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Les JOURNECRITURES

GAP Jeudi 7 et Vendredi 8 OCTOBRE 2004

 



Ecrire la clinique
1ère partie :

Ecrire est un soin


Ecrire la clinique est un vaste propos, notre intention est de mettre l'accent sur la place de l'écriture dans le soin psychique en psychiatrie. Nous allons même jusqu'à penser qu' " Ecrire est un soin ! " Cette idée s'inscrit dans notre définition du soin psychique sur laquelle nous allons faire un large détour.

Nous allons aborder le sujet par l'objet du soin : que soignons-nous chez les patients psychiatriques ? Le manque de concret du soin psychique nous complique la tâche. Sans objet bien visible, nous devons faire une construction théorique pour concevoir cet objet abstrait du soin et élaborer des stratégies thérapeutiques. Cependant cette théorisation n'est possible qu'avec le choix d'un cadre de référence tel que la systémique, l'analytique ou autre. Celui-ci définit problématique et objet du soin. Cerner l'objet du soin, c'est le concevoir et c'est un préalable inéluctable au soin psychique.

On peut donc avancer que le préalable à tout soin psychique, à la définition de son objet, est le choix d'un modèle théorique, d'un cadre de référence. Nous allons nous référer aux concepts analytiques, à la psycho dynamique pour notre définition du soin psychique.

Au risque d'excès de simplification, nous l'avons découpé en quatre chapitres ou axes par souci de clarté pour montrer où l'écriture a son rôle à jouer. Après avoir déterminer le cadre théorique, le 1er axe est fait de toutes les activités de " la réalité partagée " selon le terme de J. Hochmann. C'est la part concrète qui a longtemps été, si ce n'est la seule, du moins la plus importante dont ont bénéficié les patients des institutions psychiatriques : alimentation, soins d'hygiène, occupation en atelier etc. Ces activités, comme leur statut, ont évolué. La démonstration de leur valeur thérapeutique a permis de les développer et les professionnaliser : la liste est longue, activités médiatrices variées, implication dans les tâches communautaires, traitement de milieu, créations artistiques, activités sportives, approches corporelles, etc.
La réflexion psychanalytique met en évidence, pour une majorité des patients des services publics, le manque de limites claires et fiables entre le dedans, le monde interne et le monde externe. Elle met à jour les mécanismes d'évacuation, de projection, des parties gênantes vers le dehors : l'angoisse notamment. Ces évacuations, ces débordements aboutissent non seulement dans la psyché des soignants mais aussi dans la réalité concrète. Ce sont les troubles du comportement : réactivité extrême, désorganisation etc. L'environnement est alors à son tour envahi par la problématique du patient. Sa psyché est confondue avec l'environnement, le monde interne et externe est le même monde indifférencié.
C'est donc à partir de cet environnement, dans lequel la pathologie s'est déposée, que le soin peut se loger. En référence à Winnicott, cet environnement peut devenir un environnement facilitant pour une expérience maturante s'il est vivant et organisé en conséquence. Il sera forcément individualisé et pourra alors protéger, soutenir et contenir : par ex. l'angoisse désorganisante avec la définition de limites claires et fiables, ou par hypostimulation, ou encore avec la structuration qu'il apporte. L'objectif est d'aménager cet environnement à travers les activités de la vie quotidienne afin qu'il devienne un agent thérapeutique actif.

Cet environnement soignant va aussi faire office de cadre thérapeutique. Dans une psychanalyse, on peut se contenter de consignes mais avec nos patients, il est souvent nécessaire que le cadre s'inscrive dans des activités qui le concrétisent et donnent des repères utiles et précieux. C'est encore dans le quotidien qu'on va le trouver. Par ailleurs toute activité peut offrir des intermédiaires profitables à la relation duelle lorsque celle-ci est trop menaçante, trop vide ou a simplement besoin de support.

La créativité du soignant est de mise pour dépasser le simple stade des faits et donner la dimension thérapeutique à ces activités d'apparence banale. Par ex la régularité d'une promenade et d'autres activités contribue à la fonction de structuration, la fiabilité des limites posées à celle de contention, l'implication dans un groupe sport à celle de mobilisation, la lecture du journal comme support de la relation etc.

Et ceci nous mène tout naturellement au 2ème axe du soin psychique : la relation individuelle directe avec le patient. Toutes ces activités ne se font pas sans être en relation. Il s'agit peut-être, là, de l'aspect du soin psychique le plus connu, si ce n'est le plus évident : la psychiatrie, c'est la relation, dit-on communément. Que fait-on d'autre que parler ou accompagner des patients à longueur de journée ? C'est le deuxième axe du soin qui va des relations quotidiennes aux relations les plus cadrées comme celles de la psychothérapie. Les relations individuelles prennent leur valeur dans la réponse aux besoins du patient. Si ce dernier est débordé d'angoisses, il aura plus besoin d'une relation contenante que d'interprétations, de même lorsque le besoin de soutien est prioritaire, la relation authentique et chaleureuse sera préférable à la distance et la neutralité bienveillante. C'est tout le champ des fonctions d'aide au moi du patient. Dans un premier temps, il est souvent question d'aider le patient dans les fonctions déficientes de son Moi : comme contenir, soutenir, structurer etc. Ce sont les fonctions de " Moi auxiliaire " proposées par P. - C. Racamier qui ne sont souvent que le préalable ou le soutien à un travail relationnel individuel.
Les suivis des patients à moyen ou long terme nous entraînent vers d'autres horizons relationnels s'apparentant plutôt à la psychothérapie.

Pour cet aspect relationnel direct, le soignant devra mettre à profit des qualités d'empathie, ses capacités à aller à la rencontre de l'autre et à entrer dans sa " culture, son fonctionnement et non l'inverse : c'est-à-dire forcer l'autre à renter dans son moule soignant. Savoir prendre un certain recul est aussi nécessaire. Le respect tant de la personne que de son fonctionnement psychique, sa psychopathologie est un préalable.

Pour compléter l'effet thérapeutique de nos relations individuelles, nous avons aussi souvent besoin d'être en relation avec nos collègues et ceci nous amène au 3ème axe du soin psychique.

D'un point de vue psycho dynamique, ces mêmes patients des services publics sont couramment des personnes souffrant d'importants troubles d'intégration. De ce fait, leurs relations sont des relations d'objet partiel. Autrement dit ce n'est pas l'entier d'eux-mêmes qui est en relation avec chaque soignant mais seulement une partie avec chacun. On ne vous fera pas la démonstration du clivage en bons et mauvais objets, en bons et mauvais soignants. Quelques fois, les relations partielles sont aussi des niveaux différents de fonctionnements : plus archaïques ou plus matures. Ces fonctionnements simultanés à des niveaux différents s'attachent à des soignants distincts. Classiquement le plus régressé avec le soignant et le plus mature avec le thérapeute. Ce n'est qu'en couvrant le champ de ces différents niveaux que l'expérience thérapeutique voit le jour, sans quoi nous prenons le risque de travailler dans le vide.

Ainsi les patients ne vont pas développer des relations transférentielles sur un thérapeute unique mais sur plusieurs personnes ou chaque personne de l'équipe en même temps. " La psychothérapie des patients psychotiques est une œuvre collective " nous rappelle Racamier.

Donc si nous n'avons donc pas l'entier du patient mais seulement une partie de lui-même, pour le soigner, c'est-à-dire viser l'intégration, il est indispensable de mettre en commun ces différentes parties du patient déposés chez chaque membre de l'équipe et prendre en charge ses différents niveaux de fonctionnement. C'est la première étape de l'intégration : mettre ensemble, d'abord entre nous, ce que le patient ne peut faire de lui-même dans son monde interne. De toute évidence, pour faire ce travail, nous devons forcément être en relation les uns avec les autres et travailler nos relations : les articuler, leur donner du sens, les orienter etc. C'est là toute l'utilité thérapeutique des rapports à ses collègues. Ces relations professionnelles sont toutes aussi importantes que les relations individuelles directes avec le patient. Les colloques, synthèses et autres réunions autour d'un patient correspondent bien à ce besoin d'intégration. " Le psychotique ne peut être soigné que par une équipe" affirme Michael Woodbury.
On pourrait facilement penser qu'il est plus facile d'être en relation avec ses collègues, qu'avec les patients. Cependant, lorsque chacun est aux prises avec ce que le patient a déposé en lui, ces relations peuvent vite se compliquer. Il n'est pas toujours aisé de préciser son point de vue, peut-être en désaccord avec son collègue. Analyser une situation, (2X) élaborer sa perception, transmettre son point de vue, oser tenir la différence, voire conflictualiser les rapports nécessite respect et honnêteté. C'est un rôle exigeant qui repose sur une autonomie professionnelle ainsi qu'une identité professionnelle claire et distincte. Il fait appel à la capacité de s'exprimer, d'accepter la conflictualité et de la travailler. Il ne s'agit pas d'avoir raison mais de mettre ensemble ses avis pour construire une représentation globale du patient et comprendre sa dynamique en vue du projet thérapeutique.

En bref, après la part concrète, la relation individuelle et celle à ces collègues, il nous reste le dernier chapitre, le 4ème axe, celui qui nous intéresse plus particulièrement aujourd'hui : celui de la réflexion et du travail psychique du soignant.

Etablir une relation, être là, être à plusieurs, proposer des activités voilà les ingrédients du soin, mais qu'en est-il de leur sens, leur indication et leur articulation ? Ce questionnement nous amène au quatrième axe qui est fait de toute la réflexion dans et autour du soin. C'est le travail de compréhension et d'élaboration. Comprendre, donner du sens, réorienter son projet, superviser, être supervisé…etc. Cet axe est le garant de l'adéquation du soin, de la cohérence des différentes interventions et l'articulation de leurs intervenants. C'est l'aspect réflexif du soin. Jacques Hochmann parle d'un investissement auto-érotique de la part intellectuelle qui permet de prendre plaisir à réfléchir, à comprendre, à élaborer des projets. Tout ceci revient donc à investir positivement les patients, dans une sorte de " rêverie maternelle " chère à Bion. Ce " travail " du soignant est un processus de métabolisation psychique qui va transformer ces contenus archaïques en contenus plus secondarisés. C'est faciliter, en quelque sorte, le passage du processus primaire au processus secondaire. Cette réflexion est le garant de la vie psychique, ne faut-il pas penser pour exister ? " Je pense donc je suis ".

Ces 4 points sont indissociables et en interaction constante, vous l'avez compris et ne sont somme toute qu'un même processus. Mais quel lien avec l'écriture ?
Il est évident qu'écrire est une manière d'étoffer et de contribuer à ce quatrième axe du soin : réfléchir, comprendre, concevoir, transmettre, alimenter sa réflexion, structurer ses connaissances etc. Ecrire est un investissement pour le soigné et nous sommes très persuadés du retour sur investissement. On soigne lorsqu'on écrit la clinique : écrire, c'est " prendre soin du soin ". Quoi qu'il en soit, c'est une manière excellente, mais peut-être exigeante, d'investir l'aspect réflexif. De plus, il présente l'avantage de laisser des traces que d'autres qualifieront mais qui aura aussi le mérite d'avoir stimulé leur réflexion. C'est une manière d'introduire un tiers, un lecteur potentiel, devant la représentation et l'affirmation que constitue l'écrit. Et on voit combien ce tiers différenciateur peut être craint : nous n'aimons pas forcément écrire sous le regard de l'autre.
Si l'écriture contribue à clarifier nos actions, à structurer nos connaissances et à prendre un recul nécessaire, le patient en sera bénéficiaire. Si l'écriture est utile à la profession en contribuant à renforcer notre identité, à transmettre nos connaissances et à participer à une culture du soin psychique, le patient sera encore bénéficiaire. Avec les nouvelles formations en soin, nous constatons combien cet élément culturel du soin psychique est en perte de vitesse, l'écrit devient nécessité et sûrement pas seulement pour le domaine du la santé mentale.
Michel Sapir disait qu'une institution est soignante pour ses patients si elle est un lieu de formation pour ses collaborateurs, qu'en est-il de l'écriture ? L'écriture pourrait-elle être un garant du soin ? Les dossiers des patients " s'anorexisent " dangereusement, qu'est-ce à dire ?
Dans notre institution, une fois par mois, chaque unité de soin est chargée de faire, aux autres soignants du secteur, une présentation de sa pratique et de ses réflexions sur un thème annuel. Généralement les intervenants lisent leur texte, ils l'ont donc écrit. La règle consiste à laisser cet écrit à la bibliothèque. A peine 10% des textes rentrent spontanément. Que signifie cette pudeur, écrire est-il si intime ? Faut-il en chercher la cause dans le profond calviniste vaudois ? Pas seulement ! Il est assez laborieux d'empoigner ce problème. Les institutions peinent à trouver les moyens de faire exister cet aspect du soin. Peut-être nécessite-t-il une qualité particulière à son exercice qu'il est ardu à cultiver ? Agota kristof, auteure hongroise vivant en Suisse, affirme qu': " Il faut beaucoup d'enthousiasme pour écrire ". Serait-ce là une des clefs au problème ? Et s'il fallait commencer par là, peut-être que l'enthousiasme a ça de particulier, et c'est tant mieux, c'est qu'il peut être contagieux.


R. Panchaud
Intervention au 2ème Journécriture
Gap les 7 et 8 octobre 2004





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