Du bout du bout du balai …
Je suis arrivée à Marchant en 1996. Au
début, j’avais des contrats à durée déterminée d’ASH et je tournais dans différents services. Trois ans plus tard, j’ai été affectée au SAU
de l’Hôpital (puis au SIAP et aujourd’hui à l’UH à Dédé). Là, ça a été
extraordinaire. C’est là que j’ai vraiment appris puis choisi mon métier
d’ASH. Si à mon arrivée en psychiatrie j’ai eu la trouille à cause de mon
manque de connaissances théoriques en psychiatrie, j’ai appris aujourd’hui
plein de connaissances pratiques et humaines et découvert plein de facettes de
mon métier grâce aux différentes équipes avec lesquelles j’ai travaillé.
« Une œuvre collective »
Ce qui me plaît dans mon métier, c’est
que je participe à un « truc » collectif. Marie, qui est une intello,
elle dit que je participe à une « œuvre collective ». Ca me fait un
peu drôle dit comme ça, mais au fond, c’est ça. En tous cas, j’ai toujours pris
ma place dans les équipes avec lesquelles j’ai travaillé et elles m’ont toujours
laissé la prendre. Du bout de mon balai, je participe moi aussi à ma façon, à
la guérison peut-être pas, mais au moins au mieux être des patients. Que ce
soit directement en prenant soin de leur environnement ou indirectement, en
facilitant le travail de mes collègues infirmiers.
A ce propos, une de mes collègues ASH,
une ancienne, me répétait souvent : « Sadia, pourquoi tu te prends
la tête ?! Y’a des têtes pensantes qui ont un diplôme pour s’occuper des
patients. Toi, t’es qu’une cantonnière. T’es là pour charbonner ! ».
Je n’ai jamais pu penser que mon rôle se limitait à « faire le
ménage », comme je n’ai jamais pu penser que je ne faisais pas partie
d’une équipe.
Créer une ambiance
Je suis au travail comme je suis dans
la vie : j’aime créer autour des gens une ambiance, un décor. Chez moi,
j’aime sentir quand les gens arrivent, qu’ils se sentent bien. Dans le service
c’est la même chose. Ce n’est déjà pas drôle pour eux d’arriver à l’hôpital,
alors j’ai envie qu’ils se sentent attendus, qu’ils se sentent pris en
considération. Je ne suis pas certaine qu’ils le voient ce que je fais pour
créer cette ambiance, parce que pour le coup, c’est vraiment des « tous
petits rien du tout ». Mais si ça ne se voit pas, je me dis que peut-être
ça se sent … A l’UHCD, les ASH prennent
en charge toute l’intendance de l’unité à la différence d’autres unités où nous
la partageons avec les Aides-Soignants. Mon travail c’est de faire en sorte
qu’il ne manque rien à personne. Je m’assure qu’il y ait du papier au WC, des
essuies mains aux vestiaires, du sirop et du café pour le goûter, les régimes
spéciaux pour chacun … Des tas de petits riens que personne ne voit pas mais
qui grippent la machine s’ils n’y sont pas. Marie me dit que je fais la « maîtresse
de maison » et c’est vrai. J’essaie de penser aux petits détails qui font
que les patients de passage comme mes collègues se sentent entourés, respectés
et qu’ils puissent se centrer sur l’essentiel.
Observation - Transmission
Nous, les ASH, on est toujours un peu
dans les coulisses et un peu sur la scène (si la scène c’est les soins). Les
coulisses du service mais aussi dans les coulisses des patients. A l’heure où je passe mon balai, les chambres
et les couloirs sont désertés par les soignants (ils sont pris par les entretiens
médicaux, la préparation des médicaments …). Donc, je suis seule avec les
patients et je participe à l’envers du décor : M Leclerc a dormi sur son
lit pas défait, Johan a mis le souk dans sa chambre, Philippe s’inquiète de
savoir s’il va avoir sa permission, Nora se demande si elle est assez belle
pour Thierry, son fiancé… Du bout de mon balai, j’écoute, j’observe et je
rassure. Pendant que je nettoie leur salle de bains, certains patients me
disent des trucs qu’ils n’osent pas ou ne pensent pas dire aux infirmiers ou
aux médecins. Sans compter que comme je parle l’arabe je comprends ce que
raconte Karim quand il parle tout seul ou que Khaled parle au téléphone à sa
mère. Sans compter les fois où je sers d’interprète aux infirmiers ou aux
médecins quand certains patients ne parlent pas ou mal le français.
Nous, les ASH, on est toujours dans
des entre-deux, que ce soit géographiquement (entre les chambres et les salles
de soin) ou que ce soit « humainement » entre les patients et les
soignants. Marie, elle, elle le dit autrement : elle dit que nous avons
une fonction de « veilleur » mais aussi de « passeurs ». Un
peu comme les aides-soignants puisqu’à
eux aussi, les patients vont dire des trucs qu’ils ne diront pas aux
infirmiers, tout comme ils diront aux infirmiers des trucs qu’ils ne diraient
pas aux médecins … En fait, chacun à nos places, on est un peu veilleur et un
peu passeur…
Questionnement
Du bout de mon balai, comme je n’ai
pas les connaissances, je me pose aussi beaucoup de questions et du coup, j’en
pose beaucoup à mes collègues. Lorsque j’étais à Maupassant, quand Nora allait
mal, elle était mise en chambre d’isolement. Les soignants allaient et venaient
dans la chambre pour la calmer. A chaque fois qu’ils la quittaient, je l’entendais
qui continuait de crier. Je n’étais pas la seule. Thierry, son fiancé, dont la
chambre était contiguë, l’entendait aussi. Personne n’avait pensé qu’il pouvait
avoir du mal à supporter que son amie aille mal. Je remarquais que ces matins là, il fuyait le
service. A peine douché il sortait et restait le plus loin possible jusqu’au
soir. J’en ai parlé à mes collègues qui effectivement n’y avaient pas pensé. Du
coup, ça s’est discuté en réunion d’équipe avec les médecins et ça a été repris
en entretien avec Thierry. C’est une petite histoire mais il y en a eu d’autres
où les questions que je pouvais me poser ou les réflexions que je pouvais me
faire ont participées à re-orienter la prise en charge de tel ou tel patient.
Conclusion
J’ai essayé de passer le concours d’entrée
à l’Ecole d’Aides Soignants plusieurs fois mais je n’ai pas réussi. Ca reste
aujourd’hui encore une grande déception pour moi. Cela dit, j’ai une grande
satisfaction, celle de faire partie d’un corps de métier, celui des équipes de
soin. Je me sens un maillon de la chaîne. Et à ce titre, je tiens à dédier mon
intervention à mes collègues.
Et je me dis aussi que
« diplômée » ou pas, du bout du bout de mon balai, rien ne m’empêche
de me soucier de ces gens qu’on appelle des « fous ». Rien ne
m’empêche de prendre soin d’eux, de leur confort, de les écouter avec une
oreille aussi attentive que mes collègues infirmiers et aides-soignants. Rien
ne m’empêche de transmettre (et de vous transmettre) mon « savoir ». Rien ne m’empêche
donc d’exercer mon métier avec passion.
Sadia Rabia
Le 14 novembre
2008