Le concept de distance est quasiment inconnu du langage psychanalytique, à l'exception de celui développé par Bouvet.
Cela n'est guère surprenant. Le langage psychanalytique est essentiellement un langage du monde intra psychique. Il explore le système mental avec ses mécanismes de défenses internes, le transfert, les images internalisées parentales, les résistances dans la cure. Le concept d' "alliance thérapeutique" est l'un des seuls à décrire un processus impliquant le couple analytique.
Dans la théorie psychanalytique, l' analyste est souvent décrit comme s'il était un point de repère "fixe" , relativement constant, neutre, a partir duquel le patient établit la distance en fonction de la nature du transfert et du développement de la cure.
Dans la cure psychanalytique classique, l'analyste est assis derrière l'analysant allongé sur le divan de telle façon qu'il peut le voir sans être vu. Ainsi, l'analyste serait dans des conditions optimales de distance où il ne montrerait que le minimum de lui même. Ces règles de neutralité et d'abstinence viennent encourager la régression qui amplifie le transfert, cette répétition inconsciente de vécus, d'attitudes, de phantasmes et de désirs vis a vis des images parentales dans le passe.
La distance créée par le patient est liée au phénomène de résistance et en particulier la résistance au transfert. Celle ci provient de l'émergence d'idées et d'affects pénibles voire insupportables. Ces idées ou phantasmes peuvent éveiller de la honte, des sentiments de culpabilité, des reproches, des peurs être blessé, des peurs de régresser, voire des souvenirs douloureux.
La distance créée par les résistances représente les tentatives du patient de se protéger face aux menaces que la procédure thérapeutique fait peser sur son équilibre psychique. Elle possede une fonction de nature défensive, de protection de soi.
Le psychanalyste français Maurice Bouvet a développé le concept de distance dans la situation psychanalytique comme une de ses principales idées Par la, il impliquait le degré d'intimité avec laquelle le patient serait a l'aise. Bouvet a établi que respecter la distance pouvait être particulièrement efficient. Dans le cours d'une analyse réussie, cette distance diminuerait puis réapparaîtrait de nouveau à l'approche de la terminaison. D'après Bouvet, l'analyste doit se "modeler ", ou s'accommoder a ce qu'il perçoit comme la"distance optimale désirée", sans l'interpréter.
Les approches psychanalytiques plus récentes d'outre-mer, approches post-modernistes, remettent en question cette notion d'un analyste neutre à partir duquel le patient établirait la distance. Le modèle suggéré est celui d'une distance co-créée simultanément par les deux partenaires. Ceux ci ont des rôles différentiels, des positions asymétriques, mais ont une influence mutuelle l'un sur l'autre. La thérapie serait donc une sorte de "tango a deux"' avec des processus de "régulation mutuelle", proches de ce que l'on observe dans la relation entre le nourrisson et sa mère (Voir les travaux de Beebe& Lashman et de Daniel Stern).
Hoffmann suggère que la distance dans la situation thérapeutique résulte d'un rapport didactique, entre une certaine spontanéité et une discipline analytique: d'un coté, la discipline psychanalytique avec son setting d'écoute des associations libres, de règles de temps et d' espace, d'arrangements financiers, qui facilite l' idéalisation nécessaire pour contrecarrer les influences négatives du passe; de l' autre, une spontanéité et une réceptivité au patient qui représente la réaction a ce que le patient a d'unique et qui lui permet de se sentir reconnu comme tel par le thérapeute.
Nous aimerions illustrer certains processus de distance et de proximité à travers nos observations d'un groupe Balint d'infirmiers dans un service de psychiatrie.
Dans ce groupe qui dure depuis plusieurs années, chaque quinzaine, nous avons pu établir un parallèle entre la dynamique de distance et le rapprochement dans le groupe et dans le travail infirmier avec les patients.
Le travail de l'infirmier dans un service de psychiatrie a de nombreux points communs avec celui du thérapeute analyste mais présente également des différences importantes. Les mêmes processus de transfert et de contre transfert sont mobilisés et les résistances sont ainsi activées, avec les distances qui en résultent.
Les infirmières subissent un lourd fardeau émotionnel. Face aux patients, elles vivent l’impuissance, la frustration, la colère, la sur identification et peuvent se sentir abusées et offensées. Lorsqu'elles se sentent épuisées, (« burned-out ») elles peuvent devenir irascibles dans leur rapport avec les patients, les tensions au sein de l’équipe s'en trouvent aggravées et la qualité des soins diminue.
Dans le travail infirmier, à de nombreux égards, il y a un dosage entre le « faire   »et «l’être  » avec les patients, proche de l'attention des parents à l’égard du jeune enfant ou même du tout-petit. (Winnicot).
Les infirmiers doivent en effet, évaluer et répondre aux différents besoins des patients, qu’il s’agisse de l’alimentation, du sommeil, de la surveillance ou des soins infirmiers. Ils doivent également réconforter, accorder une attention particulière à certains patients, et instaurer des limites nécessaires. Les besoins varient au cours de l’hospitalisation et doivent être constamment réévalués et contrôlés.
L'évolution du groupe s'est caractérisée schématiquement par trois phases différentes de la distance au raprochement: une phase de contrat où ont été discutés et négociés les objectifs du groupe, les craintes des participants, (comme celle de perdre leur autonomie, de devenir dépendant, ou d'être transparent), et leurs attentes vis-à-vis du groupe. Une deuxième phase où l'accent était mis sur le patient et où une certaine distance était encore nécessaire. A travers leurs présentations de cas difficiles, comme celui d'un patient qui ne pouvait éveiller aucune empathie ni sympathie à son égard, nous pouvions approfondir la compréhension émotionnelle et théorique de ce genre de cas sans que les participants ne se sentent trop vite impliqués personnellement.
L'une des patientes présentées se plaignait constamment de son traitement auprès d’eux. Ils l’avaient surnommée «l’enquiquineuse  ». Elle ne pouvait s’adresser aux infirmières que pour se plaindre d’avoir mal quelque part, cependant que tout ce qui pouvait l’individualiser restait inaccessible («nous n’arrivons pas à comprendre ce qui la tracasse  à l’intérieur »). Nous nous sommes interrogés sur le fait que les infirmières aient choisi de présenter une malade méfiante et mécontente de son traitement. N’y avait-il pas de la part du groupe une défiance similaire à l’égard de la supervision? Dans quelle mesure le groupe pouvait-il faire confiance à une instance qui les encourageait à partager «ce qui les tracassait  ».cours de cette séance, le travail du groupe a porté d’une part, sur la compréhension de la défiance de cette patiente et de ce qui pouvait avoir causé cette défiance, la signification de ses plaintes, son besoin permanent d’être en contact avec l’équipe de soins, où son angoisse d’abandon; d’autre part sur le sentiment de frustration et les réactions de rejet et de colère des infirmières à l’égard de cette patiente. Cet effort de réflexion et de compréhension était destiné à permettre aux membres du groupe de mieux contenir et comprendre leurs sentiments négatifs, et d’ouvrir ainsi une perspective différente dans l’approche et les rapports avec ce type de patients.
Progressivement nous sommes passes a la troisième phase, ou nous nous sommes d'avantage concentrés sur les participants et leurs réactions aux patients et aux membres du groupe. Le groupe devenait plus intime et en parallèle leur travail avec les patients devenait plus proche.
Le sujet de la violence et de l’agressivité dans le service a été traité au cours de trois séances consécutives. La question avait été soulevée dès la première session par une des participantes. Elle avait été témoin d’une violente altercation entre deux patients. Son dilemme, partagé par le groupe était le suivant  fallait il intervenir et si oui, comment  La discussion a porté sur le degré d’agressivité acceptable, entre une expression tolérable de la colère et la nécessité de ménager l’autre, y compris en cas d’opposition. L’infirmière sentait qu’il fallait éteindre la querelle afin de protéger le patient, mais d’un autre côté, il lui paraissait difficile d’intervenir. Le parallèle s’est imposé avec la mère qui voit ses deux enfants se battre et qui se trouve embarrassée pour prendre parti pour l’un sachant qu’elle blessera l’autre, d’autant qu’elle les empêchera ainsi de résoudre le conflit par eux-mêmes.
Lors de la session suivante, nous avons pris pour point de départ les menaces de violence à l’encontre des infirmières. Nous avons discuté de la violence, de ce qui peut l’accroître ou la diminuer, des réactions des infirmières qui expérimentent de tels incidents. La discussion a fait apparaître des sentiments et réactions contrastés, entre la culpabilité («’qu'est ce qui ne va pas chez moi  »), la peur, l’humiliation, l’impuissance, la colère et parfois même l’envie de rendre la pareille. Un des leaders (I.A.T.) a parlé de son expérience personnelle avec des patients violents prenant un rôle modèle. Le fait qu’il soit prêt à s’exposer ainsi, lui donnait plus de légitimité à parler ouvertement de ce sujet délicat. Au cours de la séance suivante, l'une des participantes a évoqué devant le groupe sa peur de commettre une erreur lorsqu’elle préparait les médicaments  «le médicament, c'est comme une arme mortelle  ». Dans la discussion, les infirmières ont abordé les formes de violence à l’égard des patients quand bien même celles-ci feraient-elles partie du traitement comme l' injection ou le fait d’attacher un patient à son lit - pratique à laquelle on n’a d’ailleurs pas recours dans notre service ouvert - . A nouveau, des sentiments d’hostilité à égard de patients ont été admis. Une discussion orageuse s'en est suivie. Certaines des participantes ont nié avec la plus grande véhémence avoir des sentiments hostiles à égard de patients invoquant le fait que ce soit contraire à l’idéal et au rôle thérapeutique, cependant que d’autres refusaient de se voir representées sous l'image de saintes ou de nonnes. A ce stade de la discussion, l'un des membres du groupe a souligné à quel point celle-ci était devenue orageuse et s’est plaint de ce que «dans ce groupe, il ressentait beaucoup de violence et que des personnes engagées dans des explications n’étaient même pas attentives aux sentiments des autres  ».
On a pu observer, à travers le développement de cette question au cours des trois réunions du groupe, un processus de rapprochement et une évolution de l’extérieur vers l’intérieur  depuis la violence entre patients à la violence au sein du groupe. Nous avons perçu, au cours des sessions, que le progrès dans l’aptitude à expérimenter les émotions dans un cadre encourageant leur expression, aidait ensuite les infirmières à mieux faire face à la violence dans le service.
Une autre question importante concernait les patients qui ont un comportement régressif, qui crient, pleurent, se souillent, et ont besoin d’être nourris, lavés. Ces patients, exigeants, demandent des tranquillisants et se plaignent de douleurs somatiques. Dans une évocation franche, ces patients apparaissaient comme des «bêtes  », des choses non humaines. Toute possibilité d’interaction humaine, gratifiante avec un tel patient, paraissait dépourvue de sens. Nous avons parlé de la difficulté de communiquer à l’aide de mots, avec un tel patient, pour comprendre ses peurs psychotiques, en essayant de l’imaginer comme un bébé dépendant. Bien que nous, les leaders, nous sentions tout à fait impuissants pendant ce débat, les efforts pour verbaliser, fantasmer et laisser une place à la subjectivité des infirmières et à celle du patient ont apporté un changement. Il y avait soudain, une possibilité d’ouverture au patient, un défi pour toute l’équipe. Une des participantes s’est proposée comme volontaire pour prendre la responsabilité de son traitement reposant sur «l’économie de jeton  ». A la fin de la séance, «la mauvaise mère pour un mauvais enfant  » était devenue symboliquement la «plutôt bonne mère  ». (Winnicot)
En conclusion: à mesure que la dynamique de groupe s’est développée, les participantes se sont senties plus à l’aise pour préparer et présenter leurs cas. Le groupe est devenu un lieu où toutes étaient intéressées et se trouvaient même en compétition pour présenter un cas. Les infirmières se sont senties mieux comprises et parvenaient mieux à comprendre les patients. Le groupe est devenu un lieu de rencontre agréable qui leur donnait un sentiment d’appartenance et d’unité, un lieu où elles fêtaient les évènements personnels tels que leurs anniversaires.
Parallèlement, les infirmières étaient de plus en plus confiantes et impliquées dans le traitement des patients. Dans un désir de rapprochement elles ont plus souvent invité les patients à avoir des entretiens avec eux. Elles se sont senties plus efficaces et plus sûres avec les patients difficiles dès lors qu’elles s’étaient senties soutenues par le groupe; plus volontaires pour s’asseoir avec les patients; plus ouvertes, et plus directes avec eux. Elles ont participé comme animatrices à desstructurés à l’intérieur du service et fait fonction de co-thérapeutes dans des traitements comportementaux, ou dans des interventions familiales. Elles sont plus conscientes des différences et similitudes de leurs manières d’approcher les patients, plus respectueuses des manières d’être, propres à chacun. Elles se sentent moins menacées par les patients, ne tendent plus à considérer comme personnelle leur hostilité et sont plus conscientes de la part qui leur revient dans leur relation avec les patients.