Comme
une scie découpant l’atmosphère je me souviens de la voix de Chantal, de cet
instant où elle nous fit la leçon, le récit de sa vie. Une histoire à remettre les pendules à l’heure,
celles des soignants, celle des soignés, nous rappelant que pour être
thérapeutique il est important de respecter le tact.
Tremblotante
de vérité, je me souviens de la voix de Chantal, consciente toujours et ses
yeux le précisaient, de la portée, de l’importance des mots livrés.
Des
mots rythmés par les saccades d’une douleur qui aura décidé de s’amplifier
jusqu’à l’insuportabilité, jusqu’à certainement, inexorablement, ses derniers
temps.
Des
mots simples, militants, comme celui que son timbre magnifiait et qui la symbolise tant.
A
chaque fois que je l’entends ou le prononce, je pense à elle.
Précieux,
un mot nous rappelant que tout ce qui brille n’est pas or.
Plus
qu'un dicton, un slogan nous invitant à mieux regarder autour de nous.
Dehors,
dedans, soulevons les paillassons, balayons les idées reçues, combattons la
transparence avant de nous apercevoir que nous avons perdu par négligence notre
bien le plus précieux autrement dit le plus précieux du bien, un ensemble, un
assemblage de petits riens qui les uns au bout des autres constituent le soin.
Précieux,
un mot nous rappelant que tout ce qui brille n’est pas or.
Plus
qu’un dicton, un slogan comme valorisation de
l’activité psychiatrique demandée par notre technocratie :
Vé A
Pé ou VAP !Valorisons notre activité psychiatrique.
VAP !
Vaporisons de notre art ce qui est le plus précieux.
VAP !
Acceptons l’idée d’être dans les VAP !
VAP !
Une légèreté indispensable à la
compréhension de soi.
VAP !
Une légèreté indispensable à la
valorisation du soin.
VAP !
Une légèreté indispensable à l’automatisation de l’écriture.
Grâce
à SERPSY on peut écrire et c'est déjà bien. Ou comment cette petite phrase
affirmative est venue me sauver le jour où en panne d’inspiration je me
décidais enfin à écrire pour ne rien dire, ou plus exactement préparer
l’intervention d’aujourd’hui traitant non pas de rien quelle
réduction ? ! Mais des petits riens dans toute leur grandeur.
Grâce
à SERPSY on peut écrire et c'est déjà bien. Une phrase étape entre fin et
début. Fin d’errances délétères sur notre forum invitant au début, à l’espoir,
à la découverte d’esprits se voulant plus construit, plus urbain et donc plus à
même à développer les discussions au lieu de les détruire.
Grâce
à SERPSY on peut écrire et c'est déjà bien. Une phrase adoucissant
SERPSY, au-delà d’une
association, c’est un site Internet qui en son sein a un cœur qui bat, un truc
qui fait boum boum boum. Un forum, le forum qui si on cherche à l’ouvrir
aujourd’hui renvoie au message suivant :
« La page est introuvable.
Il est possible que la page recherchée ait été supprimée, que son nom ait
changé ou qu'elle ne soit pas disponible pour le moment. »
Supprimée ?
Pas encore. Renommée ? Pourquoi pas? Indisponible pour le moment ?
C’est et nous sommes plusieurs à l’espérer, vraisemblablement le cas.
Pas
encore tournée donc, la page est en suspend. Espace d’échange le forum devenait
terrain de duel, sauf cette phrase lui prêtant avenir.
Grâce
à SERPSY on peut écrire et c'est déjà bien. Quelques mots laissés là sur le forum comme un château de sable sur
la plage.
Ne
le répétez pas, c’est un secret. Les châteaux de sable ne sont pas éphémères,
la marée les adopte au zénith pour loger les sirènes. Tout ce qui a été construit l’est
pour l’éternité, nos sœurs les étoiles sont là et témoignent. Elles éclairent
notre doute naissant avec la nuit, elles se moquent de l’ennui.
Grâce
à SERPSY on peut écrire et c'est déjà bien. Quelques mots laissés là sur le forum à l’origine des quelques
autres qui vont suivre.
Rien,
non rien de rien va falloir que je vous parle de rien. En vérité va falloir que
je vous parle de tout et de rien. Des petits riens qui font que tout est grand.
Rien,
rien, rien va falloir que je vous parle de ce que savent le mieux faire les
psys.
Au
travers du parcours patient de quelques
textes d’histoire-géo répondant au passage et en partie à la question : « Dis-moi papa c’était comment le
secteur ? »
Psygoodies
Vous
les psys vous en connaissez un rayon pour
couper les cheveux en quatre.
Et
ça cause et ça pause, souvent pour ne pas dire tout le temps !
Zalez
pas me croire, ya des gens qui disent ça de nous. Si, si. Mais où ils vont
chercher ça ? A croire qu’ils ont connu Francine.
Vous
vous souvenez ? Francine. Même le ZZ TOP la connaît.
Francine, cette infirmière qui avait fait repeindre toute une pièce du fin
fond du service en rose, installé un fauteuil de coiffeur chiné je ne sais plus
où et troqué quelques ciseaux et peignes ou brosse contre des seringues en
verre.
Aujourd’hui
on dirait que c’est asilaire, qu’on revient à l’hôpital village, de toute façon
on aurait pas le temps vu qu’on est en pause, souvent pour ne pas dire tout le
temps et qu’on cause, de quoi d’ailleurs ?
De
Francine et du temps qui passe et que des tuteurs comme ça, ya des berges qu‘on
en a plus.
Et
que ça sentait bon dans son salon. Et pourtant ça pu l’odeur des couleurs, de
la mise en plis mais ça sentait bon quand même, on y était bien, ça ne sentait
justement plus l’asile, ça ne ressemblait déjà plus à l’asile.
Francine,
vous vous souvenez ?
Elle
était aidée par Madame Josette, une apprentie en quelque sorte, elle rangeait
les revues, faisait les shampoings, la conversation avec les clients, passait
là un moment, passait là son temps, sa vie, ce qu’il lui en restait.
Deux
fois par an, descente groupée à Paris avec tous ceux qui voulaient, pouvaient y
aller.
Achat
de diverses babioles, colliers et autres boucles d’oreille, des trucs de nana
quoi….Oups ! J’oublie les portefeuilles, les peignes et la gomina, yavais
aussi des vrais trucs de mec !
Couper
les cheveux en quatre oui mais artistiquement s’il vous plait.
Il
en jetait le salon.
C’est
pas compliqué, t’était à l’asile, t’ouvrait une porte et tu te voyais
transporté ailleurs.
D’un
seul coup, voilà qu’on te vouvoyait, qu’on te demandait ce que tu voulais, être
beau ou belle bien sûr.
On
te faisait asseoir, patienter quelques instants.
Puis
venait le shampoing. Tonique. ( Je sais, j’y ai encore droit…). C’est que ça
s'entretien le cuir chevelu.
Quelques
coups de ciseau, le bruit de la tondeuse à main, clic, clic, clic et on te tendait le miroir.
Pour
voir devant et puis derrière ta tête.
C’est
rigolo de voir derrière sa tête, non ?
Un
petit coup de balayette, un souffle de sèche cheveux et terminé.
Ya
plus qu’à payer.
Parce
qu’il fallait payer. Tout de suite ou bien plus tard. Il faut toujours payer.
Tu
rouvrais la porte et t’en prenais plein la figure.
Tu
regardais derrière toi, derrière ta tête, cet autre monde, chaleureux comme un
sèche cheveux.
Dure
de regarder de nouveau les choses en face après un tel instant.
T’étais
revenu à l’asile et tu te disais : si je veux pas tourner dingue, ya pas
faut que je me tire.
Que
je me tire sans revenir trop tôt au pavillon des entrants.
Sauf
si, sauf si ya plus personne pour arroser les tomates.
Le
pavillon des entrants était de plein pied.
Si
les portes de devant étaient fermées, celles de derrière s’ouvraient sur un
petit parc où patients et soignants avaient créé un jardin potager.
Tomates,
radis, salades, quelques fraises, un bouquet de fleurs, rien de bien compliqué.
Pas
besoin de s’inscrire, pas besoin de contrat, chacun venant quotidiennement ou
non, suivant sa propre envie et les possibilités du moment participer au bon
développement des fruits et légumes, au maintien de l’endroit.
Quoi
qu’il arrive le jardin était toujours entretenu, défendu, reconnu.
Un
jardin ça créé du lien. Entre celui ou celle qui bine, celui ou celle qui ratisse, arrose ou simplement
regarde et commente.
Un
jardin ça passe le temps. Ça arrête le temps. Ça fait prendre conscience de
ce temps.
Un
jardin permet de discuter du temps en
pesant les mots. Sans paroles en l’air,
surtout que d’en l’air c’est de là que vient
A
chaque nouvel arrivant, à celui encore aujourd’hui nommé «entrant », nous présentions le service,
nous présentions le jardin.
Souvent
à ce moment quelque chose se passait. Quelque chose autour de cet espace
commun, entretenu et enrichi par tous. « Bonsoir docteur ».
« L’entrant ? ». « Il vous attend dans le
jardin ». « Il arrose !».
Les
pavillons des entrants devraient tous ressembler à des jardins.
Mieux,
il ne devrait plus y avoir de pavillons mais seulement des jardins où nous
pourrions planter tomates, radis, salades, quelques fraises, un bouquet de
fleurs, rien de bien compliqué.
Des
espaces communautaires entretenus et enrichis pour et par tous suivant les
possibilités du moment de chacun.
Des
espaces comme aiment à les parcourir Fabienne et les patients, pardon , les
usagers, les personnes fréquentant le CATTP.
« Deux fois par
semaine, Fabienne, infirmière au CATTP, emmène les patients en
randonnée. »
Quel
mal m ‘a pris le jour où j’ai voulu raconter cette histoire qui ne m’appartient pas …
L’infirmière
en question, à qui appartient cette histoire, Fabienne, l’infirmière en
question me reprend rapidement : « mais c’est pas comme ça que
cela se passe ! ! ! ».
« Deux fois par
semaine, les personnes fréquentant le CATTP programment une randonnée sur les
magnifiques chemins du Pays. »
C’est
au décours d’une de ces sorties que nous
nous sommes retrouvés sur le chemin de l’école emprunté par Marie lorsqu’elle
était petite.
« Les arbres sont
toujours là, plus grands bien sûr mais moi aussi j’ai grandi, vieilli. Je ferme les yeux, je respire un bon coup,
ces odeurs, elles me saoulent. J’ai
l’impression d’entendre le rire de mes copines quand nous faisions des concours
de cloche-pied en récitant : s’il a une barbe blanche et des
habits rouges, sûr tu le reconnaîtras… s’il a des bottes noires et une ceinture
noire, sûr tu le reconnaîtras… c’est le Père Noël ! »
Elle
se souvient, elle tourne à droite juste après le grand chêne, toujours là lui aussi. Elle va voir
les ânes pour leur donner un peu de l’herbe de l’autre côté de la clôture…ils
sont toujours là, à l’attendre.
Pierre nous montre une
plante.
« C’est du lin sauvage, c’est vivace.
Dans le temps les grands-mères l’utilisaient rance pour faire des
cataplasmes ».
Il
est fier, tout le monde l’écoute, toute connaissance est une réponse à une
question, c’est dans quel jeu déjà ?
Une fois par semaine, nous
retournons sur le chemin de l’école.
C’est
décidé, une fois par semaine, tour à tour chacun d’entre nous emmène les autres
sur le chemin de son école. C’est notre but. Découvrir la nature à cloche-pied, en jouant à saute-mouton, en passant du
coq à l’âne, de l’âne au coquelicot. Retracer ensemble le chemin de l’autre,
partager un moment ses repères avec lui.
Durant l’hiver il fallait
amener son bois.
Le
bois qui alimente le poêle. Le poêle qui réchauffe toute
Remonter le temps ensemble.
Guidé
par des mémoires d’enfant, nous remontons
les chemins de l’école, nous remontons le temps. Nous partageons un peu
d’eau, du pain, du jambon et surtout une chose qui réchauffe aussi bien que le
vieux poêle, notre émotion.
Je
ne sais pas s’il y a autant de perceptions d’espace, de temps ou des instants
partagés que de chemins vers l’école par contre je suis sûr que soigner
commence par partager l’émotion.
Va bien falloir
conclure !
Rien, rien de rien nous n’avons rien à regretter.
Tout, tout, tout ( zavez eu peur là, non ?).
Tout, tout, tout. Il va nous falloir tout partager.
Ça urge ! Chacun à sa façon.
A partir des mots d’un autre. Écrits, vus, bien ou
mal entendus.
A partir de
ce que l’on fait même si ce n’est pas spécialement explicable.
A partir de ce que l’on veut et donc même si ça ne
ressemble à rien.
L’essentiel est de communiquer jusqu’à ce que
traduction s’ensuive.
L’essentiel est de prendre soin jusqu’à ce que mieux
être s’ensuive.
Pour nous tous.