SYMBOLE DE LA PLACE DE LA PROFESSION DANS LA SOCIETE
Introduction
- Premier domaine : les sciences infirmières constituées d'un savoir organisé. On pensait pendant longtemps que ce type de savoir était le seul digne de recherche
- Second domaine : c'est l'art infirmier, la subjectivité tel que Péplau (1983) peut la décrire.
- Troisième domaine : c'est le savoir personnel issue de l'intuition et de l'authenticité de l'infirmière avec le patient. Ce savoir personnel se développe à travers les apprentissage que peut faire l'infirmière des situations de vie
- Quatrième domaine : c'est le savoir éthique ou l'infirmière est souvent le rempart vers l'impossible. Par le fait de son rôle d'avocat du patient, elle devrait dire en regard de ces valeurs humanistes ce qui doit ou devrait être fait auprès de celui-ci.
Cette approche des savoirs infirmiers attire notre attention sur la complexité du soin mais aussi de la profession. En effet, les professionnelles du soin infirmier doivent faire appel pour répondre aux besoins des patients à une multitude de connaissances et de modèles théoriques issues de disciplines diverses. En outre, ces différents savoirs doivent se réintegrer dans une perspective infirmière afin d'en assurer la spécificité (quel est la contribution unique de l'infirmière par rapport à d'autres professionnels du soin). De ce fait, il est licite de penser que les écrits infirmiers retranscrire ces différentes dimensions afin de remplir le mandat social que l'infirmière a envers la société. Le constat majeur que nous pouvons encore faire est la pauvreté des écrits infirmiers français dont la composition principale est issue du savoir médical. Cet état de fait a des conséquences importances, outre le fait de conceptualiser le patient comme un organe et de reproduire le savoir catégoriel médical issue de la pensée de descarte, il maintient la profession dans une dimension de metier (notion d'acte et non de savoir) entraînant ainsi une non reconnaissance de celle-ci au niveau intellectuel, social et politique. Après cette longue introduction, je souhaite développer avec vous quelques points au sujet de l'écriture reflet de la place de la profession au sein de la société.
Dans un premier temps, je ferai référence à une étude de Walter (1988) sur les écrits d'étudiant en soins infirmiers. Dans un second temps, je développerai de façon brève les supports utilisés pour les transmissions des infirmières françaises. Enfin, dans un troisième temps, je proposerai une approche de l'écriture infirmière en lien avec une perspective infirmière.
L'étude de Walter (1988) sur les écrits infirmiers
Walter (1988) lors de sa thèse a examiner les écrits infirmiers sous toutes ses formes ainsi que les supports d'écriture. Plusieurs dimensions ont été abordées mais celle que j'aimerai vous faire partager est l'étude sur les écrits des étudiants infirmiers à travers l'analyse de leurs devoirs. Walter (1988) a retenu par exemple pour exprimer la représentation du savoir infirmier les phrases indiquant :
- les techniques de soin
- les relations
- les sentiments cachés
- une démarche mentale
- un savoir etre
- un savoir faire
- etc.
En première année, il apparaît sur 68 devoirs que les informations médicales sont les plus représentatives, puis vient l'identité du patient. Les informations concernant une écoute du patient sont inexistantes. En deuxième année, il apparaît sur 68 devoirs que l'information médicale reste la plus importante. Par contre, les besoins psychologique du patient interpellent les étudiants. Enfin, en troisième année, il apparaît que sur 80 dossiers, que l'information médicale est toujours prépondérantes. Par contre, il semble émerger une volonté prise en charge globale du patient.
Walter (1988) se pose la question du but de la formation de base qui semble s'orienter vers une pratique d'infirmière auxiliaire du médecin. De plus, le savoir infirmier semble interpeller de façon modéré les étudiants de troisième année. Walter (1988) se pose aussi la question de l'évaluation proposée par les cadres enseignants du savoir-infirmier et donc de leur difficulté de construire des critères qui cibleraient des écrits en regard du rôle propre. Même, si cette recherche comporte de nombreuses limites, elle a le mérite de montrer l'importance de l'écriture comme phénomène d'analyse et d'interprétation. En effet, je reste persuader que l'écriture est le témoin visible de notre conception infirmière. Depuis 1988, il n'apparaît pas d'étude qui ont reexaminé les écrits infirmiers en soins généraux ce qui nécessiterait à l'heure actuelle de plus ample investigation.
Dans un contexte politique d'aménagement et de réduction du temps de travail, la profession risque de payer très cher le passage au 35 heures par le fait de la priorisation des taches en regard de l'activité médicale. En effet, par le fait même d'un quota de remplacement moindre que les besoins réels, il est licite de penser que les soins du rôle propre céderont la place aux soins délégués.
La vague des diagnostics infirmiers comme support d'une écriture infirmière retraçant le rôle propre.
Si le concept de diagnostic infirmier est apparu aux USA en 1950, il n'a pu être introduit en France avant 1980 malgré les efforts de Mordacq (1969). Par contre aux USA, il faisait partie du vocabulaire courant des infirmières dès 1973 ou eu lieu la première conférence sur le sujet ce qui permis par la suite la création de la NANDA (North american Nursing Diagnosis Association) qui représente à l'heure actuelle un puissant moteur de développement et de recherche sur les diagnostics infirmiers.
La NANDA (1990) définit le diagnostic infirmier comme l'énoncé d'un jugement clinique sur les réactions aux problèmes de santé actuels ou potentiels, aux processus de vie d'une personne, d'une famille ou d'une collectivité. Le diagnostic infirmier sert de base pour choisir les interventions de soins visant l'atteinte des résultats dont l'infirmière est responsable.
La France a subit une vague déferlante de ce concept sans adaptabilité à notre culture et à notre niveau de formation infirmière ce qui aboutit à un échec d'implantation dans la plupart des hôpitaux malgré les sommes considérablement investie. De plus, les étudiants en soins infirmiers ont subi en permanence une incohérence entre la formation défendue par les IFSI et la réalité de terrain ce qui n'a pas favorisé une harmonisation des écrits infirmiers et donc de la reconnaissance professionnelle. On peut se demander d'ailleurs comment les étudiants ne sont pas devenus plus schizophrène. Le constat majeur est que cette génération d'étudiant a rejeté après quelques années de pratique ce mode de transmission et d'écriture sans pour cela avoir trouvé des supports d'écritures plus adaptés. La question qui me semble pertinente est de savoir si l'écriture d'un diagnostic infirmier contribue à l'avancement de la discipline infirmière. Plusieurs thèmes vont être abordés afin d'éclairer notre raisonnement
- Le diagnostic infirmier et ses assises conceptuelles.
- La formulation des diagnostics infirmiers
- Le savoir infirmier français est-il en adéquation avec l'utilisation des diagnostics infirmiers ?
- L'échec de l'implantation en France des diagnostics infirmiers
- Les avantages du diagnostic infirmier
Le diagnostic infirmier et ses assises conceptuelles.
Les différentes auteurs ne proposent pas d'assises conceptuelles disciplinaires mais un modèle qui sert de référence (modèle bifocal de Carpenito qui décrit les rôles) pour toutes les conceptions infirmières. Par contre, il est concevable de penser qu'une infirmière ayant comme conception infirmière selon Henderson ne formulera pas les mêmes diagnostics que celle qui s'inspire de Peplau par le fait même que les concepts d'intérêt de chaque modèle est différents. Par conséquent, il faudrait reformuler tous les diagnostic infirmiers pour chaque modèle conceptuel afin de tenir compte des orientations proposées par celui-ci. De ce fait, le passage à l'écriture d'un diagnostic infirmier par les infirmières apparaît difficile car il ne s'exprime pas en fonction de leur conception du soin et donc de leur mot mais d'une nomenclature rigide et catégorielle alors que l'infirmière entrevoie le patient selon une perspective globale.
La formulation des diagnostics infirmiers
Il est surprenant de constater que certains diagnostics reprennent des items médicaux alors qu'une des finalités du diagnostic infirmier est de differencier l'écriture médicale et infirmière (exemple du diagnostic de débit cardiaque diminué). De plus, les méthodologies utilisées pour la validation des diagnostics ne suivent pas toujours des cheminements les plus rigoureux . De ce fait, l'écriture des diagnostics infirmiers devient sujet de contestation par les médecins puisqu'ils empiètent sur leur domaine sans pour cela avoir des assises théoriques aussi rigoureuses.
Le savoir infirmier français est-il en adéquation avec l'utilisation des diagnostics infirmiers L'utilisation de certains diagnostics nécessitent un certains nombre de savoir que le programme des études en soins infirmiers ne proposent pas. Par exemple, pour poser un diagnostic infirmier de stratégies familiales inefficaces, il est licite de penser que l'infirmière possède des connaissances sur la systémique familiale avec en autre l'utilisation du modèle de Galgary. Or en France ce sujet n'est pas abordé par toutes les IFSI ce qui limite l'utilisation des diagnostics infirmiers en fonction des savoirs infirmiers français dispensés. Il aurait été judicieux d'adapter les savoirs à acquérir en fonction des exigences de connaissances requis pour l'utilisation correcte des diagnostics infirmiers.
L'échec de l'implantation en France des diagnostics infirmiers.
L'écriture des diagnostics infirmiers en France ne semble pas été suivie par les infirmières malgré les sommes colossales dépensées par les directions de soin pour son implantation. De plus, il a positionné les infirmières comme des concurrentes aux médecins par le simple fait de l'utilisation du mot diagnostic ce qui n'a pas parfois arrangé nos rapports. La continuité de son enseignement sans se pencher sur sa pertinence à la fois conceptuelle, théorique et empirique ne peut-être que voué à l'échec. L'écriture de l'infirmière française n'a été que très peu influencée par ce mode de pensée ce qui me fait dire que les infirmières françaises ont une conception bien précise du soin mais qui n'a pas été encore explicitée.
Les avantages du diagnostic infirmier
- il permet de développer l'examen clinique du patient qui doit être une des sources primaires de nos préoccupations. Les étudiants infirmiers devraient à mon avis être évalué régulièrement sur cet examen clinique et ceci dans les dimensions bio-psycho-sociale-culturelle et spirituelle.
- Il permet de se confronter à une démarche systématique d'analyse et de résolution de problème qui devrait servir d'aide à la mise en place de décisions thérapeutiques infirmières
- Il permet de centrer l'infirmière sur des problèmes inhérents à son rôle propre et donc de développer le rôle professionnel mais pas disciplinaire
- Il permet l'utilisation d'outil de charge en soin comme le PRN .
Une solution intermédiaire : les transmissions ciblées
Toujours d'inspiration américaine et de la logique des diagnostics infirmiers, les transmissions ciblées ont pour objectifs de rendre opérationnel et vivant les diagnostics infirmiers par en autre des formulations plus simples.
Les transmissions ciblées reposent sur l'utilisation des outils suivants :
- les cibles
- les diagrammes de soin
le diagramme de soin représente un tableau de bord du soin de la personne soignée et il permet de consigner les activités de soin au niveau des trois rôles infirmiers tels que définit par Carpenito (propre, en collaboration et prescrit) .
les cibles constituent des sonnettes d'alarmes, des clignotants qui alertent les soignants autant au niveau des difficultés que sur des événements positifs pour la personne soignée. Les cibles devraient faire appel le plus souvent aux diagnostics infirmiers.
Les transmissions ciblées sont un moyen de transmission qui semblent être le plus adoptée au niveau des soins infirmiers français. Facile d'utilisation et conservant une grande partie du savoir médical (diagramme de soin), ce mode de transmission questionne peu sur la place unique de l'infirmière au sein des acteurs du soin. Plus finement, on s'aperçoit que sur les trois dimensions du rôle infirmier, le rôle prescrit reste le plus prépondérant. Les soins du rôle propre se réduisent aux soins de base parfois d'ailleurs dénommé nursing (ce qui correspond en anglais aux sciences infirmières) sans parler de l'inexistence des soins éducatifs et à une approche un peu réductrice des soins relationnels (limite non définit entre une information et un entretien d'aide). De plus, la formulation des cibles ne fait que peu appel aux diagnostics infirmiers mais plus à des problématiques examinées selon une perspective médicale (douleur). De ce fait, les cibles sont parfois redondantes avec le diagramme de soin. Enfin, les actions mises en place en regard des cibles ne font que très peu appel aux actions recommandées par le diagnostic infirmier sous-jascent (anxiété).
En conclusion, ce support d'écriture a été plus facilement adopté car il permet d'intégrer plus facilement les soins prescrits souci majeur de l'infirmière en soins généraux (elle se sentira plus coupable de ne pas avoir fait une injection d'antibiotique que de ne pas avoir répondue à une demande d'aide). Par contre, il permet de mettre en évidence les difficultés de positionnement de l'infirmière en regard de son rôle propre qui constitue sa contribution unique. Comme on peut le constater, il ne suffit pas de rajouter des supports d'écriture pour développer l'autonomie professionnelle mais il faudrait abordé le problème de fond qui peut se traduire par les questions suivantes :
- Existe-t-il une nature spécifique de notre service ?
- Quels sont les thèmes d'investigation de notre discipline ?
- Que peut-on attendre de l'écriture infirmière en regard d'un rôle professionnel autonome ?
Comme le souligne Evelyne Adam (1991), expliquer la nature de notre service ne signifie pas refuser de partager certaines responsabilités ou de collaborer avec d'autres disciplines bien au contraire c'est baliser notre champs d'action pour mieux le partager avec les autres. En effet, il apparaît difficile de vouloir travailler en collaboration sans savoir ce que j'amène dans la collaboration.
Depuis plusieurs décennies, les auteurs américaines nous ont légués des conceptions différentes de la profession infirmière à travers les modèles conceptuels. L'importance des modèles conceptuels infirmiers résident dans le fait qu'il propose une façon claire et distincte de concevoir le service que les infirmières rendent à la société, autrement dit, c'est la représentation mentale structurée qu'elles se donnent de leur propre discipline. Le modèle guide aussi la formation, la gestion, la pratique et la recherche. C'est donc un tout coordonné et cohérent de la conception intellectuelle du soin à la pratique au chevet du patient. Chaque infirmière française a une conception implicite du soin et de ce que devrait être la profession. Par contre, la plupart de ses écrits auprès des patients ne laissent que peu transpirer une conception autonome mais plus subalterne. L'importance de s'approprier un modèle conceptuel infirmier, c'est aussi se confronter à la mission sociale et politique de la profession, c'est aussi entrevoir la profession de façon autonome et définissable, c'est aussi une façon de réfléchir de façon systémique à la formation, la gestion et la recherche disciplinaire. De plus, il permet de guider l'analyse des données à recueillir en guidant l'observation des phénomènes à retenir. Enfin, de part sa cohérence structurelle, il permet de guider l'écriture infirmière à partir de plan de soin guide. On pourrait dire que l'adoption d'un modèle est enfermant, nous obligent à répondre à une certaine rigueur, à nous impliquer dans des missions sociales, à rendre des comptes à la société. Je pense que c'est une phase intermédiaire structurale qui permettrait à l'infirmière de prendre conscience de son rôle. L'adoption d'un modèle doit se faire dans sa globalité et ne doit pas rester à l'état d'écrits comme dans les différents projets de soins infirmiers. C'est tout un changement à adopter à partir des valeurs fournies par le modèle (exemple de VH)
- l'infirmière a des fonctions propres même si elle en partage certaines avec d'autres
- lorsque l'infirmière usurpe le rôle du médecin, elle délègue ses fonctions propres et primordiales à un personnel non qualifié. En d'autres mots, l'infirmière peut-être tentée d'assumer le rôle de médecin : en cédant à cette tentation, elle délègue son propre rôle à une personne qui est moins bien préparée à le jouer
- la société désire un service (la fonction propre de l'infirmière) et compte sur ce service, aucun autre travailleur ne peut donner ce service à la place de l'infirmière, n'étant ni aussi bien préparé ni aussi bien disposé que celui-ci.
On peut remarquer que si les infirmières françaises ont souvent utilisé les outils de recueils de données en regard de VH, elles se sont peu penchées sur ce que voulait nous dire VH de la profession. De ce fait, prendre des supports d'écriture sans comprendre la finalité aboutit à un échec. D'ailleurs VH lors de ses différentes conférences en France a bien souligné notre non compréhension de ce qu'elle a voulu apporter aux soins infirmiers.
Au delà des modèles, d'autres auteurs (Donaldson et Growley, 1978) ont examiné les écrits infirmiers américains et ont permis de dégager trois thèmes d'investigation principaux retenus par les infirmières:
- les lois et les principes qui gouvernent les processus de la vie, du bien-etre et du fonctionnement optimal des êtres humains malades ou en bonne santé (découverte des lois sanitaires)
- les modèles de comportements humain en interaction avec l'environnement dans des situations critiques de vie
- les démarches de nature à entraîner une amélioration de l'état de santé (étude menée par Péplau sur les rapports interpersonnels)
Ces domaines d'investigation peuvent nous servir de guide pour l'exploration de concepts qui permettre de développer la profession infirmière de façon autonome et de comparer si nos préoccupation sont similaires à nos consoeurs américaines.
En conclusion, les écrits infirmiers sont d'une importance capitale car il sont le reflet de notre conception du service infirmier et ainsi de notre position par rapport à la société. L'implantation de support comme nous avons pu en bénéficier depuis un certains nombres d'année n'a pas pour cela permis l'amélioration significative de transmissions autonomes car l'infirmière française n'a pas intégré toute la dimension conceptuelle et théorique précédent l'implantation des supports. De plus, l'infirmière française n'a pu aussi s'inspirer de modèle de rôle autonome étant donné le peu d'infirmières cliniciennes formées.
En regard des mouvements européens vers le développement disciplinaire, il apparaît urgent que le corps infirmier français se mobilise autour d'une reflexion disciplinaire de fond ou dans le cas inverse d'assumer son absence au niveau européen. Par contre, s'engager dans cette réflexion, qui doit être faite par les infirmières soignantes, nécessitera de se mettre en avant, de s'exposer au niveau social et politique, d'être parfois en conflit avec les directions de soin mais ce n'est qu'a ce prix que notre métier pourra s'engager vers la voie du professionnalisme. J'espère que les futurs écrits infirmiers pourront refléter cet engagement.
Philippe DELMAS