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Les JOURNECRITURES

De l’oral à l’écrit dans la Bible

Je pense que les organisateurs de ces journées ont été bien avisés en proposant le monde de la Bible comme un domaine où l’on peut faire un " repérage " sur la question du passage de l’oral à l’écrit. Ce ne serait pas le cas pour cette autre littérature religieuse qu’est le Coran, écrit fondateur de l’Islam : les révélations reçues en vision par la prophète Mahomet, durant une vingtaine d’années, ont fait d’emblée l’objet d’une mise par écrit, sur des peaux, des palmes, des poteries, des omoplates de mouton, écrits fragmentaires qui furent transcrits en un tout dès la mort du prophète ...

Toute autre est l’histoire de la formation de la Bible, que l’on peut aujourd’hui reconstituer avec une grande probabilité, grâce au travail d’une remarquable lignée de savants au long des deux derniers siècles. Ce que je vais énoncer très sommairement se fonde sur l’acquis d’innombrables études spécialisées.

Je rappellerai pour commencer que la Bible n’est pas un livre, mais en réalité une bibliothèque, qui s’est constituée progressivement durant un bon millénaire. Elle regroupe 66 livres d’âge et de contenus forts divers, ou même 73 si l’on tient compte des livres dits " deutéro-canoniques ". A titre de comparaison suggestive, imaginez qu’on ait rassemblé sous une même couverture la Chanson de Roland, un traité de théologie du Moyen-Age, les mémoires de Joinville sur les Croisades, des poèmes de la Renaissance et des sermons de Bossuet, des œuvres de Voltaire, un chant révolutionnaire et la Légende des siècles de Victor Hugo, plus quelques ouvrages philosophiques ou théologiques du 20ème siècle ... Vous auriez là un panorama étonnant, quoi que incomplet d’un millénaire d’histoire et de littérature française : voilà à quoi ressemble la Bible, s’agissant de l’histoire et de la littérature du peuple d’Israël pour l’Ancien Testament, et des premiers chrétiens pour le Nouveau testament. Les deux parties d’inégale longueur constituent la Bible.

Prenons d’abord l’Ancien Testament. Ce qui intéresse notre propos, c’est le fait que les rédacteurs, le plus souvent anonymes, des divers livres qui le composent, sont les héritiers de nombreuses traditions véhiculées oralement pendant des siècles. Il faut se souvenir que dans le monde antique, l’écriture n’est apparue que tardivement, et que la transmission des mythes, des traditions populaires ou du savoir en général, était avant tout orale. Ce qui entraînait un développement considérable de la mémoire. Des gens très simples étaient capables de réciter sans faute des récits entendus une seule fois. Nous qui vivons dans un tout autre contexte culturel où l’écrit joue un rôle essentiel, nous avons de la peine à concevoir que la transmission orale n’était pas moins sûre que ce qui est confié à l’écriture. C’est pourtant le cas.

Examinons d’abord ce qui concerne les traditions historiques du peuple d’Israël, qui constituent un élément très important de la Bible, dans la mesure où ce peuple a très tôt confessé que son Dieu s’était fait connaître à lui dans la conduite de son histoire particulière (" Je suis qui je serai " ...) Ceci explique que l’Ancien Testament contienne de très nombreux récits, à commencer par la geste des Patriarches ou le récit de la sortie d’Egypte. Avant d’être réunis dans des collections écrites, ces récits ont été longtemps portés par la tradition orale.

Grâce à la critique raisonnée des textes et de leurs sources, on a pu reconstituer approximativement (il y a toujours une part d’hypothèses discutables) comment se présentaient ces écrits de la tradition orale avant leur mise par écrit. Je ne peux pas ici entrer dans les détails d’une réalité très diverse. Disons en gros que certains récits reposaient vraisemblablement sur des souvenirs historiques solides, mais qui ont parfois été amplifiés ou idéalisés par des traits légendaires. Les plus anciens sont sans doute de très courts récits explicatifs (les savants disent étiologiques) visant à rendre compte de l’origine d’un sanctuaire ou d’un rite, d’une coutume, d’un nom de lieu ou de personne. D’abord fluide et malléable, chaque récit finissait à force d’être répété, par prendre une forme arrêtée et presque stéréotypée. C’est une évolution qu’on retrouve dans les traditions orales de nombreux peuples. On pense généralement que la riche tradition de la geste des Patriarches, rassemblée dans le livre de la Genèse, présente sous la figure de ces ancêtres la personnification de divers groupes ethniques qui ont fusionné plus tard pour devenir une nation. Certains, comme Abraham, dont le nom est connu par ailleurs, peuvent cependant avoir été une personnalité individuelle, reconnue comme le fondateur de tel sanctuaire. Les divers récits, d’abord indépendants, relatent le genre du vie nomade de ces ancêtres, leur séjour dans tel lieu, leurs relations amicales ou conflictuelles avec leur entourage, et aussi, ce qui va être exemplaire pour les générations ultérieures, leur relation à Dieu, leur apprentissage parfois douloureux de la foi en ses promesses. Ces récits ont pu s’étoffer déjà dans la période de transmission orale, et se regrouper en cycles autour d’un personnage (cycle d’Abraham ou de Jacob notamment).

Pour mémoire, je signale que la tradition orale de ce peuple a également véhiculé des éléments de droit coutumier, des chants religieux, de brèves confessions de foi. Je ne m’y arrête pas, car il est temps de passer à la question qui m’a été posée, celle du passage à l’écrit de ces traditions orales.

Le processus a dû commencer seulement à l’époque royale, partir du règne de David qui, autour de l’en mille avant Jésus-Christ a réussi à unifier les diverses tribus en une seule nation, faisant de Jérusalem sa capitale, ou du règne de son fils Salomon, qui inaugure une ère de paix pour ce petit royaume.

La raison de ce passage n’est pas que l’écriture soit alors une nouveauté pour Israël, puisqu’elle existait déjà à l’époque de Moïse (l’invention de l’écriture alphabétique date d’environ 1500 avant J.C.).

En réalité, le passage à l’écriture à cette époque s’explique pour deux raisons essentielles. Une raison pratique d’abord : David, puis Salomon, ont organisé leur cour à l’image de celle du pharaon d’Egypte, en recrutant des scribes, car il fallait employer l’écriture pour les besoins de l’administration d’un Etat centralisé : correspondance du souverain, pièces officielles archivées, etc. C’est peut-être l’un de ces secrétaires royaux qui est l’auteur d’un des premiers monuments historiographiques de l’antiquité, cinq siècles avant Thucydide. Il a rédigé en témoin des événements deux suites remarquables : l’histoire de l’accession de David à la royauté, puis celle de sa succession, toutes deux fort tourmentées. On les trouve dans le livre de Samuel et des Rois. D’autres ont dû alors se tourner vers les traditions du passé pour les fixer par écrit en en faisant une véritable histoire continue.

La seconde raison de cette mise en écriture est d’ordre à la fois politique et religieux. Il fallait alors sceller l’unité nationale, forger et consolider l’identité de ce peuple comme peuple de Dieu, en montrant que l’action fidèle du Dieu qui fait alliance avec les pères les a conduit jusqu’à ce présent glorieux. Pour ce faire, on a donc éprouvé le besoin de recueillir les vieilles traditions fragmentaires, de les rédiger et de les regrouper en une vaste fresque historique.

Les exégètes ont depuis longtemps repéré l’existence de quatre " documents " qui ont été rédigés en des lieux et à des moments différents, et qui juxtaposées ou mêlées ont constitué le texte définitif du " Pentateuque ". On a longtemps admis que la première de ces rédactions, dont l’auteur a été nommé le " Yahviste " datait effectivement du temps de Salomon. Cela est remis en question aujourd’hui, mais c’est là débat de spécialistes dans lequel nous n’allons pas entrer. Cela ne change rien au fait que la mise par écrit, au moins fragmentaire, des traditions orales a commencé à cette époque.

Il existe une autre époque et une seconde série de traditions où nous pouvons repérer avec assez de précision le passage de l’oralité à l’écriture dans l’histoire de la formation de la Bible. Il s’agit de la période des grands prophètes d’Israël, du 8ème au 6ème siècle avant J.C.

Ces prophètes étaient essentiellement des hommes de la parole, non pas des devins à la manière de Nostradamus, mais des prédicateurs qui transmettaient à leur peuple et à ses dirigeants les jugements et les promesses de Dieu concernant l’actualité. Ils n’étaient pas des écrivains, comme le furent plus tard les auteurs de livres prophétiques pendant ou après l’exil à Babylone. Ce sont certains de leurs disciples qui ont pris l’initiative de conserver, en le mettant par écrit, un message dont ils estimaient qu’il garderait sa valeur pour les générations à venir. Ils ont ainsi constitué des recueils de brefs oracles (" Parole du Seigneur ") ou de discours prophétiques plus développés. Cela a pu se faire déjà du vivant du prophète, comme nous le montre un récit très vivant du livre de Jérémie.

Une longue carrière ! A Jérusalem, pendant 23 ans, Jérémie n’avait cessé d’adresser des avertissements sévères à son peuple, sans être écouté. Un jour, en 605 (année ou à Babylone, Nabuchodonosor, le futur destructeur de Jérusalem, arrive au pouvoir), Jérémie reçoit de Dieu l’ordre de se procurer un rouleau pour y consigner par écrit l’essentiel de son message. Il faut une dernière fois très solennellement le faire retentir aux oreilles du peuple, dans le Temple même. Or, le prophète est alors interdit de présence dans le Temple par décision du roi, dont il a vivement critiqué la politique. Jérémie dicte donc ses prophéties à son secrétaire Baruch, qui va lire le rouleau à haute voix devant le peuple, puis devant les ministres du roi. Ce dernier alerté réclame qu’on lui en fasse lecture, et furieux de ce qu’il entend, lacère et jette au feu les fragments du rouleau au fur et à mesure de cette lecture. La censure est une bien vieille méthode aux mains des pouvoirs qui n’acceptent pas la contestation ... Yoaquim, le roi, imagine avec raison, qu’il n’existe pas de double de cet écrit, coûteux et long à mettre en œuvre. Il pense ainsi se débarrasser de la parole insupportable du prophète de malheur. C’est compter sans l’obstination de Jérémie qui reconstitue son texte de mémoire, et le dicte à nouveau à son secrétaire.

On peut retenir deux vérités importantes de ce récit : le passage à l’écriture est assurément une garantie de conservation du message de Dieu, lorsque son porte-parole aura disparu. Mais le rouleau écrit est fait pour être lu à haute voix, pour être le support d’une parole que le peuple doit entendre. Cela m’amène à une remarque capitale pour notre propos. Depuis Gutemberg, la Bible est devenue sans conteste l’ouvrage le plus édité et le plus lu dans le monde (elle a été traduite en tout ou en fragments dans plus de 2000 langues ! En 1980, on en a vendu 10 millions d’exemplaires). On peut donc la considérer comme un monument de la culture universelle. On peut s’y intéresser du point de vue de l’histoire générale comme de l’histoire des religions, ou du point de vue littéraire. On peut la lire pour s’instruire, voire pour se distraire, comme n’importe quel livre.

Mais il faut savoir que ce n’est pas là son statut initial, ni le statut que lui reconnaissent aujourd’hui encore des millions de croyants, israélites ou chrétiens.

Cette écriture dite sainte se veut porteuse d’une communication, communication de convictions religieuses dira le savant, communication de la Parole de Dieu, dira le croyant. Alors que pendant des siècles elle était recopiée pieusement dans des manuscrits rares, elle était surtout la propriété des communautés religieuses, et destinée fondamentalement à la lecture publique et à son commentaire dans la prédication. Il faut donc en un sens renverser notre problématique, et parler à son propos du retour de l’écriture à l’oralité. Baruch lit publiquement le rouleau dicté par Jérémie, pour que le peuple l’entende et dans l’espoir qu’il revienne à Dieu.

Environ deux siècles plus tard, à l’époque perse, alors que la fixation de l’Ancien Testament est à peu près achevée, nous voyons le scribe Esdras rassembler à Jérusalem les Israëlites pour leur lire solennellement le " Livre de la Loi " " depuis le lever du soleil jusqu’à midi, il lit dans le Livre de la Loi, et tout le peuple écoute attentivement sa lecture ". Après quoi une douzaine de Lévites se charge d’enseigner le peuple par petits groupes : " ils lisent dans le livre de la Loi de Dieu de façon claire. Ils donnent le sens du passage et chacun peut comprendre ce qui est lu. "

Ainsi, pour le Judaïsme, l’Ecriture est faite pour être proclamée de vive voix, et interprétée ... Cela se confirme dans la pratique existant à l’époque du Christ. Beaucoup de fidèles ne comprenaient plus l’hébreux classique. C’est pourquoi, à l’office de la Synagogue, la lecture du texte en hébreu était suivie d’une interprétation orale, qu’on appelle le targum. Un interprète traduisait le texte en araméen, en y ajoutant librement des paraphrases explicatives. Peu à peu s’est ainsi constituée une nouvelle tradition orale, qui fut longtemps transmise de mémoire. Plusieurs targums ont ensuite été fixés par écrit, au cours des premiers siècles de notre ère. C’est ce que Jésus appellera dans l’Evangile " la tradition des hommes " dont il conteste certaines interprétations.

Passons maintenant au Nouveau testament. Nous allons y retrouver, jouant sur une période plus brève, le même genre de dialectique entre l’oral et ‘écrit que nous venons de repérer.

Comme les anciens prophètes, Jésus de Nazareth a été un homme de la parole publique, un prédicateur itinérant proclamant ce qu’il nommait " la bonne nouvelle du Royaume de Dieu ". Il n’a rien écrit. A l’origine des récits évangéliques, il y a donc une tradition orale, qui s’est poursuivie au moins un demi-siècle après sa mort. Le processus qui nous intéresse est parfaitement résumé dans la dédicace qui ouvre l’Evangile de Luc :

Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, d’après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et serviteurs de la Parole, j’ai décidé moi aussi, après m ‘être informé exactement de tout depuis les origines, d’en décrire pour toi l’exposé suivi, excellent Théophile, pour que tu te rendes bien compte de la sûreté des enseignements que tu as reçus. " 

Nous avons là résumés cinquante ans de la première communauté chrétienne, en ce qui concerne la formation des évangiles. Luc évoque plusieurs étapes. En premier lieu, l’Eglise est née de la prédication de Pierre, proclamant la résurrection de Jésus, le jour de fête de la Pentecôte. Communication réussie, puisque sa parole suscite immédiatement de nombreuses adhésions à la foi nouvelle. Pendant plusieurs décennies, l’annonce de l’Evangile est restée affaire de proclamation orale. En milieu juif, les apôtres se référaient aux Ecritures juives, qui selon eux avaient annoncé l’œuvre du Messie Jésus. Les cultes chrétiens de la première génération comprenaient comme à la synagogue la lecture à haute voix des textes de l’Ancien Testament, seule Ecriture sainte pour eux aussi. L’interprétation nouvelle qu’en donnaient les prédicateurs se fondait alors sur la tradition orale de l’Evangile.

En plus de la bonne nouvelle du salut accompli dans la mort et la résurrection du Christ, et de l’appel à changer de mentalité et de comportement, ce qui est le cœur du message, cette tradition orale avait recueilli divers souvenirs, gravés dans la mémoire des disciples, de l’action et des paroles de Jésus pendant son court ministère de prédicateur et de guérisseur : récits de miracles ou de controverses, paraboles et enseignements divers, récit de la Passion-Résurrection. Luc évoque cette première période en parlant de " ce qu’ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et serviteurs de la Parole ".

Deuxième étape : assez vite, dans les années 40 à 60 environ, on a dû commencer à transcrire, comme des sortes d’aide-mémoire pour les prédicateurs, des récits isolés ou de petites collections de récits, regroupés par thèmes. Troisième étape : Luc fait allusion à des premières tentatives de montage d’un récit suivi, esquisses de nos Evangiles. Il parle de " plusieurs ", mais nous ne connaissons que l’Evangile de Marc, qui a précédé Luc, en éditant son Evangile autour de l’an 70 (un peu avant ou un peu après). Luc et Matthieu ont composé le leur dans le cours des années 80. Cette datation faisait l’objet d’un réel consensus de la part des spécialistes.

Elle a été récemment contestée par quelques historiens modernes, qui ont proposé une date beaucoup plus ancienne, prétendant que, du vivant même de Jésus, certains témoins avaient pris des notes pour conserver le plus fidèlement possible les principaux discours du Maître ou les événements les plus marquants. Cette hypothèse ne tient pas la rampe. Il est complètement anachronique d’imaginer les disciples mettant par écrit leurs souvenirs, le soir à l’étape, après une journée bien remplie. Et surtout, cette hypothèse relève d’une méconnaissance de la fiabilité de la transmission orale, liée en particulier aux procédés mnémotechniques utilisés par les enseignants. Il est bien plus valable à ce propos de faire le parallèle avec les enseignements de célèbres rabbins du 1er siècle, tels Hillel ou Shammaï, qui se sont transmis oralement jusqu’à leur consignation écrite dans la Mishna, deux siècles plus tard ! Dans le cas de l’Evangile, il ne s’agit que d’un demi-siècle.

Revenons à l’essentiel : l’intérêt du passage de l’oral à l’écrit, c’est qu’il fixe la tradition, lorsqu’on peut craindre certains déviations du message, ce qui fut le cas très tôt pour les vérités évangéliques. C’est aussi que l’écrit permet à des chrétiens cultivés d’affermir et d’approfondir leur foi nouvelle, en revenant sur le texte pour le méditer. C’est ce que Luc souhaite à son ami Théophile : en lisant l’œuvre qui lui est dédiée, il pourra vérifier la solidité des enseignements qu’il a reçus, dans une première catéchèse orale.

Parallèlement à la formation des Evangiles, il faut noter que dans les années 40 à 60, le missionnaire et théologien Peul de Tarse a fondé de nombreuses communautés chrétiennes dans le monde Gréco-romain. Comme les premiers apôtres, sa parole avait la double forme de l’évangélisation et de l’enseignement. Dans les deux cas, il s’agit toujours de communication orale. Nous ne connaissons sa pensée, si importante pour l’élaboration de la doctrine chrétienne, que par ses lettres, écrites dans des circonstances particulières. C’est lorsqu’il était éloigné de certaines églises et qu’elles lui soumettaient leurs problèmes, ou qu’il se sentait tenu de les rappeler à l’ordre, qu’il se mit à leur écrire. Et nous savons que ces lettres étaient destinées à être lues dans les assemblées, pour les édifier.

Cela m’achemine vers ma conclusion. Nous venons de retrouver, concernant le Nouveau Testament avec une accentuation nouvelle, un caractère qui est celui de la Bible entière, et qui relève de la notion de Parole de Dieu.

Selon le Prologue de l’Evangile de Jean, " la Parole a été faite chair ", et non papier ! Pour la foi chrétienne, la Parole de Dieu au sens strict, sa révélation décisive pour sceller son alliance avec les hommes, c’est la personne du Christ, la Parole incarnée. Ce n’est pas un enseignement doctrinal, mais une personne vivante, celle d’un Sauveur qui libère de la solitude, de l’angoisse, de la culpabilité, comme de l’indifférence aux autres, qu’il nous demande d’aimer comme nous-mêmes.

Ainsi le Nouveau Testament, s’il est devenu une Ecriture normative pour les chrétiens, n’est pas un traité de théologie, mais l’écho de la parole vivante de Jésus et de ses apôtres. Il peut naturellement être étudié de diverses manières, par des historiens ou des théologiens ou de simples curieux. Mais il ne saurait perdre son caractère performant, sa nature initiale propre qui est d’être un discours qui interpelle. En christianisme, son texte continue à servir de fondement à une proclamation de l’Evangile qui doit passer par une parole humaine pour toucher ses auditeurs, pour leur communiquer un message actualisé, qui ne se confond pas avec la littéralité de ce vieux texte. Le prédicateur et l’assemblée chrétienne espèrent en l’action de l’Esprit qui peut et veut en faire surgir une parole vivante pour aujourd’hui.

Pour me résumer, je dirai que l’Ecriture biblique est la fixation d’une parole d’abord proclamée. Mais cette parole proclamée non seulement précède la parole écrite, mais également la suit, en se fondant sur elle pour l’interpréter et la faire vivre. Dans le domaine biblique, il n’y a donc pas de passage de l’oral à l’écrit à sens unique, mais une sorte de va-et-vient de l’oral à l’écrit et de l’écrit à l’oral. S’il y a eu passage de la tradition orale à l’écriture, c’est dans l’intention que la lettre figée de l’écrit puisse donner lieu à un nouvel événement de parole, à une communication authentique et actuelle. La Bible n’est donc pas en soi un livre sacré (il y a parfois un risque de l’idolâtrer), elle est un instrument, certes indispensable, pour entrer en communication, en communion, avec cet invisible interlocuteur qu’est le Dieu révélé, pour les chrétiens le Christ ressuscité.

Voilà ce que je pouvais vous dire, en tant que bibliste, pour essayer de répondre à la question qui m’était posée. J’ose espérer que cet exposé aura pu vous intéresser, au moins à titre documentaire. En revanche, je me demande s’il aura pu rejoindre en quelque façon la problématique de votre rencontre. La discussion qui suit pourra peut-être le dire.

LEBATONNIER
Pasteur, Gap.