Nous vous
proposons cette journée, fruit d'un travail collectif, sur un sujet qui ne nous
a pas toujours été agréable à "penser". Combien d'aller retour après
le choix de ce thème, combien de réunions à rêver à d'autres thèmes possibles,
combien de freins, de grise mine, combien de mauvaise foi aussi !
Et puis une
fois lancé, nous nous sommes trouvés tout aussi grise mine, mais avec
l'impression que nous avions fait, si ce n'est un bon choix, du moins un choix
nécessaire. Celui qui devrait nous permettre de nous re-pencher sur le soin tel
qu’on a envie de le pratiquer et puis aussi cerise sur le gâteau de lutter
un peu plus contre cette mort annoncée de la psychiatrie publique de secteur,
contre ce carcan de protocoles, contre ces choix thérapeutiques alliant idéaux
scientistes et approches comportementales pensées en référence à une économie
de court terme.
Le soin,
c’est
celui que nous aimons, celui que nous pratiquons, celui que nous voulons
défendre. Nous ne voulons plus être dans la plainte. Nous voulons prendre le
risque, le risque de soigner. Pour cela, il faut nous remettre en question et
ne pas nous résigner aux deux grands principes qui nous gouvernent :
l’économie et la sécurité.
Sécuritaire,
la dérive
ne touche pas que la psychiatrie, nous sommes entrés sans y prendre garde dans
une nouvelle ère faite de suspicion, de peur de l'autre, de précaution,
d’abolition de toutes violences, de recherche du risque zéro comme si cela
était "possible". Et l’on voit bien qu’on ne peut pas empêcher la
violence de s’exprimer.
Il revient à chaque société, à
chaque institution de trouver des moyens, non pas pour empêcher la violence de
s’exprimer, mais pour lui donner au contraire des moyens de se manifester de
manière structurante, c’est-à-dire d’une façon telle qu’elle intègre dans la
société ceux qui en sont les acteurs plutôt que de les exclure[1].
En
psychiatrie, les portes se referment, les chambres d'isolement se remplissent,
les structures alternatives ferment faute de combattants, la nourriture devient
dangereuse dès qu'elle n'est plus lyophilisée, désinfectée, dénaturée,
javellisée, les patients sont des futurs coupables, soignés sous contrainte ou
exclus, les enfants dès 36 mois sont des délinquants potentiels, les parents
totalement défaillants, les assistantes sociales des détecteurs de
comportements déviants et les infirmiers qui travaillent en psychiatrie
redeviennent les gardiens porteurs de clés et les distributeurs de molécules.
(Ces si
chères molécules !!).
Au
baromètre des Travaux de fin d'études des étudiants infirmiers, la violence et
la façon d'y répondre sont au top 50.
Le
sécuritaire comme pensée unique …
Les choix politiques en matière de psychiatrie ont
conduit bizarrement à la fermeture de structure de proximité alors que dans le
même temps, on faisait l’apologie de la santé mentale dans la communauté.
L’effet boule de neige a parfaitement réussi, augmentation des hospitalisations
à tourniquet, soignants démotivés et en fuite, délais inadmissible pour
certaines prises en charge.
Devant le manque de professionnels formés à la prise
en charge de la maladie mentale, devant la médiatisation des agressions, le
ministère nous propose des caméras, des vigiles, des chiens policiers dans
certains hôpitaux, des grilles autour des unités de soins, des bips et des
alarmes.
Le directeur d’un Hôpital du bord de mer, a fait
cette semaine et sans en parler aux médecins ni aux équipes, appel aux
gendarmes pour une fouille généralisée des patients de son établissement à la
recherche de substances illicites.
Sûr de son droit et droit dans ses bottes, il a
affirmé qu’il était dans ses prérogatives de pouvoir faire appel à la
maréchaussée pour débusquer tout trafic. Les gendarmes ont isolés les malades,
les ont adossés au mur, et fait renifler par les chiens policiers. L’identité
des patients a été demandé au personnel soignant.
Jusqu’où avons nous envie d’aller, jusqu’où allons
nous supporter cette compromission ?
Ce qui paraît le plus gênant, c’est, me semble t’il
, que beaucoup d’entre-nous se sont résignés, et que nous finirions par nous habituer aux
chambres d’isolement, à la contention, aux conduites répressives, à la
généralisation des portes fermées, aux caméras, aux vigiles et chiens
policiers.
Tout
soignant nous dit Gilles Devers et particulièrement en psychiatrie, doit se
ressentir comme un acteur social engagé. Le soin est créateur de lien, et
l'action du soignant se situe dans le cadre défini par la loi. Dès lors, la
pratique des soins si elle cherche à s'inscrire dans un rapport d'égalité,
suppose de la part du soignant un devoir de conviction. Parler de la maladie,
aller au devant de la solitude et de la souffrance, entrer dans l'incertitude
de la relation de soin, ne place pas le soignant dans une situation de service
mais d'engagement. Et dans cette logique d'engagement, le soignant est alors
porteur des valeurs essentielles au soin : égalité, humanité, dignité,
intimité, etc…
De fait, il existe encore en France, des équipes qui
luttent, qui se révoltent, qui entrent en militance et qui se lancent à
l’assaut des épreuves administratives pour rêver encore le soin. Il nous faut
prendre conscience de la force que nous pouvons être, et de la force que sont
les associations de patients, forces combinées qui pourraient abattre des
montagnes !
Nous avons besoin de soigner dans une certaine sécurité.
Nous avons besoin de proposer des lieux de soins accueillants, humains. Mais le
soin en psychiatrie n’a pas besoin du sécuritaire, il a besoin de
professionnels formés, compétents.
Il a besoin de se sentir à l’aise dans des structures de
dimension humaine à proximité du lieu de vie des usagers.
Il a besoin de temps.
Il a besoin de toutes les théories pour qu’elles
s’affrontent, se confrontent, se répondent et se soutiennent.
Il a besoin qu’on parle de lui, qu’on le défende.
Il a besoin de femmes et d’hommes qui y croient, qui ont
envie de créer, d’inventer, de militer, qui ont envie de prendre des risques.
D’une vision pessimiste de l’humain et de
l’avenir, nous allons essayer aujourd’hui de vous proposer une vision militante
et optimiste de ce que nous avons encore envie de vivre en soignant.