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CONTRIBUTION Numéro 5

LA PARENTALITE QUI MARCHE BIEN

Daniel MOREAU, psychiatre-pédopsychiatre : CMP de Maisons- Alfort.

 

 

LE POINT DE VUE DU CLINICIEN

LA PLACE DE LA PARENTALITE DANS LA PRISE EN CHARGE THERAPEUTIQUE

DES ENFANTS.

 

 

Dans nos institutions thérapeutiques et dans nos cabinets, nous constatons une évolution de la demande, concernant les enfants, bien perceptibles ces dernières années.

 

Il semble en effet que la famille soit en crise, et en tout cas elle ne ressemble plus à celle des décen­nies précédentes. Ainsi voit-on se multiplier des plaintes autour de la relation à l'enfant, et beaucoup autour du comportement de celui-ci.

 

Nous n'insisterons pas sur les évolutions sociologiques de la famille, il s'agit là d'une donnée connue et déjà traitée. Remarquons cependant que ces plaintes ne sont pas réduites à la situation des famil­les monoparentales, les mères seules, mais que nous rencontrons aussi bien des couples constitués et s'ils sont, plus qu'avant, recomposés, ils existent bien comme couples parentaux.

 

Nombre de ces enfants ont des difficultés dans leurs repères fondamentaux, le temps, l'espace, la conscience de leur corps et donc de leurs limites. Leur relation à leur entourage, adultes et enfants, souffre de cette fréquente désorganisation.

 

On peut évidemment voir là un effet des changements intervenus dans la structure familiale, mais on peut aussi étendre ce point de vue à la place, en général, de l'enfant dans nos sociétés post moderne et sa transformation en objet d'une économie manipulée où sa place est en premier lieu envisagée comme agent économique, fut-il passif. S'étonne-t-on alors du développement de patho­logies telles que l'obésité et l'hyperactivité alors que l'enfant devient le promoteur de formes nou­velles de consommation et se voit promu manipulateur de son entourage familial a des fins consommatrices. Qu'il s'agisse des dérives alimentaires des plus jeunes, ou des consommations de biens technologiques et médiatiques des plus grands, les parents sont devenus depuis longtemps déjà, des spectateurs obligés de ces jeux et enjeux où ils ont perdu le premier rôle. D'autres se sont donc emparés des attributs cachés mais effectifs d'une part de la "parentalité", si l'on considère cette fonction comme étant celle sur laquelle se fonde la relation éduquante (éducative) aux enfants.

 

Le clinicien de jadis, ne s'interrogeait guère sur de telles incidences, il se tournait vers le seul parent, l'unique, celui qui concentrait en même temps les rôles de géniteur, de nourrisseur, d'éducateur, et de support imaginaire des images fondatrices de la psyché infantile. Si cela n'est pas totalement aboli, cette vision témoigne d'un temps révolu ou des repères simples dans les fonctions parentales pouvaient suffire aux actions psychothérapiques.

 

Les parents d'aujourd'hui se sentent souvent dépassés, débordés par les symptômes des enfants et adolescents, leur demande se fait urgente. Chez eux elle prend forme d'urgence et se fait plainte, souvent revendiquante, d'une "réparation", aussi bien de leur enfant "cassé" que de leur image per­due en tant qu'éducateur.

 

Ils sentent, sans savoir comment ni pourquoi, que leur rôle de parent est mis à mal, sans pouvoir toujours comprendre que cette fonction, qu'ils nous demandent de réparer, est un attribut dont ils ont été déjà depuis longtemps dépouillés par des agents de l'économique et du social. Le thérapeute se voit donc investi du rôle de prothésiste avec charge de reconstruire le membre fantôme.

 

Or, si tout cela s'observe bien dans le quotidien du praticien, nous pouvons constater des formes particulières de résistance à ces évolutions, parfois de manière surprenante là où ne nous y atten­dons pas. C'est le mystère de cette relation qui se construit à deux, ou plus, et qu'il faut bien appeler alliance thérapeutique. Les choses se passent comme si l'on observait un effet de "reconstruction", dans le cadre de la relation thérapeutique, et de restauration d'éléments que l'on croyait perdus. Sou­vent, à partir du témoignage du parent, autour de sa propre enfance, nous voyons réapparaître les images parentales efficientes, de nature symboliques, sur lesquelles nous pouvons alors nous appuyer et commencer la construction d'un étayage efficace pour l'enfant.

 

Le thérapeute ne se substitue pas au parent et c'est à partir d'un premier temps de "délégation" d'une partie de la parentalité que nous pouvons aborder l'enfant. C'est sur cette "parentalité restante" ou "non totalement détruite" que nous pouvons, à notre tour, nous appuyer pour travailler notre projet de soin. Le temps ultime serait celui de la restitution de la totalité de la parentalité déléguée (analo­gue à la liquidation du transfert dont parle Freud), qui  permet au parent de réintégrer pleinement son rôle.

 

En résumé, toute action thérapeutique, et par extension, probablement toute action éducative auprès des enfants, ne peut fonctionner qu'en s'appuyant sur la parentalité existante, et en se gardant de tout désir totalitaire, de la nier ou de s'en emparer.

 

 

Cela est assez dire que tout clinicien se voit confronté en permanence à la question de la parentalité, pour peu , bien sûr qu'il se réfère à un abord psychanalytique de la relation.

 

On pourrait ainsi définir le processus vital : Ce qui permet au sujet,  par l'identification, de se situer dans le processus générationnel. Il le reçoit de ses parents, et en s'identifiant à eux, il s'intègre à son tour dans la suite générationnelle, il enfante et peut à son tour devenir parent.

 

 

Le clinicien rencontre, en gros, deux types de sujets : Ceux qui ne peuvent s'intégrer dans le proces­sus de la parentalité, ils ne sont pas les moins occupés par cette question, qui peut prendre chez eux une dimension obsédante. Les seconds, s'y investissent, le plus souvent en couple mais aussi bien seuls comme cela tend à devenir fréquent.

 

L'écoute de nos patients, contrairement à ce qui est souvent affirmé, révèle que l'histoire personnelle n'a pas prédéterminé cette fonction de manière simple ou univoque. Nous voyons certain sujets, au passé familial « lourd » se comporter en « bon parents » et des histoires familiales similaires ont pu conduire les autres, à une impossibilité à accéder à cette fonction.

 

Je prendrai quelques exemples issus de ma pratique personnelle.

 

-1 Une jeune femme a entrepris, il y a plusieurs années une thérapie analytique en face à face. Elle est brillante dans son métier de juriste, travaille sur des domaines de pointe et elle réussit bien dans sa vie professionnelle. Sa vie affective est plus compliquée mais après plusieurs échecs dans ses relations, elle a pu constituer un couple stable avec un homme de son milieu professionnel. Elle a su, avec lui, évier la répétition des comportements d'échec qu'elle multipliait avec les précédents. Mais elle reconnaît son absence de désir d'enfant.

 

 Son histoire personnelle est singulière. Elle est née d'une relation d'allure incestueuse entre sa mère, jeune femme de 17 ans, et le mari de sa grand-mère maternelle. La mère était la fille d'une première union de cette femme. Pour cacher cela, et du fait du départ de la mère du domicile de la grand-mère, alors que ma patiente avait 18 mois, on a falsifié la réalité et fait croire à la patiente qu'elle était la fille de la grand-mère maternelle.

 

 

C'est lors de son adolescence que la patiente a découvert dans les papiers de ceux qu'elle pensait être ses parents, un acte révélant que sa grand-mère l'avait déclarée comme étant sa fille légitime.

 

A ce contexte déjà compliqué, il faut ajouter le fait que le père, mari de la grand-mère, était un homme du milieu, ancien proxénète, qui avait probablement rencontré la grand-mère, danseuse à l'époque, dans l'exercice de ses activités délinquantes, et qu'après la naissance de la patiente, il avait entretenu de relations ouvertement incestueuse avec une de sœurs (en réalité donc, ¦demi-sœur de ma patiente). Cela se passait à l'écart relatif du monde dans un cadre de vie familiale où l'on vivait en marge de la société, dans une grande aisance financière. La seule relation sociale était la scola­rité, où rien n'a jamais filtré en ce qui concerne la patiente et ses sœurs. Ajoutons que le père était un homme violent, qui inquiétait et faisait peur à tous dans la famille mais aussi dans le voisinage.

 

Ma patiente, son frère et ses trois sœurs, ont tous des bonnes situations sociales et professionnelles mais aucun n'a de vie familiale réussie. Dans le cours de cette démarche thérapeutique, la patiente a cherché et retrouvée sa mère avec qui elle entretien une relation décevante, cette femme qui mène une vie compliquée ne répondant pas à l'attente qu'elle se faisait d'elle.

 

Je remarque un détail abordé plusieurs fois dans la thérapie : Alors que cette femme est juriste, elle dit refuser de s'intéresser volontairement au droit de la famille et au droit pénal. Elle reproche beau­coup aux adultes rencontrés dans son enfance et son adolescence, de n'avoir rien vu et rien fait contre le père qui entretenait des relations ouvertement incestueuses avec une, et peut être plusieurs de ses filles. Ajoutons que la grand-mère était parfaitement au courant et n'a jamais rien dit.

 

J'ai constaté combien dans ces cas de grande transgression des interdits les plus fondamentaux, l'institution judiciaire et les institutions sociales avaient pu être mise en échecs, voire manipulées.

 

- 2 Ainsi une autre jeune femme vient entreprendre une thérapie peu de temps après avoir accouché d'un deuxième fils. Elle ressent des angoisses et veut se libérer d'une lourde histoire. Elle est très attentive vis-à-vis de cet enfant très attendu. Le discours ne laisse guère de doute sur la bonne qualité de la relation mère enfant, et la qualité de la relation de couple engagée avec le père de celui-ci.

 

Or elle-même est une enfant abandonnée, placée tôt dans une famille d'accueil ou elle a été réguliè­rement violée dans l'enfance et jusque dans son adolescence par le père d'accueil. Elle était totale­ment incapable à cet âge de se dégager de l'emprise de cet homme.

 

Il se trouve que, quelques années plus tard, alors qu'elle était émancipée et vivait hors de la famille d'accueil, cet homme se trouva inculpé de viol par un autre enfant placé en garde chez lui. Ma patiente fut alors contactée par la mère de cet homme, personnage important pour elle, car elle avait été une grand-mère de substitution tout à fait présente et investie. Celle-ci demanda à la patiente, en sorte de dette à régler, de l'aider dans la défense de son fils. Cela se fit avec aide et conseil de l'avocat du monsieur.

 

Pendant les deux ans de l'instruction, puis ensuite devant les assises, au terme d'un véritable travail de manipulation judiciaire, on obtint l'acquittement. Le président aurait déclaré à l'audience que cet homme, dont apparemment la cour ne doutait pas de la culpabilité, mais sans pouvoir le prouver, n'avait « pas trouvé de meilleur défenseur » que ma patiente !

 

La patiente n'en n'est pas fière, elle dit l'avoir fait dans le seul but de satisfaire à la demande de sa « grand-mère » adoptive, et en passant bien évidemment sous silence ce qui lui était arrivée (ce que la grand-mère savait, quand à elle, fort bien). Je me suis interrogé sur le fonctionnement de l'économie psychique dans cette situation, car on peut constater qu'un travail psychique s'est fait chez cette femme, qui lui a permis de briser et de sortir du processus des répétions. Elle travaille, réussit bien dans des fonctions de cadre, et a pu acquérir une culture élevée et des défenses sociales efficaces. Les réalités éducatives sont, chez-elles bien en place.

 

- 3 Pour terminer, et comme ces histoires sont le quotidien du travail thérapeutique, je voudrais illustrer comment, la mise en œuvre d'un procédé psychique de clivage, habituellement référé à des pathologies lourdes, peut venir au secours d'une réalisation fonctionnelle de la parentalité.

 

Madame X est une femme surprenante, lorsqu'elle a sonné à mon cabinet je n'ai su que dire, « monsieur » ou « madame ». J'étais face à un personnage qui me semblait être travesti, ce est-à-dire un homme habillé en femme extravagante, comme on en rencontre seulement dans le milieu de la nuit : Maquillage extravagant mais très bien réalisé, habillement ultra voyant. Le plus frappant était cette manière de se travestir ainsi en plein jour  et la conduite parallèle d'une vie sociale apparem­ment parfaitement normale. Le discours était d'un excellent niveau chez cette femme autodidacte, cultivée. 

 

Il ne s'agissait pas d'un homme mais d'une femme, par ailleurs très féminine, qui m'aida à me situer dans la question de son identité en indiquant ainsi, rapidement, sa problématique : « Je veux que les hommes me regardent en pensant que je suis un homme travesti en femme et que c'est très réussi » !

 

Il n'est pas essentiel ici de détailler cette problématique de l'identité sexuelle, et je ne peux donner plus de détail sur la vie de cette femme par souci de discrétion. J'indiquerai seulement qu'elle menait, et mène toujours une vie parfaitement double. Mariée dans les normes à un homme qui a des fonctions sociales et professionnelles bien reconnue, on se trouve face à un couple bourgeois, qui a trois enfants, une fille et deux garçons, dont les âges vont de la petite enfance à l'adolescence. La journée, madame X se consacre à ses enfants dont on peut dire qu'ils sont parfaitement bien élevés, leur santé, leur moralité, leur éducation ne souffre d'aucune lacune.

 

 Soucieuse de me rassurer à ce sujet et pensant sûrement que je ne la croirais pas, madame X me montre l'album des photos de famille, où je vois une famille modèle, enfants souriants, mari attentif. A la maison, madame X se livre aux taches ménagères et quotidiennes, habillée en   drag-keen. C'est le soir que sa vie change, et là encore je ne peux en dire beaucoup plus sinon qu'il s'agit d'une activité de nature quasi professionnelle liée au milieu de la nuit, elle en dégage très honnêtement des revenus  équivalents à ceux de son époux. Cela reste honnête, nulle prostitution, pas de toxico­manie, mais des pratiques sexuelles très marginales.

 

Le lendemain matin, elle tient à accompagner elle-même ses enfants à l'école, pour le plus jeune, et va ensuite dormir un peu.

 

Je remarque combien cette femme est  bien présente dans sa fonction parentale, présente et attentive auprès de ses enfants. Elle veut leur éviter ce qu'elle a elle-même connu enfant, un véritable enfer dans le milieu marginal d'une immigration en échec d'intégration. Le père la battait gravement et était capable de la menacer avec un couteau puis plusieurs fois avec un fusil, au point qu'elle a cru à plusieurs reprises qu'il allait la tuer. Ce père était un boxeur raté, devenu invalide à la suite d'une blessure, il n'avait jamais pu se réinsérer et avait sombré dans un alcoolisme sévère. La mère était prostituée et la famille vivait dans un hôtel de passe. Madame X s'est enfuie quand elle a compris que le projet de son père était de la prostituer.

 

Les enfants, ignorent cette histoire. Le clivage est le mécanisme qui permet la cohabitation chez le même sujet de deux univers parfois radicalement différent, à ce prix, un rapport à la réalité peut se maintenir de manière apparemment adaptée.

 

On pourrait s'interroger à cette occasion sur la portée et les limites du concept de « résilience ».

 

 

Je ne souhaite pas par ces quelques histoires, montrer quelles seraient les normes d'une parentalité qui se reconstruit sur les décombres d'une enfance dévastée mais seulement illustre la force de ce besoin de parentalité qui traverse le sujet et le pousse parfois à braver les forces de répétions des­tructrices.

 

En réparant ce qui avait été chez eux une enfance où la fonction parentale se trouvait gravement atteinte, ils se sont « réparés » eux-mêmes à travers l'exercice d'une parentalité retrouvée.