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Thérapeutique et sociologie


Je dirais avant tout que le terme " thérapeutique " qui nous rassemble ici aujourd'hui est peu utilisé chez les sociologues et c'est donc en non-spécialiste que je m'adresse à vous.

Il s'agit en ce jour de malmener ce terme de thérapeutique. Donnons nous alors au départ, quelques définitions afin de mieux cerner ce terme et que celui-ci ne reste pas une prénotion pour parler comme Durkheim.

La méfiance envers ces notions communes passe par une vigilance critique à l'égard des mots couramment employés, lourds de connotation, vis à vis de ceux que l'on use "sans y penser" comme on dit. Quand ils parlent du monde social, les mots et par conséquent les notions qu'ils impliquent ne sont jamais neutres. Nietzsche le soulignait déjà en pointant le "danger du langage pour la liberté de l'esprit". "Chaque mot est un préjugé". Ces précautions nécessaires ayant été prises, déconstruisons le terme " thérapeutique ".

Thérapeutique : adjectif du nom thérapie provient du grec " thérapeia " qui signifie soin. Mais que sont ces soins ? Des actes par lesquels on soigne. Soigner comme le dit le dictionnaire signifie s'occuper du bien être, bichonner, chouchouter mais aussi traiter. Si tout est soin, du baby-foot au bande de contention, rien ne l'est.

Ici dans ce haut lieu de la psychiatrie, référons nous à la maladie mentale, (rappelons que ce terme recouvre des pathologies très différentes), nous pourrions avancer qu'il y aurait deux grandes techniques de soins : les médicaments et les diverses psychothérapies et autres choses qui ne relèveraient pas tout au moins immédiatement du soin, que l'on nomme occupationnel faute de mieux et dont les loisirs occupent une large place.

Il faudrait faire une ethnographie des soins et des non soins. Cela demanderait d'observer dans les services en ayant en tête toujours cette phrase célèbre de Bergson : " N 'écoutez pas ce qu'ils disent, regardez ce qu'ils font "

Il est patent que les soignants ne partagent pas nécessairement le même point de vue de ce qui est thérapeutique et de ce qui ne l'est pas. En tant que tel, la sociologie n'a pas à trancher dans le vif du débat qui les mettrait au prise. Elle ne prétend ni ne doit apporter dans un sens décisoire des réponses à la place des acteurs et/ou des patients auxquels celles ci incombent en fait.

Mais elle peut, et c'est cette démarche que je vous propose ici, s'ingénier à déceler, ("il n'est de science que du caché" disait Bachelard), les enjeux, les présupposés, les malentendus, Problèmatiser les situations, mettre en lumière tous les aspects sociaux, s'efforcer de rendre explicite ce qui reste à l'ordinaire implicite et manifeste ce qui est latent, voire "refoulé". Mais si l'on admet qu'une partie de baby-foot, de tarot ou de tout autre chose est thérapeutique et donc relève du soin. Que soigne t'il ?

Le patient ?
Sa maladie ?
Le symptôme ?
Son âme ?
Son esprit ?
Sa psyché ?
Son moi ?
Ou bien aussi les relations sociales avec les autres ?
Soigner pour qui et pour quoi ?
Pour le patient ?
Pour son entourage proche ?
Ou est-ce soigner pour soigner et pourquoi pas parfois soigner pour guérir ?
La question qui nous vient maintenant à l'esprit : Pourquoi ce qui serait occupationnel " Il y a un vide dans la journée, il faut occuper le temps " se passe le plus souvent dans des institutions totales si bien étudiées par Goffman dans " Asiles ".

Nous retrouvons donc des patients plus ou moins enfermés dans une institution totale pour des soins et des non soins.

Ne sommes nous donc pas là, face à la situation décrite par Castel dans la préface de l'ouvrage de Goffman : " Que le soignant par rapport au soigné, c'est aussi le savant par rapport à l'ignorant". Le soignant, il faudrait distinguer le médecin, les infirmiers, les aide-soignants qui n'ont pas les mêmes statuts et ne font pas la même chose représentent les normes et le pouvoir face au patient. Toutes ces dimensions me semble t'il viennent alors surdéterminer le rapport thérapeutique.

Si l'on admet qu'un jeu peut être thérapeutique, pourquoi devrait-il se dérouler dans une structure de soin ? Les patients jouent-ils ensemble ?
Dans ce cas, ils se soigneraient les uns les autres.
Jouent-ils avec un soignant ?
Quel est alors son rôle ?
Alors à quel titre est-ce thérapeutique ?
Et quelle est la place, surtout, du patient au cœur de ce dispositif ?

Quelques mots encore si vous me le permettez. Il me semble qu'en tant que sociologue : soigner c'est aussi envisager ce qui peut être efficace, conforme à un ensemble de normes sociales plus ou moins arbitrairement admises.

Je vous rappelle que les normes sont construites socialement. Toute thérapie dans cette optique a pour objectif de transformer l'esprit humain et de le normaliser. Enfin, il me semble que le terme thérapeutique et son extension sémantique recouvre des situations diverses et variées. Il ne s'agit pas temps d'une question de mots que d'une question de faits et surtout prendre avant tout en compte le patient qui est le premier concerné.

J'espère que cette intervention sera parvenue a susciter votre intérêt ou du moins à ne pas lasser votre attention.

La parole, écrit Montaigne, vers la fin du livre III des Essais est moitié à celui qui parle, moitié à celui qui l'écoute.


Pierre François Large

Sociologue


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