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Les JOURNECRITURES

Du plaisir des écrituriers toulousains



Marie-Ange

Un jeudi soir, lors d'une réunion de travail, je découvre sur la table une note concernant une formation sur "l'Ecriture Infirmière" Etant consciente, tant de ma difficulté à produire des écrits et à les laisser dans les dossiers, que de la culpabilité grandissante que cela implique au niveau de ma conscience professionnelle; une petite lumière s'allume aussitôt dans mon esprit : eurêka ! Voilà la solution ! Il existe donc UNE Ecriture Infirmière ! Mais c'est bien sur, c'est cela qui me manque : une formation spécifique sur le sujet !
Je formule donc par écrit (et sans difficulté ! ) ma demande pour cette formation qui tombe à point . Bientôt, j'espère, je vais avoir la recette pour dénouer mon poignet, et aussi, il faut bien le dire, cela me permettra de sortir du quotidien professionnel . La réponse est positive, et le calendrier est joint à ce courrier . Génial, dans un mois je vais commencer à apprendre à écrire et de ce fait ma culpabilité va s'alléger !

Annie :

Nous y voilà ! La première matinée est consacrée aux présentations :
L'atelier écriture est un lieu de rencontre et d'échange créé et animé par deux infirmières internes à l'hôpital. C'est aussi une formation nouvelle qui vient enrichir et dynamiser le C .H Marchant.
Il est formé de 10 participants dont une ergothérapeute, huit infirmier(e)s et une surveillante, chacun venant de différentes unités de soins : CMP enfants et adultes, Service Médico-Psychologique Régional, Hôpital de jour, services d'urgences psychiatriques, d'admissions, de moyens et de longs séjours, service pour polyhandicapés.
Chacun y amène différentes expériences, fonctionnements, objectifs, ce qui en fait sa richesse. Malgré ces différences, les difficultés rencontrées sont souvent communes. Des outils, des techniques nous sont apportées pour faciliter et encourager l'expression orale et écrite, la réflexion et l'analyse des situations de soins. Chacun y trouve sa place, chacun est écouté et reconnu en tant que professionnel.
Nous sommes amenés à nous interroger ensemble sur les problèmes de prise en charge de la personne soignée, sur les techniques de soin et notre positionnement. Nous y confrontons les problèmes rencontrés par chacun et ensemble nous amenons une réflexion qui nous permet d'évoluer vers un mieux, malgré toutes les contraintes (…). Chacun confie une partie de soi dans ses écrits et se soulage du poids de certaines " prises en charge ". Ainsi sont partagées des émotions. A l'Atelier écriture, il se passe des choses troublantes. C'est un lieu où on se sent bien, où on se sent réconforté On en sort plus fort, plus armé, pour s'interroger et se projeter dans l'avenir. C'est un espace qui motive l'expression, nous libère et nous renforce dans notre travail de soignants. Il nous amène à prendre conscience de nos capacités, met à jour des points positifs souvent sous-estimés et ainsi renarcissise notre profession et redynamise notre travail. L'engagement à cette formation permet de donner du sens et de la valeur à notre travail, de mener une réflexion philosophique sur la pensée des soins.
Mettre ses idées, son ressenti, ses émotions sur une feuille blanche n'est pas chose facile d'emblée. Lorsqu'il s'agit d'événements concrets à rassembler autour d'un entretien thérapeutique, qui caractérise notre travail, les données peuvent paraître simples. Aller au delà de cette application c'est donner davantage de soi-même, quelque part se dévoiler. Au sein de l'Atelier, cette deuxième phase de l'écriture a pu se réaliser grâce à la reconnaissance, à l'écoute et à la confiance apportées par chaque membre composant le groupe. Ainsi, chacun d'entre nous a pu se découvrir de réelles qualités et ne plus douter de sa capacité à écrire.

Marie-Ange :

Je découvre des personnes de divers horizons professionnels ayant choisi ce stage car elles aussi rencontrent des difficultés liés à l'écriture . Rassurant : je ne suis pas la seule !
En ce qui concerne les co-animatrices, c'est la première fois qu'elles travaillent ensemble et qu'elles animent ce type d'atelier . Mais il me semble bien avoir compris qu'elles ont un passé (et peut être un passif ) conséquent avec l'écriture ...
Bref, elles sont, elles aussi, à la découverte de ce groupe " d'écrituriers" qui ne sait pas : ce qu'il faut écrire, quand il faut écrire, où il faut écrire, parfois à qui il faut écrire et surtout comment il faut écrire .
Très vite, il me semble avoir entendu qu'elles ne nous donneraient pas de recette, mais que l'objectif était que chacun trouve son style d'écriture et le développe. A ce moment là, mon penchant pour la pensée magique en a pris un coup ; et le principe de réalité s'est révélé très, très douloureux !
Comment ? Je viens ici pour apprendre à écrire, et elles ne vont pas me donner LA méthodologie ?!!!! Et en plus j'apprends que ce que nous allons écrire sera publié !

Patrick :

Non, il ne nous a pas été donné de recettes miracles pour apprendre à écrire. A l'inverse, chacun a dû chercher puis cultiver son propre style. Aussi les écrits réalisés ont-ils été chargés de grandes et belles émotions, celles qui étaient les nôtres au moment où nous avons écrit. Chacun s'est extirpé d'un écrit collectif, a dégagé ses propres vertus pour arriver à produire son texte. Il n'a pu être révélé que parce qu'un climat de confiance s'était instauré entre nous. Pour ce qui est du contenu et du sens que nous avons voulu leur donner, ces écrits resteront une trace marquée du sceau de la reconnaissance et de la crédibilité. Nous avons pu cheminer progressivement et vaincre certaines difficultés ou la peur d'écrire. Nous avons découvert dans les textes de tel ou tel poésie et humour, gravité ou gaîté. D'autres étaient tellement chargés d'émotions que nous ne pouvions que nous taire et partager tous ensemble.

Marie-Ange :

La journée se termine sur un exercice de style qui aboutira sur la définition de l'écriture pour chacun d'entre nous. Je reste sans réaction, en panne sèche, ne voyant comment lier les différents mots entre eux et en faire une phrase. Mais voyant les autres gratter et le temps s'écouler, je m'active et accomplis ma tache. Chacun lit ensuite sa production. Il en ressort un mélange de poésie, de romantisme, de beauté et d'émotions intenses. Et, je dois l'avouer, je suis assez satisfaite de ce que j'ai écrit. Dois-je donc être dans l'obligation d'écrire pour écrire ? C'est là une question importante, voire essentielle !!!
Nous nous quittons avec une consigne pour la prochaine fois : " amener un écrit concernant une situation professionnelle ".

Patrick :

Au fils des mois comme par magie ou à la force du poignet, les uns et les autres ont écrits des poèmes de synthèses, des observations romancées, des chansons de gestes soignants, des notes de service branquignoles. Tous nous avons repoussés nos limites. Quoi qu'il en soit, il a fallu faire un don de soi.
Ecrire reste un exercice difficile bien que parfois libérateur. L'écrit fige des sentiments qui se dévoilent. Nous écrivons avec notre logique et notre structure propre. Les mots sont abandonnés sur le papier. Alors que l'oral peut être considéré comme un prêt, qu'il permet l'échange et le débat immédiat, nos écrits, eux, mettent à la disposition des lecteurs nos idées, nos interrogations, nos tourments, nos observations, bref, un concentré de pensées très personnelles. Inévitablement, nous donnons un peu de nous mêmes, en prenant le risque que nos propos soient détournés de leur sens initial. Ce qui est dit a un caractère moins définitif que ce qui est écrit. La trace que nous laissons par l'écriture est empreinte d'une part de notre intime.

Marie-Ange :

Sur le trajet du retour cette consigne résonne dans mon esprit. Ecrire quelque chose pour l'atelier écriture ? Certainement pas!... Mais quand même, il faudra bien que j'amène un écrit. Très vite la solution s'impose : il y a plusieurs mois, suite à une visite à domicile durant laquelle la violence conjugale a été mise en acte, le médecin m'a demandé d'écrire, rapidement, un rapport circonstancié Devant cette demande pressante, je l'ai rédigée et il est donc dans le dossier. Le voilà mon écrit professionnel !!!
C'est donc munie de ce papier que je retrouve le groupe pour la seconde fois, satisfaite de pouvoir lire quelque chose qui est sorti de ma plume mais toute aussi ravie d'avoir contourné la consigne ! La consigne, parlons-en : elle est parfois contournée, parfois détournée, quelquefois oubliée, ou tout simplement non comprise, sinon non entendue ... Ah ! Quelle richesse ce groupe!

Quoiqu'il en soit, nous travaillons, nous échangeons, nous communiquons, bref, nous partageons. Bienveillance, écoute, respect, professionnalisme, chaleur humaine, tous les ingrédients sont là pour que nous nous fassions confiance et que nous nous sentions en confiance . J'en reviens à mon papier. Sa lecture suscite, comme pour les autres, des commentaires. Je suis rassurée sur le fait que ce que j'ai écrit est compréhensible et assez structuré . Mais en serait-il de même s'il avait été lu par chacun et non entendu ? En le lisant, j'y mets une certaine intonation, je suis imprégnée d'un moment de vie de cette famille, j'appuie sur certains mots, faisant ainsi ressortir certaines émotions ... Bref, je maîtrise encore quelque chose. Les mots ne sont pas figés, je les rends vivants par la lecture. Lecture, mots vivants ? Ecriture, mots figés, inanimés ? Une de mes craintes est de ne pas être lue dans l'esprit de ce que j'ai écrit. La séquence professionnelle que j'ai exposée au groupe débouche sur une nouvelle consigne : nous voudrions en savoir plus sur l'enfant, donc pour la prochaine fois il faudrait un écrit le concernant ... Intérieurement je souris. Justement j'ai déjà écrit un topo sur lui pour la dernière supervision à l'hôpital de jour. Et vlam ! Il ne sera pas dit que j'écrirais pour l'atelier écriture !... Ah, résistance quand tu nous tiens !...

Patrick :

Mais, résistance, nous avons été plus forts que toi !

Anne-Marie (servie par la voix de Géraldine) :

Au fil de nos rencontres nos textes se transformaient. Le mien grandissait. Les animatrices me demandaient, comme à chacun d'entre nous, plus et encore plus. Il fallait " déplier " comme disait Marie ! Mon écrit, que je voulais " objectif ", s'est décentré de la patiente pour faire de moi l'actrice principale avec mes réactions, mon vécu. Malgré " Bison futé " et ses itinéraires de contournements, les barrières sont tombées et j'ai lâché du lest encore et encore. Au bout d'un an et grâce à la confiance établie au sein du groupe, j'ai pu faire un lien entre une situation clinique, mon parcours professionnel et un bout de mon histoire personnelle. J'ai réussi à aller au-delà de moi en retrouvant sous ma plume une sorte de secret enfoui au fond de ma mémoire, une clé ouvrant la porte de la compréhension. J'ai dû donner beaucoup de moi, me surpasser, pour débroussailler ce chemin chaotique de mon passé et arriver, après l'avoir partagé, à mieux le vivre.

Marie-Ange :

Heureusement, les autres se comportent en adultes responsables ou en élèves consciencieux et à chaque lecture je reste émerveillée devant leurs écrits . J'en viens parfois à me demander pourquoi ils sont là ! Je me surprends même à rêver qu'un jour peut-être j'arriverais à en faire autant ... Malgré la bonne volonté de tous et la conscience de chacun, il arrive parfois que nous ne fassions pas ce qui est prévu . De ce fait, avec la complicité implicite de nos co-animatrices, nous sortons tout tranquillement du cadre . Il fallait bien le citer celui-là ! Cette transgression est-elle à l'origine de ces moments intenses d'émotions fortes ? Nous avons pu y déposer des bribes de "souffrance professionnelles" et parfois même une souffrance plus personnelle. Nous avons même prononcé les mots "d'espace thérapeutique" pour qualifier ces moments-là. Personnellement, je peux dire qu'en ce qui concerne la production d'écrits dans le cadre de l'atelier écriture, j'ai toujours été hors-cadre ( mis à part les exercices instantanés ). J'en reste là pour le moment avec ma "névrose écriturière".

Delphine :

L'atelier écriture est terminé... C'est donc l'heure du bilan : moment d'échanges, de partage, de communication et de confiance. On se quitte régénéré, raffermi dans notre travail, pleinement satisfait. Mais maintenant que va t' on faire de tout cela ? Que va-t-il rester en nous de cette formation si particulière? Quelques souvenirs de textes, de mots échangés, de petits cris écrits en tous genres, de jeux et d'émotions partagées, quelques textes publiés et quoi d'autre ? Nous avons été surpris car nous ne nous attendions pas à une telle formation. Mais aujourd'hui, nous sommes surtout surpris par ce que nous avons découvert dans l'après coup. Chacun a conservé son propre style d'écriture (rapports quotidiens et synthèses). Les mots que nous employons semblent être les mêmes. Alors, quelque chose en nous a-t-il changé ? Ecrivons nous davantage dans notre pratique professionnelle ? Il ne semble pas. Pourtant nous présentons un changement. Mais alors à quel niveau se situe-t-il? Peut-être est-ce dans la façon de considérer l'écriture, de la penser ou plus largement dans la manière d'appréhender les situations de soins.

L'écriture nous permet une ouverture, c'est un temps où nous repensons à ce qui s'est joué avec le patient, où nous essayons à travers elle de mettre à distance et d'élargir notre réflexion. Nous émettons des hypothèses, faisons des suppositions. Moins axés sur la description de symptômes, nos rapports deviennent des questionnements. Le temps de l'écriture permet de donner un sens, des sens à l'acte thérapeutique. Penser le patient différemment permet de créer un nouveau lien avec lui. Comme pour ce qui s'est passé lors de cette formation, nous n'avons toujours pas de réponses définitives ou sûres. Nous ne savons pas trop où cette réflexion va nous mener, si ce n'est que voir et penser le patient de manière différente ouvre un champ de liberté dans la création, un espace de relation singulier qui nous semble thérapeutique. Révéler l'implicite, tel a été pour nous l'objectif le plus important de cette formation. Remettre du sens là où il n'y en avait plus, à la fois dans nos situations de soins quotidiens et dans notre identité professionnelle.

Enfin l'implicite de nos textes, tous ces mots mis bout à bouts nous ont révélé aux autres et surtout à nous-mêmes. Ils ont permis d'accepter de laisser s'échapper quelque chose de soi mais qui, transformés par le temps et la mise à distance de l'écriture, n'est déjà plus soi. Si notre travail d'écriture a changé notre façon de considérer le patient, il a aussi changé la relation avec nos collègues. Il a permis de créer des liens différents, d'accepter de donner à lire nos écrits. Partager c'est aussi s'exposer. C'est accepter que le regard de chacun soit modifié, soit reconnu dans sa différence. Bien sûr, tout cela est très progressif parfois imperceptible et toujours à renouveler. Et puis il reste sans doute le plus important : l'envie d'écrire ............

Véronique Bailly-Padovani
Marie-Ange Bellomo
Suzanne Bovery
Delphine Citron
Brice Delgado
Anne-Marie Gamot
Patrick Guiraudon
Hélène Pelissier
Christiane Prat
Annie Sauty-Martinez
Et Géraldine Leullier (1)


Toulouse, le 7 juin 2001

(1) Remarquable étudiante en soins infirmiers, embarquée sur notre nef de fous et ravie de l'être. Elle a eu la patience de nous écouter, l'audace de nous donner son avis et la gentillesse de prêter sa voix à Anne-Marie Gamot aux JournEcriture de Laragne, le 7 juin 2001.