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CONTRIBUTION Numéro 6

EVOLUTION JURIDIQUE ET SOCIALE DE L’AUTORITE PARENTALE

Alain VOGELWEIGTH, Juge des enfants, Président de l’association « Espace-Droit-Famille » .

 

Origine des changements :

 

-              diversification des modèles familiaux avec une chute vertigineuse des mariages ( 410 000 en 1972, 260 000 en 1993) malgré une remontée sensible au cours de la dernière décennie ( plus de 300 000 en 2001), le développement de l’union libre (90% des mariages sont précédées de l’union libre ) ce qui explique l’alignement du régime de l’autorité parentale concernant l’enfant naturel sur celui de l’enfant légitime

 

-              préoccupations sociales et politiques sur la responsabilité des parents dans l’exercice de l’autorité parentale donc dans l’éducation de l’enfant : la puissance paternelle puis à partir de 1970 l’autorité parentale ont toujours été aux frontières du public et du privé, de l’ordre public et de l’organisation de la transmission intergénérationnelle au sein de la famille.

 

La volonté de responsabiliser les parents n’est pas dictée que par le souci d’éviter les lourdes conséquences de la dislocation du couple parental sur l’enfant mais aussi par celui de s’assurer que, face à la montée en puissance de la thématique de la délinquance des mineurs, les parents exercent leur autorité parentale conformément à l’intérêt de la société  

 

D’importantes réformes ou propositions de réformes ont vu le jour au cours au cours des deux dernières années dans le domaine du droit de la famille :

 

-              les lois du 13 décembre 2000 et du 4 juillet 2001 concernant respectivement la contraception d’urgence et l’interruption volontaire de grossesse qui touchent aux prérogatives de l’autorité parentale

-              la loi du 3 décembre 2001 qui met notamment fin aux inégalités successorales qui frappaient les enfants adultérins,

-              les deux lois du 4 mars 2002 relative au nom de famille et à l’autorité parentale, la proposition de réforme du divorce toujours en cours.

On peut regretter, que, malgré l’existence de deux  rapports conséquents (Irène Théry et Françoise Dekeuver-Défossez) qui permettaient d’envisager une réforme globale du droit de la famille, celle-ci ait été menée dans le cadre de multiples propositions de lois parcellaires interdisant une vision d’ensemble. Par ailleurs, la proposition de réforme du divorce n’a pas aboutie.

 

Si ces réformes manquent manifestement de cohérence, quelques grandes lignes s’en dégagent néanmoins :

 

-          l’affirmation de la coparentalité

-          l’égalité entre les enfants quelle que soit leur filiation

-          la volonté de responsabiliser les parents dans l’exercice de leur fonction parentale notamment lors de la séparation

-          la reconnaissance de certains droits de l’enfant et la volonté de les concilier avec les responsabilités des titulaires de l’autorité parentale

 

Loi du 4 mars 2002 (N° 2002-305) que certains professionnels qualifient de révolutionnaire.

 

En fait, elle amplifie une tendance lourde : la reconnaissance de la parentalité qui apparaît aux débuts des années 70 avec l’émergence de la monoparentalité puis l’affirmation de la coparentalité . Plusieurs lois ont ouvert cette voie :

 

La loi du 4 juin 1970 qui abolit la puissance paternelle et instaure la notion d’autorité parentale pour assurer l’égalité entre le père et la mère mais également pour mettre un terme à la domination exercée par les parents sur l’enfant, substituer la notion de devoirs à celle de puissance.

 

-          la loi du 3 janvier 1972 réformant le droit de la filiation qui crée un statut unique pour l’enfant légitime et l’enfant naturel

 

-          la loi du 11 juillet 1975 sur le divorce qui pose néanmoins comme principe l’attribution exclusive de la garde de l’enfant à l’un des parents mais la cour de cassation admettra quelques années plus tard la légalité de la garde conjointe après le divorce

-          la loi du 23 décembre 1985 qui consacre l’égalité des parents dans la gestion des biens de l’enfant mineur lorsqu’ils exercent en commun l’autorité parentale

 

-          la loi du 22 juillet 1987 qui assouplit les effets du divorce concernant le partage de l’autorité parentale entre les deux parents après le divorce et permet aux parents d’enfants naturels de faire une déclaration conjointe d’autorité parentale afin de rompre avec le principe traditionnelles de l’attribution de l’autorité parentale à la mère

 

-          la loi du 8 janvier 1993 qui affirme le principe de l’autorité parentale conjointe tant dans la famille légitime désunie que dans la famille naturelle

 

Trois objectifs principaux de la loi du 4 mars 2002

 

-          favoriser l’exercice d’une coparentalité

 

-          affirmer le principe d’égalité des enfants quelle que soit la situation matrimoniale des parents. Il convient de noter que si l’on compte, chaque année, plus de 120 000 divorces, 2/3 de ces procédures impliquant des enfants, plus de 50 000 demandes en justice sont introduites par des parents d’enfants naturels afin de régler des modalités d’exercice de l’autorité parentale.

 

Il s’agit de distinguer le droit du divorce qui vise à régler les conséquences de la rupture matrimoniale pour les époux du droit de l’autorité parentale qui porte sur les relations parents-enfants. La loi du 4 mars 2002 transfère ainsi certaines dispositions du chapitre relatif au divorce vers le chapitre relatif à l’autorité parentale

 

-          mettre le droit de l’autorité parentale en conformité avec les principes de la convention internationale des droits de l’enfant.

 

Principales innovations :

 

La coparentalité

 

-          si les deux parents ont reconnu l’enfant dans la première année suivant sa naissance, ils exercent en commun l’autorité parentale, la condition de la vie commune au moment des reconnaissances est supprimée, ce qui met fin à de nombreuses difficultés que rencontre les pères pour prouver la vie commune

 

-          la loi reconnaît explicitement la possibilité d’une résidence de l’enfant en alternance chez chacun des parents, y compris en cas de désaccord des parents concernant le lieu de résidence de l’enfant. Cette résidence alternée est d’abord ordonnée à titre provisoire, elle n’est confirmée à titre définitif qu’après évaluation de sa mise en œuvre.  La loi supprime toute référence à la notion de résidence habituelle ou à des droits de visite et d’hébergement à partir du moment où l’autorité parentale est exercée conjointement.

Polémique sur la garde alternée concernant les plus jeunes enfants

 

-          chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent

 

-          la loi rend obligatoire l’information préalable de l’autre parent en cas de déménagement susceptible de changer les conditions de l’exercice de l’autorité parentale

 

Responsabiliser les parents

           

- l’officier d’état civil doit donner connaissance des dispositions du code civil relative        à l’autorité parentale aux parents lors de la reconnaissance de l’enfant. C’est d’ailleurs la référence à l’autorité parentale qui permet de fonder la responsabilité civile des parents

 

-          les parents peuvent faire homologuer par le juge une convention fixant les modalités d’exercice de l’autorité parentale

 

-          le juge aux affaires familiales peut, notamment lorsqu’il est saisi d’une difficulté d’exercice en commun de l’autorité parentale, proposer aux parents une médiation familiale Il peut même enjoindre aux parents de rencontrer un médiateur familial qui les informera sur l’objet et le déroulement de la mesure

 

-          le juge, lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, notamment sur la résidence de l’enfant, doit prendre en compte l’aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l’autre parent,

 

Affirmer les droits des enfants

 

-          l’autorité parentale est désormais définie comme <<un ensemble de droits et de devoirs ayant comme finalité l’intérêt de l’enfant>>, les notions de garde et de surveillance disparaissent mais reste l’article selon lequel <<l’enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère>>.

La loi rappelle en fait que les parents sont les défenseurs légaux et protecteurs naturels de l’enfant, elle affirme en substance le rôle d éducateur des parents qui doivent veiller à l’épanouissement de l’enfant. 

           

-          les parents doivent associer l’enfant aux décisions qui le concernent selon son âge et son degré de maturité conformément aux dispositions de la CIDE et de la convention européenne sur les droits de l’enfant du 25 janvier 1996

 

-          l’enfant a le droit d’entretenir des relations personnelles avec les membres de chacune de ses lignées et le juge peut fixer les modalités des relations entre l’enfant et un tiers si tel est l’intérêt de l’enfant et que les parents font obstacle à ces relations. Ce droit ne concerne plus seulement les grands-parents mais tous les ascendants.

 

-          la délégation d’autorité parentale à un tiers, à un membre de la famille, à un établissement agrée, à l’aide sociale à l’enfance peut désormais intervenir pour tous les mineurs y compris de plus de 16 ans. Le juge aux affaires familiales peut également, pour les besoins d’éducation de l’enfant, dire que les père et mère partageront tout ou partie de l’exercice de l’autorité parentale avec un tiers, ce partage nécessitant l’accord du ou des parents en tant qu’ils exercent l’autorité parentale. Il s’agit notamment de permettre aux beaux-parents de pouvoir exercer, le cas échéant, certaines prérogatives de l’autorité parentale.

 

Avancées :

 

-          affirmation de la coparentalité, qu’il y ait vie commune des parents ou séparation

-          responsabilisation des parents

-          meilleur prise en compte de la parole de l’enfant par les parents

-          incitation au recours à la médiation familiale

-          prise en compte dans les décisions du juge du respect par chaque parent des droits de l’autre parent notamment en cas de changement de domicile du parent ayant la résidence de l’enfant

-          possibilité de partage de l’autorité parentale permettant de mieux prendre en compte la diversité des modèles familiaux (familles recomposées, tiers digne de confiance, grand-parents,…)

 

 

Critiques :

 

-          création d’une sorte d’obligation de maintenir des liens avec l’enfant dont la violation ne peut faire l’objet de sanction, n’est pas nécessairement de l’intérêt de l’enfant sauf à créer une obligation d’aimer…

-          difficulté de mettre en place une résidence alternée lorsque l’un des deux parents s’y oppose et ris que pour le jeune enfant 

-          pas de véritable amélioration de la prise en compte de la parole de l’enfant par le juge aux affaires familiales

 

Ainsi, à titre d’exemple, la loi du 4 mars 2002 a institué la possibilité pour un tiers de saisir le ministère public qui pourra saisir le JAF pour qui statue sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale mais ce droit, malgré la CIDE, n’est toujours pas ouvert à l’enfant même capable de discernement.

L’enfant reste bien ici un nain juridique.

 

Plus grave encore, le droit pénal est dans la pratique de plus en plus mobilisé pour limiter et encadrer l’exercice de l’autorité parentale. La responsabilisation des parents devient de plus en plus la responsabilisation pénale :

 

-          utilisation  de l’article 227-17 du code pénal modifié par la loi du 9 septembre 2002 : les parents qui se soustraient à leurs obligations légales au point de compromettre –suppression du gravement qui figurait dans le texte antérieur au 9 septembre 2002 -la santé, la moralité, la sécurité ou l’éducation de son enfant mineur sont punis de deux d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

-           

Ce texte pourra presque être utilisé contre tous les parents dont les enfants sont suivis en assistance éducative

 

Ce texte sert de base légale à la mise en place de stages parentaux (cf.Toulon) qui développe une forme d’action éducative et de soutien à la parentalité

 

-          autre exemple : les modules parentaux pour les parents dont les enfants connaissent un absentéisme scolaire : risque de transfert à l’éducation nationale d’alternatives aux poursuites.

 

En conclusion : - quelle soutien à la parentalité, quelle aide à l’exercice de l’autorité parentale sans confiance des familles et comment imaginer une telle confiance si l’on s’achemine vers une forme de pénalisation de l’autorité parentale ?