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Le soin à l’épreuve du sécuritaire




Je n’ai pas droit à l’erreur


Bonjour à vous tous
Quand j’ai été contacté pour savoir si je voulais participer à cette journée et sur ce thème précis je pensais d’abord être avec d’autres et puis pour  des raisons propres à chacun je me retrouve là un peu seule

Je suis mère d’usager de la psychiatrie la première rencontre avec la maladie mon fils l’a faite il y aura bientôt 7 ans nous avons depuis fait bien du chemin ensemble et individuellement souvent seuls quelquefois aidés



Je me suis alors demandé « qu’est ce qui fait que je veuille témoigner malgré toute mon inquiétude à être ici devant vous quelle voix je porte si ce n’est Ma voix? »

Et en fait il n’y a que cela qui me vient en tête  dire la volonté sans cesse remise en mouvement que je vois chez mon fils encore et toujours et en parallèle dire mon inquiétude de certaines phrases qui lui échappent et qui sont des retours à la réalité plutôt rudes


J’ai essayé de refaire le chemin en arrière  et de voir un peu comment je pouvais mettre à plat les sentiments qui m’ont animés au début, ce qu’on vit maintenant  , les changements de forme aussi, « les petits pas de côté » comme disent certains  qui permettent de ne plus  se scotcher à des situations  d’urgence

         


Je suis passée de la Maladie de mon fils avec un grand M à une vision moins réductrice heureusement pour lui pour le voir définitivement et durablement au nom même de son humanité comme étant aussi « existant »  que n’importe lequel d’entre nous.
       

J’insiste bien sur cela ma souffrance et la souffrance de mon fils ne seront jamais du même ordre.
Ma parole ne concerne que moi je ne peux en aucun cas parler en son nom je n’ai que mon regard extérieur inquiet très inquiet au tout début de cette maladie et puis avec le temps qui passe ,à chaque nouvelle rencontre imposée par sa maladie  à chaque nouvelle hospitalisation je me heurte un peu plus aux limites  dans l’accompagnement qu’il  devrait avoir  parce que je veux  qu’il puisse vivre humain parmi d’autres humains avec ce qu’il est un individu pensant et agissant  qui souffre de « psychose »

 En me détachant de sa vie « propre » et en m’ouvrant sur le monde où il bataille pour y trouver une  place je trouve là des raisons qui me font en quelque sorte entrer en résistance contre un système qui même  au sein des familles génère une sorte de fatalité à se contenter du peu ,du qui fait pas de vagues ,parce que le chemin est rude pour sortir du drame que vivent leurs enfants.




 
       La psychiatrie on y a couru au premier délire de mon fils  parce que plus rien n’a de sens que cette terreur brut, sans parole qui envahit tout qui coupe toute compréhension et possibilité de s’appuyer sur du réel « il souffre » « il a mal » « il va mourir d’avoir mal » « faites que cela cesse » »  pour lui pour nous ? L’entrée dans le monde du soin a été fracassante si je puis dire et l’hospitalisation très brève les paroles dites à ce moment là se sont voulus rassurantes sans commune mesure avec ce que mon fils était en droit d’entendre.



 anecdotes parmi d’autres de cette fois là:

On lui avait proposé de demander s’il se  sentait des angoisses, un petit traitement.

Mon fils l’a demandé une fois deux fois comme en s’excusant de déranger en fait j’ai fini par l’exiger lors d’une visite il venait de me dire que peut-être il devait se rouler par terre que là on  croirait peut-être plus la douleur qu’il tentait d’exprimer qu’il n’avait pas de mots juste cela une grande terreur
     J’ai pensé à ce moment là qu’il pouvait aussi aller en chambre d’isolement première rencontre avec la réalité de certains services du coté soigné   
     
        Le psychiatre a très peu parlé mon fils se souvient d’yeux qui le transperçaient et tout en reconnaissant la gravité de ce premier délire a proposé à mon fils s’il le voulait de revenir voir . . voir qui et quoi et pourquoi pas de mots mis sur cette expérience traumatisante et terrifiante


        L’hospitalisation c’est permettre à chaque individu de trouver une contenance psychique  à ce moment précis d’explosion en tous sens mais ça doit aussi se travailler avec la parole sinon ça n’a pas justement pas de sens  tant de tumultes vécus  sans que le sujet qui vit ce tumulte trouve à un moment la possibilité  d’oser parler de lui  sans qu’à un petit moment il n’arrive à se sentir exister comme être en lien avec un autre bien sur…qui serait là à coté pour accompagner cette « folie » qu’il est en train de vivre

    
           Mon fils a vécu là une occasion raté de rencontre parce qu’on ne lui a pas permis de Possible première rencontre parce que le service était en manque de soignants en manque de cohérence quiconque arrive dans un lieu de soins doit pouvoir y trouver une écoute  une présence réelle et formée 

Là je crois qu’il est temps de dire aussi que je suis moi-même infirmière de secteur psychiatrique et qu’il y a déjà 6 ans on voyait dans les services malgré la bonne volonté de certains infirmiers un tel manque de personnel que lors d’une  première entrée si on se laissait aller à « gérer » au mieux c'est-à-dire à palier aux urgences on oubliait d’aller à la rencontre de celui qui ne parlait pas.

C’est dans ces années là que j’ai eu à travailler avec un Bip en fait réellement le Bip s’est mis à remplacer un infirmier j’étais alors sur un poste de nuit en temps normal à deux mais certaines fois seule.
 Personnellement  je n’ai jamais eu à me servir de cette alarme nous avons toujours réussi à dénouer ce qui pouvait être des situations à risque sans doute une certaine expérience ma confiance dans ma collègue aussi une façon de sentir la souffrance avant toute peur incontrôlable.
Des formations sur la violence commençaient à se faire avec apprentissage de techniques physiques de contenance il y avait peu de recherche sur «  c’est quoi la violence qu’est ce qu’elle nous dit comment se nourrit-elle comment passer au langage à l’autre »
Là les jeunes infirmiers qui arrivaient avant même de prendre le temps de faire connaissance de  celui qui souffre était au courant de façon très unilatérale qu’il pouvait y avoir violence avant souffrance



 

Sans entrer dans les détails les années suivantes ont été « comment palier à l’urgence »d’abord et « qui va chercher à aider mon fils »  E n fait sans s’en rendre compte on commence en tant que famille à s’exclure soi-même du lien aussi, on court un peu n’importe où parce qu’on voit bien que même s’il  semble se tenir  à peu prés droit la psychose est là et que peut-être elle le mènera jusqu’à la mort et qu’aucune réponse convenable pour lui comme individu ne vient de la psychiatrie

         Parce
qu’en plus des symptômes que mon fils décrit comme nécessaire à sa propre survie quand la terreur est insupportable  il y a toute une dynamique familiale à mettre à plat parce que le soin doit faire avec cela et que tout devrait être mis en œuvre et penser en équipe avec au centre un individu qui souffre qui vit sa relation au monde autrement et que pour l’aider lui il faut aussi donner à l’entourage proche l’information nécessaire pour se décentrer de cet enfermement que va créer la maladie et que  tout cela se fait dans le temps chacun a besoin de temps mais avoir à faire uniquement à l’urgence du symptôme le traiter par le médicament et se dire que cela suffit à continuer l’histoire c’est un premier manquement grave à l’aide et c’est profondément nier l’individu qui vit sa maladie
     
    Tant d’années se sont écoulées depuis cette rencontre manquée et tant de désinvolture a ne pas vouloir entendre que non la parenté ne ferait pas office « d’enfermement » à domicile.
Si l’on pouvait imaginer la violence qui est à l’œuvre dans ce mode de relation qui laisse tout le monde sur le carreau mais tant que rien ne se montre en public quelle importance les familles ont entendu depuis quelques années qu’elles étaient devenues « aidant naturels »  quelle démagogie lieux utiles à la société pour combler les vides actuelles dernières habitations de ceux qui restent en rade oui parce qu’ainsi rien ne transpire de cette maladie et parce que cela permet de faire des économies .

 Moi personnellement je finissais par craindre  les éclats extérieurs les risques de troubles sur la voie publique parce que de plus en plus la maladie invalidait la poursuite de ses études et j’avais cette peur que la police ne  rentre dans son histoire et que là il perde toute chance de nouer un jour un lien avec le monde du soin.


Mon fils a vécu l’isolement durant des mois dans notre maison
au risque  d’une grande folie destructrice pour tous moi c’est comme ça que je l’ai vécu  c’est aussi cela que les équipes devraient avoir en tête je sais la difficulté à travailler  avec les familles quand elles arrivent  pour la première fois mais pour avoir traversé cela je crois qu’il faut nécessairement faire confiance à ce qui peut se remettre en route  toujours sinon à quoi servirait le soin
 
        L’accompagnement de la maladie est soumise aux offres de soins du lieu où l’on habite et dans l’urgence où devant le désert de ces offres on subit on nous oblige sans cesse à nous demander que va –t-il se passait quand on ne sera plus là, on n’a de moins en moins la capacité à  regarder son propre fils comme ayant un avenir .C’est très dangereux cette obligation qui nous est faite de nous  sentir un peu plus surpuissant ça vient bien s’accoler à ce que j’ai pu vivre aussi .


Durant cette période nous avons entendu des psychiatres faire aveu d’impuissance devant la baisse des  moyens pour  accompagner une population jeune qui désirait encore continuer les études un autre nous a dit que le système actuel était à la restriction budgétaire qu’il ne fallait pas se leurrer que ceux qui étaient en marge auraient de moins en moins de possibilité de s’insérer que nous devions nous en contenter

Personnellement j’ai à un moment décidé qu’il fallait s’arrêter là mais seulement parce qu’ au fur et à mesure du temps j’ai vu que mon fils recommençait chaque jour à essayer de vivre avec énergie et courage et ténacité malgré le délire qui était de plus en plus manifeste et qu’il me semblait que le moins que je puisse faire c’était de le suivre dans ce désir de continuer sa vie en lui donnant une chance d’avancer avec d’autres  au moins forcer les choses puisque le système de soins ne lui offrait pas autre chose que la réclusion à vie avec moi
          
.
 

      Je suis partie travailler à 700 kms lui est retourné vivre seul et la maladie étant belle et bien là il y a eu une nouvelle hospitalisation avec un nouveau service une nouvelle équipe et la chambre d’isolement pendant trois jours parce que c’était le week-end parce qu’il n’était pas connu et qu’il était susceptible de …
    des années après le souvenir est toujours celui d’avoir été considéré comme un objet qui pouvait être vu sans savoir qui regardait le même sentiment d’humiliation et d’injustice puisqu’on ne le connaissait pas
 
Dans le même temps je peux dire que je subissais la chambre d’isolement du coté soignant isolement où l’on accueillait souvent des détenus qui souffraient de maladie mentale nécessité de plusieurs infirmiers pour les repas pour ouvrir la porte réassurance au travers la porte quand les angoisses étaient insupportables.

 

Puis...du coté de mon fils  une rencontre avec un médecin qui  l’a vu comme sujet humain présentant une maladie et là des petites choses qui se mettent en place parce que quelqu’un s’intéresse à lui.

        Je suis depuis revenu travailler dans la même ville que  lui en me disant que nous pouvions à nouveau nous rencontrer comme mère et fils. Et juste au moment où il retournait dans le monde extérieur les médias se sont emparées de certains drames on s’est mis à parler de la psychiatrie et de tous ces gens malades mentaux qui ma foi vivaient peut-être à coté de nous
        Et mon fils qui tentait de revivre mais cette fois ci un peu plus accompagné qui s’inquiétait de cela

Ce qu’il m’a dit à l’époque


Chaque assassin est bien sûr un schizophrène

 Bientôt le grand renfermement normal c’est quoi normal

 Qu’est ce qu’ils en savent les gens de ma souffrance elle n’est pas visible tout ce qu’ils savent c’est écouter les faits divers

Je vis au crochet de…. Je coute à la société ça ne durera pas je n’y ais pas d’espace  qui se soucie de qui
Je me dois d’être anonyme de ne rien laisser voir de ne rien dire qui ne soit pas le même langage sinon on saura que je suis fou

 Je ne veux plus vivre seul  je ne peux pas  j’ai  besoin des autres 


Il me faut du temps ce n’est pas le moment que tu meures

Et tout logiquement ce qui a suivi c’était

Je n’ai pas droit à l’erreur

L’erreur , c’est terrible de se sentir à la merci de l’autre d’avoir à subir en plus des effets de la maladie cette pression de peur de déraper et de sentir l’obligation permanente de filer droit de penser droit d’être droit.pas parce qu’on commet une transgression légalement punissable mais parce qu’on a le sentiment d’être soi-même une erreur au sein du genre humain, pas productif  aux yeux du système ,des médias qui ne vivent qu’au travers des faits divers sans rien savoir de la maladie et des souffrances qui y sont collées, du mode de pensée de monsieur tout le monde qui peut être le voisin et qui peut savoir d’où je viens etc.

Comment avec tout le chemin parcouru peut-il avec ses fragilités composer avec le système ?


   J’ai eu à demander dans l’année qui vient de s’écouler 2 HDT parce que mon fils a eu à gérer seul chez lui des changements de traitements qui n’ont pas été accompagnés (parce que j’ai refusé de faire office de soignante c’est comme ça que nous fonctionnons et c’est ce qui lui permet d’avoir son espace de vie)  
 Ces deux HDT auraient pu être  évités elles ont été banalisées au risque de mettre en danger la vie de mon fils et la mienne au risque aussi de voir à nouveau la police intervenir dans l’affaire je suis sure maintenant de savoir reconnaitre quand je dois m’effacer je ne dois jamais intervenir dans ce qui est du travail d’accompagnement soignant ;

J’ai entendu évoquer la potentielle violence de mon fils là je me suis expliquée aussi je dois dire que chaque fois que j’entendais sonner un bip il me semblait que c’était lui qui allait en chambre d’isolement





Je ne dresse pas un réquisitoire j’essaie simplement de comprendre dans quel monde mon fils va devoir apprendre à se faire une place je sais qu’il a besoin pour cela du soin que l’hospitalisation et l’après hospitalisation ne riment à rien si on ne se bat pas pour que la gestion administrative de la maladie laisse la place au soin  que pour cela il faut des moyens humains  du temps et qu’il y ait continuité dans l’après hospitalisation il y a encore bien des soignants qui le savent mais pour avoir personnellement travaillé dans un service avec un intérimaire et un aide soignant qui sortait de l’école je suis effrayée ce qu’on NE PEUT PLUS  faire .

Comme dirait mon fils l’équation est simple plus il y a de soignants moins la chambre d’isolement se remplit et moins on a peur de soi-même
    
     Je refuse que mon fils se sente en permanence sur le fil du rasoir par rapport aux autres il y est déjà suffisamment par rapport à la maladie

      Je
refuse le « contente toi de ton AAH  dans certains départements ils ne sont pas si larges  » là c’est normal qu’il reparle du sort des milliers de malades mentaux pendant la seconde guerre mondiale 

      Traverser l’hôpital le matin et rencontrer des vigiles avec chien en muselière entendre un vigile dire qu’une des portes du jardin du service n’est pas cadenassée « c’est pour que vous n’ayez pas d’évasion » c’est devenu la réalité et le quotidien 

       L’énergie  terrible à recommencer encore et encore à vivre devrait inspirer bon nombre de gens qui font des rapports et des statistiques sur la meilleure façon de faire à moindre cout.
Les familles par peur bien compréhensible de tout un enchainement de procédures (policière puis judiciaire en cas de troubles sur la voie publique ) restent fermées dans un monde clos
qui augmentent  la dépendance et  la maladie quand elles ne jettent pas l’éponge


Je fais des accueils au sein d’une association de parents je dois dire que certaines situations sont désolantes parce que le secteur a certains endroits est de moins en moins vivant parce que la demande d’aide  doit aller de soi alors qu’on sait que c’est tout un cheminement long et difficile il y a certains endroits qui offrent plus de ressources en tous cas plus d’alternatives


C’est  un choix politique à faire on peut aussi créer à l’extérieur d’autres endroits où l’on pourra encadrer et gérer les imprévus faire cohabiter entre eux des malades qui devront se satisfaire de cela sans prendre en compte la richesse des échanges avec les autres même si l’autre est souvent l’inconnu on peut décider à la place de d’abord le médical puis le social  on pourra faire abstraction de toute une partie de la population on pourra aussi comme cela se discute en ce moment commencer à voir ce qui peut nuire à l’équilibre de la société sans s’inquiéter des déséquilibres que crée la société le système économique mène la danse et si on n’y prête pas assez attention il vaudrait mieux « apprendre » à mon fils à se taire à cacher à subir sans chercher à l’aider dans ce qu’il tente de faire en ce moment se trouver une place à coté des autres parce que est ce que les autres veulent vraiment de lui ?


Cécile Gibier



 


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