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L'ASSOCIATION " ACCUEILS ? "

-9 EMES JOURNEES - MARSEILLE -

15 ET 16 MAI 2003

" SEUILS "
(Sagesse des seuils en psychiatrie)


Chers amis,

Nous avons eu la joie pendant ces deux jours d'" approcher " (soyons modestes et prudents) un certain nombre de questions de fond de l'Accueil et de la Psychiatrie de Secteur, et ceci de façon bien plus constructive que d'habitude. Il a été souvent répété lors de ces deux jours que le thème du SEUIL était excellent, car il facilitait les ouvertures, les échanges, les remises en question, les étonnements, les découvertes et bien sûr l'accueil du patient, donc fondamentalement la rencontre avec lui et avec son entourage. Il a été rappelé que c'est la rencontre qui permet d'accéder à un ailleurs du lieu de la souffrance, à un moment suivant qui est le soin grâce à ce " passage ". Au lieu de tout concentrer sur la porte, lieu et instant de l'entrée de la sortie, il est proposé que l'on prenne le temps de s'arrêter sur le seuil, pour se rencontrer.

L'autre notion forte qui est revenue régulièrement est celle de la triangulation, comme si nous pouvions dire que nous avions redécouvert dans le 3 un nombre d'or de l'échange, une remise en forme de l'échange permettant la rencontre, le passage, grâce au triangle. Nous avions en effet déjà expérimenté ce triangle dans la forme de travail adoptée dans l'expérience de cinq séances préalables à Ste Anne à Paris ; nous avons confirmé qu'une table triangulaire écartait les polémiques, transformait les affrontements 'duels' en découvertes de l'autre face de tout propos, sa complémentarité évidente avec d'autres propos, réouvrant sur d'autres arguments, sur d'autres thèmes…l'ensemble aboutissant régulièrement à une construction se faisant 'sur-le-champ' et collectivement. Nous avons précisé d'entrée de jeu que c'était là notre intention. Le résultat en a été un travail d'une rare qualité. Précisons d'emblée que le fait nouveau était la présence à la tribune comme dans la salle, certes de différentes catégories professionnelles, mais aussi et surtout de familles et d'usagers.

Ainsi d'emblée, le propos classique du soignant qui 'accueille', qui rencontre le patient, s'est trouvé ouvert par l'entrée en scène de la famille. Cette triangulation introduit pleinement le débat dans la réalité, avec le public, avec la société, avec l'administration, avec l'élu, démystifiant le rôle masqué et persécuteur qu'a systématiquement l'Etat ; l'Etat est en fait l'expression de l'ensemble des citoyens dans une démocratie. Il s'agit donc d'affronter la complexité de cette réalité sans lui donner une interprétation unique. C'est la réalité dans son ensemble et par son insistance, qui est vécue comme 'persécutrice', alors qu'il s'agit d'oser affronter cette réalité, telle qu'elle est, et non telle que nous la fantasmons.

Ainsi, c'est peut être pour cette raison que l'ensemble des débats pendant ces deux jours s'est déroulé dans une invitation à soutenir et privilégier la réflexion clinique, et se demander ce qui peut donc bien manquer à la psychiatrie de secteur aujourd'hui pour ne pas convenir qu'elle apporte une vraie révolution culturelle à la psychiatrie : ce manque ne serait il pas dans cette impossibilité à convenir qu'il y a un décalage entre les mots et les concepts anciens utilisés pour décrire la réalité actuelle alors que la pratique a considérablement changé. Nos mots et nos concepts datent de l'époque où les troubles psychiques ont été observés et décrits dans les bureaux et les salles communes des asiles, lieux de rejet de la société. Nos espaces de soin et notre pratique ont considérablement changé, mais pas encore nos mots, ni nos concepts ? Qu'attendons nous ?

Après cette introduction les quatre demie journées se sont déroulées ensuite de la façon suivante,:
1èr triangle : autour de la constellation du patient et de la cité :
En l'absence de notre ami Grigoris Abatzoglou, nommé au même moment professeur de pédopsychiatrie à Thessalonique ; (il aurait dû être le provocateur) ; nous avons ouvert à sa place la provocation en rapportant à l'auditoire une parole d'un parent qui ne cesse depuis qu'elle a été énoncée, de nous interroger, voir de nous déstabiliser : Quelle place accordons nous à " l'annonce faite au patient et à la famille de l'existence d'un trouble psychique " ? Quelle forme donnons nous à cette annonce, quel est son rôle ? Cette interrogation nous a aussitôt montré que cette 'entrée' en psychiatrie d'un patient avait très souvent une dimension dramatique d'apparence destructrice pour le patient et pour sa famille alors qu'un travail psychothérapique pouvait la rendre 'créatrice'. La référence faite à l'œuvre de Benedetti ('Le sujet emprunté, le vécu psychotique du patient et du thérapeute', et 'La psychothérapie des psychoses comme défi existentiel') était l'occasion de souligner que paradoxalement le 'travail d'accueil', dont l'objet est d'affronter la méconnaissance du trouble psychique (et qui est donc un préalable nécessaire au soin) était déjà, dans sa forme, comme dans son contenu, la préfiguration complète du soin ; mais, et c'était là l'enseignement du propos de ce parent ; nous avons à savoir aussi et nous n'en avons pas conscience, que ce travail " d'introduction au soin " a à être recommencé constamment avec l'appui de l'entourage tant que la souffrance du patient est ou redevient insupportable, invivable, ou que le patient se sent enfin mieux et lui même, …ceci tout au long du soin. Ce souci d'aider le patient à accepter la cohabitation en lui de sa revendication à une identité entière et une dimension de trouble qui atteint son être, est une dimension essentielle du travail psychothérapique.

Ensuite l'équipe du Dr Dolorès Boissinot-Torrès de Marseille-nord a mis en évidence que le travail d'une équipe de secteur se poursuit grâce à une évolution constante de ses cadres de travail et de ses structures de soin. Elle a présenté sa 'monographie de secteur' sur 20 ans : la représentation des étapes successives de cette évolution, transformation progressive de l'équipe de secteur et de ses outils, jusqu'au projet actuel : celui d'une Equipe d'accueil mobile, s'appuyant sur deux autres projets constituant une double stratégie d'ouverture, associant un projet d'hébergement en ville, et celui de la relocalisation en ville du service d'hospitalisation. L'ensemble de ces trois projets constituait la représentation (mise en image) de l'immersion indispensable des soins psychiatriques dans la ville pour trouver l'inspiration et la force thérapeutique propres à la psychiatrie de secteur. Ainsi était démontré que la capacité évolutive et d'adaptation d'une équipe aux besoins de sa population dépendait de sa capacité à dresser un 'projet de secteur' multiple et évolutif.

Lors de la discussion critique Jean Canneva, président de l'UNAFAM, invité, a montré son intérêt à cette évolution des soins, ainsi que Claude Finkelstein présidente de la FNAPSY. Jean Canneva soulignait que cette notion de projet rejoignait les préoccupations de toute entreprise de la société civile, elle permet de 'porter' l'énergie d'un groupe, tout tient alors dans sa lisibilité, son pragmatisme. Patrick Chaltiel a rappelé que le dynamisme de son équipe de Bondy s'était soutenu, à son avis, de l'effort constant fait par cette équipe de 'fermeture, -ouverture, -fermeture, -ouverture successives de structures sur 30 ans. Cela avait privilégié la notion de projet pour l'équipe, et l'avait fait passer avant le désir de 'consolider' ces structures. Le débat général a confirmé que pour une équipe de secteur, à condition que ce projet soit une 'démarche constante', non pas limitée à une seule réalisation, mais élargie à l'ensemble du fonctionnement de l'équipe et continue dans la durée, alors ce projet constitue un lien interne fort, il rassemble les énergies de tous les acteurs, il permet et stimule leur créativité, donnant à chacun l'occasion de trouver sa place. Ce projet multiple, durable, mais renouvelé sans cesse, devient la carte d'identité de l'équipe, facilite les alliances externes, et devient la feuille de route de son parcours dont la lisibilité devance les demandes d'évaluation officielles car engage l'équipe dans un entraînement à l'auto évaluation.

2ème triangle autour de la temporalité

Le second provocateur, Bernard Odier, fait part de son inquiétude de voir les soins entraînés dans une obligation de résultats rassemblés sous le signe de la 'fast-psychiatrie' et nous interroge sur nos capacités à résister à cette accélération. Il met alors en évidence le fait nouveau pour la psychiatrie que représente l'arrivée sur la scène publique de deux acteurs incontournables : les familles (l'UNAFAM fête son 40ème anniversaire à Versailles les 23 et 24 mai) et les patients se désignant 'usagers' (la FNAPSY a fêté ses 10 ans l'an dernier). Cette entrée en force de leurs associations apporte un changement de perspective et invite tout le monde à un changement de stratégie profond ; cela représente d'abord une complication pour les professionnels obligés de tenir compte de cette présence dans tous leurs propos ; cela devient très vite facteur d'espoir, tout particulièrement ici dans le débat sur l'Accueil : en effet ces associations viennent valider la démarche d'accueil, comme étant une demande forte, non sans bousculer des préjugés bien assis.

L'équipe du Dr Ruat avec le Dr Anne Rauzy de Villejuif nous a montré comment le travail d'accueil peut se réaliser à partir de la réflexion qu'une équipe de secteur, solidement amarrée à sa base hospitalière, fait sur l'analyse de l'ensemble de son travail ; étudiant l'origine des patients hospitalisés, elle en déduit la nécessité de travailler avec les interlocuteurs qui lui adressent, de façon imprécise les patients, pour elle ces interlocuteurs sont les urgences des deux grands centres hospitaliers présents sur leur territoire. Une telle analyse ouvre les clés des projets à élaborer pour évaluer la réalité des difficultés qu'ont les patients pour accéder aux soins dans de bonnes conditions, lesquelles ne sont pas toujours celles des urgences, n'est il pas possible d'intervenir avant les urgences ? Cette équipe de secteur, (comme toutes en fait pourraient le faire) comprend alors qu'elle doit se 'mobiliser', cad au lieu d'attendre que les patients lui soient adressés après avoir été bien 'contenus' (pour ne pas dire trop souvent 'ficelés') par des équipes d'urgences trop frileuses (pour ne pas dire craintives), cette équipe comprend que ce qui est 'urgent' c'est d'aller au devant d'eux : aller aux urgences à chaque fois que nécessaire, et aussi aller à domicile en ayant pris soin d'installer un réseau téléphonique permettant d'être contacté en permanence ; dans chacune de ces situations il s'agit 'd'évaluer' souffrances et troubles, et à partir de là réaliser un vrai travail d'Accueil, cad d'introduction aux soins. Elle crée alors une " Unité Mobile d'Evaluation et de Soins ". Ce travail est actuellement réalisé par " une équipe transversale ", cad par la mise en disponibilité potentielle de soignants des différentes unités de soin de l'équipe en fonction des demandes reçues à la permanence téléphonique.

Les critiques, en particulier Isabelle Aubard pour les CEMEA, ont mis en évidence dans le travail de cette équipe la valeur de " laboratoire du travail de secteur " qu'a toute pratique d'accueil, sa capacité d'analyser la réalité du soin et la réalité sociale, données de base qui lui sont apportées par sa disponibilité et qui permettent à une équipe de secteur de bâtir le 'projet de secteur' que nous venions de travailler le matin même. Une telle démarche permet de se sentir 'armés' pour continuer à réfléchir sur l'efficacité potentielle de l'équipe de secteur dès que celle ci adapte ses outils aux besoins de son secteur, elle permet de rechercher de nouvelles formes de réponse, en particulier elle reconnaît la nécessaire " mobilité " d'une équipe d'accueil, et sa capacité à redonner de la force à la mise en pratique de la continuité des soins dans la réalisation de ce travail d'accueil.

3ème triangle autour de l'espace ; les lieux

Dimitri Karavokyros, le lendemain matin, a replacé la dynamique de l'Accueil dans l'histoire de la psychiatrie, montrant le passage riche que ce travail établit entre une psychiatrie " esquirolienne " centrée sur l'établissement de soin et la psychiatrie post-esquirolienne déplacée sur le tissu de la Cité. L'Accueil, dans sa fonction d'articulation des soins avec la diversité et la complicité du tissu, lui est toujours apparue comme une étape prémonitoire de la démarche à venir de la psychiatrie de secteur, du fait de son ouverture, de sa mobilité, de son exploration, de l'humain qu'elle institue. Il répétait ici ce qu'il dit depuis plusieurs années : à son avis les pratiques développées par l'Association Accueils sont en avance de 10 ans sur la psychiatrie de secteur.

L'équipe du Dr Bantman nous a alors montré comment le déchirement d'une équipe, frappée inopinément par une décision administrative de fermeture d'un centre d'Accueil et de Crise, peut réagir et trouver là paradoxalement une énergie nouvelle. D'abord l'ensemble de l'équipe a pu constater que l'équipe de ce centre s'était auparavant égarée dans un fonctionnement sclérosé où elle avait perdu sa disponibilité originale, elle ne recevait les patients que dans certaines conditions ; on a ainsi constaté qu'un centre d'Accueil-Crise, comme tout autre structure de soin psychiatrique, peut rapidement se pervertir ; c'est l'enseignement de l'histoire de la psychiatrie que nous rappelait souvent Gladys Swain. La fermeture du centre de Crise devient alors l'occasion pour l'équipe de retrouver force et imagination, en fermant les lits du centre de crise, elle devient centre d'Accueil, certes avec un personnel diminué, mais elle redevient ouverte, mobile, elle se déplace auprès des acteurs de la ville, les transforme en partenaires ; rend visite à la police, aux pompiers, aux centres sociaux, elle fait là de bonnes surprises car découvre que tous les partenaires ne sont pas hostiles, écarte les fantasmes de crainte mutuelle ; cette démarche lui a donné accès à la vraie structure sociale de la ville, le soin prenant appui sur cette base, car non contente de se déplacer elle mettait en liens tous les acteurs qui avaient été en contact avec cette personne, et initiaient la continuité du soin.

A M Leyreloup (pour le SERPSY) et le Dr Jany, nos nouveaux critiques, ont montré comment cette évolution avait permis à l'équipe de secteur de redevenir disponible, et comment elle a enfin installé la continuité dans son activité, car les unités de ce service, auparavant sans contacts entre elles, mais maintenant à propos de chaque patient vu à l'Accueil, échangeaient entre elles leur connaissance du patient. Ainsi étaient remis sur l'ouvrage les principes fondamentaux du travail de secteur (disponibilité, continuité, contexte).

La discussion d'ensemble a permis d'aller plus loin encore, et a amorcé un débat qui mettait en évidence dans l'histoire des centres d'Accueil-Crise comme dans l'histoire de la psychiatrie le poids injustifié des lits ; nous avons rappelé que dans l'arrêté du 14 mars 86 les lits ont été attribués systématiquement aux centres de Crise, cette addition de lits n'avait pourtant aucune justification 'clinique', cela a malheureusement eu comme effet de faire croire aux équipes de secteur qu'il fallait mettre des lits dans un centre de crise (le modèle suisse n'en avait pas). Nous avons en général pu constater l'effet négatif des lits dans ces centres : ils 'bloquent une partie de l'effectif dans une fonction de 'surveillance' qui enlève toute disponibilité aux soignants ; de plus cette surveillance est le contraire d'un soin d'accueil, car au lieu de stimuler le patient elle l'installe dans la dépendance, tout en constituant une dépense de moyens en personnel excessive pour 4 à 6 lits. Ceci éclaire mieux à quel point dans l'histoire de la psychiatrie de secteur le lit a joué en France un rôle très négatif ; c'est une fausse conception du soin autour du lit qui a justifié aux yeux de certains la nécessité de maintenir des lits, alors qu'avec les lits ils installent la dépendance des patients et bloquent le personnel à une surveillance inactive. La conséquence en a été extrêmement grave car elle a donné une fausse justification du maintien des grandes concentrations hospitalières qui restent, quoiqu'on fasse, inhumaines ; à l'inverse nous pouvons constater que le lit hospitalier est un facteur supplémentaire de désinsertion alors que dans la vie quotidienne il est facteur d'insertion ; enfin il pervertit les débats concernant les moyens en continuant à tout centrer sur le lit au lieu de parler en termes de " place de soin ". De façon plus subtile la présentation de cette équipe montrait que l'histoire de cette équipe de secteur mettait en valeur le rôle positif du changement en psychiatrie. C'est ici un changement obligé qui avait mis en évidence le fonctionnement sclérosé antérieur et donné accès à une forme de travail nouvelle et stimulante. La plupart des équipes ont fait ce constat de la survenue rapide de l'usure de chaque forme de travail en psychiatrie et l'intérêt de proposer régulièrement des formes nouvelles de travail donnant à nouveau accès à la créativité et l'imagination des soignants dans la mise en place des soins. C'était insister encore sur l'intérêt qu'une équipe de secteur a de 'dresser' des 'projets' de secteur successifs (ou un projet quinquennal global) : ainsi la succession dans une même équipe de fermeture et d'ouvertures d'unités est très stimulante pour l'équipe, même si elle déstabilise… certains administrateurs. Nous avons en effet pu constater ici que les équipes avaient à affronter deux types de pression contradictoires, les unes économiques venant des contraintes administratives, les autres cliniques venant de l'évolution des demandes de la société. Faut il baisser les bras, faire comme si on ne pressentait rien, ou se préparer à la suite ?

La grande leçon à tirer alors, qui nous est apparue comme qualité primordiale pour une équipe de secteur, est sa capacité d'anticipation : une équipe de secteur pour répondre à sa fonction, doit pouvoir constamment " anticiper " le poids de ces différentes pressions, proposer des solutions aux problèmes qui sont en train de se présenter, plutôt que d'attendre qu'arrivent des décisions administratives toujours à moitié aveugles quant à la défense des exigences des soins. Analyser la réalité dans sa complexité. Ensuite " anticiper ", en faisant de nouveaux projets, permet d'associer changement et continuité, et donne accès à la créativité qui est au cœur de la psychothérapie comme de toute pratique de soin en psychiatrie.

4ème triangle : autour de la transmission

Nicole Rumeau au nom de la SOFOR évoque le rôle stimulant pour la psychiatrie de regards et d'analyses extérieurs, ainsi ceux du philosophe Francis Jeanson, depuis 30 ans, attentif, exigeant et critique à l'égard des acteurs de la psychiatrie et ayant de ce fait créé un organisme de formation permanente pour les soignants, la SOFOR. Nicole Rumeau, forte de cette expérience vient 'provoquer' en nous interrogeant sur les raisons pour lesquelles de si nombreux infirmiers dans les équipes de secteur se décrivent isolés, abandonnés par les psychiatres, voire écrasés par certains médecins et certains cadres ayant mis de côté toute fonction soignante pour ne plus faire que du 'contrôle' ou de l'administratif. Son témoignage sur la souffrance des infirmiers, qui n'a pas comme seule cause la diminution des psychiatres, réelle dans certains endroits seulement, invitait à s'interroger sur ce qui constitue le dynamisme des équipes, ce qui permet à une équipe de se construire en permanence pour effectuer son travail.

Les représentants des usagers et des familles sont à nouveau intervenus comme critiques, Gérard se définissant comme usager et donnant à l'appui le nom du trouble qu'il a, interpelle à son tour les psychiatres présents en leur demandant pourquoi et comment les psychiatres peuvent hospitaliser quelqu'un pendant deux mois en psychiatrie sans lui dire ce qu'il avait, sans lui dire le nom des médicaments prescrits, lui même avait été mieux à partir du moment où le diagnostic lui avait été donné. A ce moment un autre usager, présent dans la salle mais non prévu dans le débat, interpelle Gérard pour lui dire qu'il n'avait pas à accepter d'être défini comme malade, et qu'il n'était pas obligé de prendre ce médicament ! Gérard ne s'est pas laissé démonter…Ce débat montrait bien que nous sommes là au cœur de la difficulté du soin en psychiatrie. Maïté Arthur comme parent, vient au secours des infirmiers, elle souligne que les familles savent que les soignants aussi souffrent, mais elle pense que cette souffrance est une souffrance partagée par les familles et les soignants, d'où l'importance de se rapprocher pour se soutenir, car ces souffrances, celles des soignants, comme celles des familles, sont bien la suite de la maladie qui touche le patient, et contre laquelle tous doivent s'allier.

Ensuite le Dr Andrieux au nom des 2 équipes de Meulan, accompagné du Dr Viso médecin urgentiste de cet hôpital, a montré comment 2 équipes de secteur étaient capables de se déplacer aux urgences à la demande de l'hôpital général, et ensuite obtenir actuellement ( !) la création d'un centre d'Accueil-Crise qui pourra jouer un rôle d'interface entre société et psychiatrie. Cette collaboration étroite démontrée entre psychiatrie et médecine prouvait qu'un hôpital général moyen était encore capable à notre époque de renouer avec la tradition ancestrale du vrai hôpital général : au lieu de fuir vers l'hyper spécialisation, cet hôpital, qui a clairement été construit dans un quartier 'chaud' de la ville, accueille sans orientation préalable toute sorte de demandes urgentes et associe Accueil des souffrances somatiques, psychiques, sociales avec la présence des différents acteurs concernés, ceux ci réalisent un travail de concertation qui s'appuie sur les compétences de chacun. Voici encore une équipe réalisant une autre forme originale de " travail d'accueil " (sans compter que l'implantation de l'hôpital a calmé le climat du quartier).
Pour clore l'ensemble de ces 4 demies journées, forts de l'assurance de la continuité de l'Association (puisque l'assemblée générale avait la veille élu un solide CA, jeune, dynamique, et inscrit dans la continuité, qui va élire à son tour son nouveau président et son nouveau bureau le 12 juin) la dernière séance devait inclure la prestation des 3 membres de l'Association qui avaient été chargés de faire l'impossible : nous aider à réfléchir sur un rebondissement possible de l'Association Accueils et de ces journées vers l'avenir dans un " mouvement ".

Emmanuel Digonnet, infirmier à St Maurice, et acteur très actif dans le site de SERPSY, nous a, avec un humour rare mais époustouflant, entraînés à courir avec lui à la recherche …du bout du secteur, que certains n'en finissent pas d'annoncer, déroulant devant nous cette infinie litanie en quête de cet insaisissable bout…qui n'en finit pas d'arriver…puis d'être promis…et qui échappe…

Yves Gigou, cadre infirmier supérieur à Villejuif, a rassemblé les fils historiques du secteur et de l'accueil, Bonnafé, Amado, décrivant l'accueil en reparlant de la vie des soignants aux côtés de celle des patients. Il a insisté, en s'appuyant sur l'exemple italien, ayant 15 jours avant, revisité Rome avec une délégation officielle du Val de Marne auprès des stimulantes 'coopératives' en santé mentale, il a insisté sur le fait qu'une décision forte comme celle de décider que dans tous les secteurs devraient s'ouvrir en ville hors hôpital des lits de psychiatrie, et sa conséquence la fermeture des concentrations inhumaines des grands hôpitaux psychiatriques, une telle décision ne peut venir d'équipes dispersées, mais seulement de l'Etat.

Patrick Chaltiel a eu le courage enfin de reprendre le thème d'un " Mouvement de psychothérapie secteur " et d'associer pour ce faire psychiatrie, psychanalyse, et philosophie en nous invitant à approfondir comment l'accueil dans la psychiatrie de secteur est un travail psychothérapique ; ceci permet d'apprécier à quel point, même si le traitement n'implique pas l'action de tous les acteurs, mais seulement les professionnels, un travail psychothérapique se développe pourtant clairement dans la Cité au contact de ces différents acteurs avec le patient, contact associant professionnels de la santé et sociaux, avec les familles et les patients eux mêmes. Le lien avec les philosophes est une piste forte pour garder l'homme et son entourage au cœur de nos préoccupations.

Nos derniers critiques, Dimitri Karavokyros et Bernard Odier ont conforté et approfondi ce travail " au contact " des patients et des acteurs de la ville. Le professeur Naudin a souligné avec subtilité que le travail de secteur se déployait ainsi comme un comportement de " bon voisinage " ; de là certains ont cru que l'on se perdait dans le social ; il a pu être précisé aussitôt que c'était seulement souligner que c'est bien sur cette réalité " simple " (qui, en réalité, demande une grande expérience) que se déployait le soin, au lieu de croire, comme autrefois, qu'il fallait éloigner le patient de son milieu, ici c'est la subtile association de l'humain et du soin qui est au travail. Ils ont, avec la salle, rappelé que l'histoire de la psychiatrie n'était pas une suite de ruptures de discours, mais plutôt le renouvellement de pratiques avançant grâce à la poursuite de réflexions cliniques associant les acquis du passé et les leçons du présent ; certes la psychiatrie autrefois avant le secteur, intégrait la vie en totalité dans les asiles, puis dans les hôpitaux. La loi portant réforme hospitalière de 1970 a définitivement et profondément cloisonné la santé mentale en 2 compartiments étanches, séparant les soins dirigés par les directeurs d'hôpitaux qui ont sévèrement garder sous leur emprise les équipes de secteur, - et le champ social soutenu par la loi de 1975, mais qui en dehors de l'allocation n'a pas bénéficié aux handicaps psychiques. L'action récente de l'UNAFAM et de la FNAPSY a invité le gouvernement à combler les lacunes de cet espace nettement déshérité en demandant le renouvellement de cette loi de 1975. L'enjeu pour l'avenir est donc bien d'établir une continuité entre sanitaire et social, entre soins et aide au handicap.

Hélène Chaigneau avait accepté d'intervenir comme elle sait le faire pour remettre par des liens subtils chacun devant ses propres impertinences et l'inciter ainsi à une réelle rencontre avec le patient. Un moment de fatigue l'a empêchée de se joindre à nous. Cette experte en art de la parole nous a manqué, nous avons été obligés, cela lui correspond bien au fond, de terminer en nous posant entre nous des questions, à notre manière.

Nous avons d'abord été admiratifs de la capacité de travail que peuvent avoir ensemble cent personnes rassemblées tout au long de ces deux jours où les séances étaient de deux heures et demie, sans interruption (ce qui a découragé le libraire…). Nous avons tous été comblés de constater que la diversité des origines et des professions de ces 100 personnes, au lieu de nous bloquer, avait abouti à une réflexion commune profonde sur la psychiatrie, la psychothérapie, la rencontre, le secteur, la santé mentale…mais l'événement le plus fort a été de constater la place irremplaçable prise maintenant par la présence et la parole des familles et des usagers. Certes leur présence ayant été annoncée clairement chacun était attentif au souci de clarté nécessaire, mais cela n'a pas toujours été simple. Claude Finkelstein avec son audace habituelle a pu dire aux soignants que leur langage n'était pas toujours respectueux (ainsi elle ne supportait pas de s'entendre appelée " vignette clinique ", même si c'est mieux qu'être nommée " un cas "), ni compréhensible (et alors 'fatiguant') au point que certains, sans se rendre compte qu'ils étaient pris au piège, ont pu dire que les propos des patients et des familles étaient vraiment 'agressifs'…en fait ceux ci étaient tout simplement 'non-professionnels', et pour cause, et il fallait bien convenir que ces propos naïfs de non-pro recelaient en fait une dose de " compétence " inattendue qui déstabilisait manifestement les professionnels de la psychiatrie, et que par ailleurs nous avions à apprendre à parler une langue simple.

Après ce constat il était clair que vouloir prévoir l'évolution à venir nous échappait, mais par contre les conditions à promouvoir pour les futurs débats étaient évidentes : aucun débat de fond ne peut plus se tenir sur la psychiatrie sans la participation régulière des usagers et des familles. Ne résistons à cette nécessité en prétextant que cela risque de rendre l'Etat plus fort, c'est le contraire qui va arriver, l'Etat sera obligé d'être plus attentif à des arguments d'électeurs qui ne peuvent plus être taxés de corporatisme. Il n'en est pas moins vrai que la réflexion 'clinique' constituera toujours un point 'aveugle' pour les patients, mais on sait qu'il est au centre de l'échange thérapeutique pour chaque patient. Il s'agit bien d'une nouvelle clinique, car l'espace de l'observation des troubles et les modalités des soins ne sont plus comme à l'asile, ni comme à l'hôpital, mais dans la Cité. Il est clair qu'une telle modification va entraîner des difficultés dans les rencontres, mais le bénéfice pour chacun sera tel qu'elles seront dépassées, en particulier en continuant, pour échanger, à s'appuyer sur la constitution de triangles : ici la famille avec patient et professionnels, là le citoyen, l'Etat, l'administration, chacun deviendra tour à tour une pointe du triangle, garant alors de ce passage d'une psychiatrie fermée sur elle même à une psychiatrie ouverte sur la vie.

Pour conclure des remerciements rapides mais très chaleureux se sont échangés entre les différents acteurs et spectateurs, tous ayant été actifs lors de ces 2 journées. En particulier l'équipe du Dr Boissinot-Torrès qui nous a si chaleureusement accueillis à Marseille. Un rappel a été fait à ce propos : le congrès qui durablement marqué la réflexion des professionnels de la psychiatrie, celui de 1964 à Marseille par Le Guillant, Mignot et Bonnafé sur la " chronicité " et sa proposition, pour permettre la découverte du travail de la psychiatrie de secteur, de créer des " structures intermédiaires entre l'hôpital et le dispensaire ", forte référence qui a marqué l'histoire du secteur.
Les équipes d'Accueils, en particulier Gigou, des CEMEA, de SERPSY, et de la SOFOR ont été ensuite félicités pour l'organisation, ainsi que tous les intervenants et les acteurs de toute la salle pour leur participation. Ce long résumé ne traduit pas la coloration particulière des échanges, certainement due à la qualité de l'investissement de chacun, rare, et à la diversité des acteurs. Ce texte n'en est qu'un modeste témoignage. Il ne saurait être suffisant ; ainsi chacun souhaite que tous les intervenants transmettent leur texte écrit le plus rapidement possible (par retour du courrier, sinon les vacances viendront trahir la mémoire). Le nouveau CA s'est engagé à trouver les moyens d'en faire des " Actes " qui constitueront un document de travail de référence.

(vous pouvez les adresser à mon mail, ou à mon adresse je les transmettrai au nouveau président) baillon.guy@noos.fr (15 avenue Rapp, 75007, Paris)
N'oubliez pas aussi d'utiliser régulièrement le site de SERPSY .

Bien cordialement.

Guy Baillon