loi. Il permet d’envelopper les excitations et de limiter les débordements pulsionnels, d’énoncer, de verbaliser, d’un lieu retrouvé, d’une place en tant que Sujet. De développer ses capacités de socialisation, de créer un Objet artistique et de se positionner comme « apprenti artiste ». Après chaque atelier, nous rejoignions les autres : nous faisions donc une ascension et partagions le gâteau fait par le groupe pâtisserie!

 

L’art et la culture comme facteurs de liens sociaux, nous le mettons en œuvre aussi par l’organisation d’un festival : « Le théâtre Toursky et Lou Blaï présentent : Toursky, les journées folles, entre folie artistique et artistique folie ». L’équipe organiz’artistes (patients et soignants) se propose de rassembler sur une même scène des artistes connus régionaux et nationaux et des artistes dit handicapés ou exclus.

 

Il est temps de conclure notre intervention qui était délimitée par un cadre espace/temps Serpsyien ?  Serpsyssien ? Serpsynotre !

Nous avons choisi d’introduire nos propos en musique : vous avez pu reconnaître 2001 Odyssée de l’espace.

2001, une ère futuriste passée toujours présente. Une odyssée entre conscience, raison, esprit, une traversée dans nos pratiques artistiques soignantes, un voyage entre soi et les autres, les mondes intérieurs et extérieurs, un au-delà : la création.



[1] Hans Prinzhorn, Expressions de la folie, dessins, peintures, sculptures d’asile. Connaissance de l’inconscient, Editions Gallimard, 1984.

[2] Salomon Resnik, Espace mental, Sept leçons à l’Université, Collection Des travaux et des Jours, Edition Erès, Toulouse, 1994, p.13.

[3] Ibid.

[4] Yves Bibrowski, La créativité, quelques repères historiques.